Souvenirs, souvenirs


Souvenirs, souvenirs

denis tillinac juste un baiser

J’ai retrouvé mon Denis Tillinac dans le recueil de nouvelles Juste un baiser qui vient de paraître à La petite vermillon. Ces dernières années, j’avais peine à voir un si grand écrivain barboter dans le pédiluve des nouveaux réactionnaires, le nouveau credo d’une édition en manque d’idées. Le niveau de l’eau et des débats n’a jamais été si bas. Dans cette mare si encombrée,la plume de Tillinac avait perdu de sa suavité nostalgique et de ses reflets dorés comme l’automne sur les bords de Loire. Invité sur les plateaux de télé, il ne répondait plus qu’aux questions convenues des journalistes qui n’avaient jamais dû lire une ligne de lui et partager son Spleen en Corrèze, son Eté anglais ou un Dernier verre au Danton.

Comme autrefois, après son amourette chiraquienne, il s’est enfermé dans un rôle de composition, juste pour le plaisir d’être « politiquement incorrect », le péché mignon des fils de famille. La provoc’ n’a plus cours que dans les classes favorisées, un snobisme éculé. Le talent du romancier ou du nouvellistes’oxyde à une exposition trop prolongée sur les rives de l’Actualité. L’air du « politique » pollue tout. Les méandres des débats de société sont marécageux. Les stylistes, il en est un assurément et le prouve dans ce dernier livre, valent mieux que les circonvolutions du cirque médiatique. À trop vouloir jouer le réac de service, on perd son âme et la télé, miroir grossissant, fait de vous un vieux con. C’est injuste car on aime Tillinac pour sa couleur inimitable, cette odeur boisée, cet élan d’une jeunesse mythifiée qui parcourenttoute son œuvre. On est dans nos pantoufles, à l’aise dans nos charentaises, comme lorsqu’on regarde un film de Noiret, Ventura ou Blier.

C’est tellement agréable ce confort de lecture, cette aisance des mots, cette émotion de chaque instant. Si le bonheur est dans le pré, il l’est aussi dans cette écriture buissonnière. Avec Tillinac, on a des bouffées de chaleur, des remontées d’enfance, un fond de mysticisme qui refait surface, des envies de sacristie. Les maisons craquent sous le parquet, les lycéennes ont la blondeur des blés, leurs rires inoubliables sont nos ports d’attache, l’amour se niche aux creux des livres et la province cristallise notre mélancolie. Sous la tonnelle, on rêve sa vie, on fait le plein de souvenirs, on déroule le fil d’une existence imaginaire. Tillinac est l’écrivain de cette utopie-là. Il est le gardien de cette terre balayée par le désir, la peur, la folie et les convenances. Ses dix-huit nouvelles (certaines inédites en poche et d’autres extraites du Figaro Madame, Sud-Ouest ou L’Amateur de Bordeaux)sont les clés d’un monde disparu. Tillinac n’a pas guéri de ses vingt-ans, cet âge des possibles. Grand bien lui fasse, la belle littérature se nourrit de cette amertume-là. Il n’a rien oublié des corps secrètement désirés, de cet inachevé qui construit. Tillinac excelle dans la rupture donnant des accents mitterrandiens (subliminaux) à sa prose, cette seconde où tout bascule comme dans deux textes (Le merle de l’Elysée et Autoroute A71).« Le temps est réversible et j’en ai la preuve : un coup de fil a inversé radicalement le cours de mon existence » écrit-il. Les lecteurs de longue date de Tillinac retrouveront donc avec plaisir toutes les pierres qu’il a semées au cours de son existence littéraire.

Ces balises qu’elles s’appellent Elvis Presley, le rugby, les maisons qui sentent le passéles villages qui somnolent, les plaies de la Seconde Guerre Mondiale, le cap de la soixantaine, le conflit entre classes sociales, les gares, la Locale d’un journal ou la féminité exacerbée tracent le contour d’une France qui nous ressemble. Cette carte du tendre donne des frissons. Et puis, un écrivain qui situe l’une de ses nouvelles dans ma gare fantôme de Tracy-sur-Loire, mon arrêt sauvage, est un maître.

Juste un baiserDenis Tillinac, La petite vermillon.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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