Bérénice Levet adresse un dernier au revoir à Denis Tillinac
Denis Tillinac, l’homme qui aimait les femmes, la France, la littérature, le football, la peinture aussi. Ou qui aimait la France parce qu’elle comprenait tout cela. Un homme qui aimait. Si l’on devait garder une image de Denis, ce serait celle-ci : inaccessible au ressentiment, à la haine, à la jalousie, à ces passions viles qui corrodent et rabougrissent l’homme. Il fuyait les êtres et les choses qui alourdissent et enténèbrent l’existence.
J’ai fait la connaissance de Denis alors qu’il dirigeait les Éditions de la Table Ronde et publiait la revue L’Atelier du roman. J’avais adressé à Lakis Proguidis, le directeur de la publication, un texte, mon tout premier texte, sur Nabokov et la figure de « bon lecteur ». Denis l’avait lu, il était enthousiasmé. Sans lui, sans la confiance qu’il m’a alors témoignée, sans doute ne me serais-je jamais engagée dans la voie de l’écriture et de la participation à la vie intellectuelle. Il avait infiniment d’amitié et d’admiration pour l’ardeur d’Élisabeth Lévy qu’il retrouvait régulièrement dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel sur RTL. Les francs-tireurs, les réfractaires à l’air du temps étaient son genre, et Causeur lui plaisait. Sous ces airs bourrus, il était d’une immense tendresse.
De droite, il était, « réac » même, comme il ne craignait pas de le clamer, mais qu’on ne se méprenne pas, il était l’homme le moins idéologique que l’on puisse concevoir. L’abstraction lui répugnait, c’est pourquoi il regardait avec méfiance la gauche. L’homme a besoin d’histoire et d’histoires, d’imaginaire, bref de racines, et toute sa vie, aussi bien dans ses romans que dans ses essais, Denis se sera employé à maintenir vivant le flambeau de l’imaginaire, de l’imaginaire français, de l’incarnation française. Il avait le don de convertir en images notre histoire – les entrées de son Dictionnaire amoureux de la France sont autant de vignettes qui nous font visiter les pièces du château qu’est notre passé. De l’imaginaire du désir aussi, qui se nourrit de la différence des sexes, de la polarité de l’homme et de la femme, de leur différend même, sans quoi il n’y a plus de jeu. Ces livres resteront comme de grands livres d’images où nous gagnerons toujours à venir nous ressourcer, nous qui, sous l’empire des idéologies, avons tant décoloré l’histoire de la France et les relations entre les hommes et les femmes. S’il s’est toujours tenu à l’écart de la gauche, c’est qu’elle ne se guérit pas de l’aspiration à régénérer l’homme. Être de droite, c’était aussi cela pour lui : vivre réconcilié avec l’humaine condition, sans illusion mais sans désespoir non plus – et c’est pourquoi Balzac, Mauriac, Simenon (et il faut lire son Mystère Simenon) étaient ses romanciers. L’âme française, ce n’est pas seulement le titre d’un de ces livres, il l’incarnait, dans ce mélange de légèreté, de passion pour les mots, pour l’histoire. Avec lui, c’est une certaine idée de la France qui s’éteint. Et pour nous, ses amis, ses proches, une présence unique et irremplaçable.