Petit poucet de la littérature, Tillinac sème les cailloux de son imaginaire enfoui. Il creuse le sillon d’une identité aujourd’hui largement ébréchée.
Les livres de Tillinac sont des rites de passages vers un pays presque inconnu de nos contemporains, des souvenirs d’épiciers-ambulants, de boulevards des maréchaux, de solex éclairant le pont des soupirs, de marques indélébiles d’une culture classique que l’on n’exposait pas jadis en plein vent. Le voyeurisme n’avait pas encore vampirisé l’esprit des écrivains. Dans Sur le pont des regrets, recueil de poésie aux éditions Le Dilettante, Tillinac trace autant un portrait de lui, ses foucades et ses errances, que d’une vieille nation en bout de course, en voie d’effacement.
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Ce baby-boomer biberonné à Elvis et Blondin, flibustier de la presse locale, corrézien de l’Odéon, a toujours la politesse d’écrire clairement, la fluidité est son allié. On est si souvent écorché par des proses malhabiles, heurté par des tournures qui provoquent des saignements de nez, dès les premières strophes.
Un poète que l’on comprend
Avec Tillinac, sa plume sauvage et cependant maintenue dans un certain académisme, file comme la Loire. Elle n’écoute que son tempo intérieur. Elle ressasse sa mélancolie, son amertume avec l’âge venant. Tillinac est un poète que l’on comprend, donc qu’on lit avec un plaisir presque gourmand. Ses mots n’asphyxient pas. Certains puristes réfuteront cette clarté, la qualifiant de suspecte, contraire même au ressac d’une poésie étrange et pénétrante. En effet, d’un assemblage incohérent naît parfois une beauté fugace. Á vrai dire uniquement chez les génies qui ont le don surnaturel de transformer les mots en images, les regrets en stèles. Je pense ici à mon cher Yves Charnet qui fut publié à la Table Ronde, dont le talent intact et rebelle mériterait un éclairage autrement plus aveuglant. Mais le plus souvent, la poésie est le refuge des boursouflés et des tâtonneurs. Pour ceux qui connaissent l’univers de l’écrivain amoureux des Départementales, ils ne seront guère étonnés de fouler, à nouveau, ses terres d’expression.
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Café, cigarettes, stylo
Sa fidélité à cette jeunesse mi-provinciale, mi-parisienne, son mépris des totalitarismes et des uniformes, son attachement aux paysages éternels, sa mysticité teintée de républicanisme, peut-être l’ultime héritage de son ami Chirac, on les retrouve dans ce recueil simple et bon comme un pain cuit au four. Tillinac écrit sans trucages. Le lecteur apprécie cette limpidité qui n’est pas dénuée d’une recherche stylistique. Ecrire juste est un travail de tous les jours. Le son, le rythme, la mémoire vive, tout doit s’entremêler sans violence, ni haine. On plonge dans ce recueil comme dans une piscine de jouvence. On y retrouve même nos bornes intangibles, Pirotte (« poète de l’irrémédiable ») et Pessoa, les vignes de Tracy et le pont de Saint-Satur, Ramuntcho et les frères Boni, les Gares et les murs de sous-préfectures recouverts de toile de Jouy. Tillinac l’avoue : « Leur société je la hais », celle des technocrates et des flambeurs, de ces atroces années 80/90, prémices à la mondialisation. Il préfère se blottir dans un triumvirat personnel : « café cigarettes stylo », se souvenir de Cioran et de Cossery, d’Austerlitz et de Lisboa. Ou de perdre ses songes dans l’autobus 63. « Les Ombres de jadis », titre de l’un de ses poèmes, planent sur nos existences devenues si fragiles.
Trop de jadis pour un ado fiévreux
Qui sentait couler dans ses veines
Goutte à goutte le temps de l’ennui
Elles s’agitent en arrière-plan quand le dégoût de la vie nous saisit. Après un été anglais, passez donc l’automne en compagnie de Tillinac.
Sur le pont des regrets, Denis Tillinac, Le Dilettante.
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