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Causeur. La France n’est ni de droite ni de gauche, disait le Général. Pourquoi donc vous accrocher à cette dichotomie ?
Denis Tillinac. Être de droite, c’est inscrire son action dans le présent, mais avec un soubassement de mémoire. Être progressiste, c’est inscrire son action dans une stricte relation entre le présent et le futur. Pourquoi en sommes-nous à la deuxième génération de dirigeants de droite qui ont renoncé à cette mémoire ? J’ai connu les Guéna, les Galley, les Messmer… Ils ont forgé la France moderne – le Concorde, la bombe atomique… –, mais parlaient d’Histoire tout le temps. Bien sûr, derrière, ils avaient le vieux Malraux : ce n’est pas rien ! À l’Assemblée nationale, dans les bureaux du groupe RPR, il y avait une photo du général de Gaulle, une autre du maréchal Leclerc et une dernière de Malraux. Et puis on a fait l’UMP, un truc pour imiter les Allemands et les Anglais ! Il a alors fallu ajouter les photos de Monnet et de Schuman qui, pour des gaullistes comme moi, représentent l’horreur absolue ! Je préfère Guevara, de très loin ![access capability= »lire_inedits »]
Cette droite bonapartiste qui est la vôtre correspond à l’espace que Marine Le Pen veut occuper aujourd’hui, non ?
C’est peut-être son ambition, mais c’est peu dire qu’elle ne s’en donne pas les moyens. L’alliage hétéroclite d’un programme qui rappelle celui de Georges Marchais et d’un souverainisme qui n’a pas de véritable définition autre que les récriminations contre les immigrés n’a rien à voir avec le bonapartisme. C’est une déviance du bonapartisme : le boulangisme. Le discours de Mme Le Pen et de Philippot – ni gauche ni droite, pas d’alliances – finira par décevoir leurs électeurs.
Vous êtes « républicain par défaut », vous considérez les « valeurs républicaines » comme des « abstractions trop glaciales ». Idem pour la laïcité : il faut faire avec, « rien de plus, rien de moins », écrivez-vous[1. L’Âme française, Denis Tillinac, Ed. Albin Michel, mai 2016]. Quant à la révolution, ce serait pour notre pays un vrai traumatisme… On croirait entendre Marion Maréchal-Le Pen.
Depuis l’exécution de Louis XVI, nous sommes en tout cas condamnés à l’homme providentiel, et entre deux hommes providentiels, au poujadisme : tous des pourris, tous des cons, tous des nuls… Ce qui est d’ailleurs souvent vrai.
Parler de « valeurs républicaines », pour moi, ça ne veut rien dire. Parce que la République est un principe d’organisation politique. La probité, l’oubli de soi, le panache, ce sont des valeurs qui ne sont pas l’apanage d’un régime politique. Elles sont tout autant respectées en Angleterre qui est une monarchie théocratique.
Quant au laïcisme butté de M. Philippot, il ne me paraît pas être celui de Mme Maréchal-Le Pen. J’y vois quelque chose d’inconciliable. Marion Maréchal-Le Pen, par ses déclarations sur ses valeurs, son libéralisme économique, serait la bienvenue dans l’aile conservatrice des Républicains. Elle y serait plus à l’aise qu’au FN.
Cette invitation lui est donc transmise ici même ! Cependant, l’âme de la France peut-elle rester immuable en dépit des flux migratoires et des changements démographiques ? La République, c’est une machine à fabriquer des Français.
La France, pas la République ! Et à un petit Français dont les ancêtres viennent du bassin du Congo, du delta du Mékong, ou des Aurès, il faut d’autant plus apprendre que ses ancêtres étaient des Gaulois, et que notre mémoire patriotique procède de Vercingétorix, de Clovis, de Saint Louis, de Jeanne d’Arc et de Roland à Roncevaux. La France n’est pas un pays d’immigration comme on nous le répète. C’est une broyeuse qui accueille les étrangers et en fait des Français. Elle a pu assimiler sans souci un million et demi de musulmans, ce qui a été le cas jusqu’aux années 1960. Sept millions, c’est un autre problème. Mais ce n’est pas la faute des musulmans si les églises sont vides, même le dimanche. Au temps de Charles Martel, l’enfant né chez les commerçants qui suivaient les razzias était baptisé dans les huit jours. La France avait la capacité morale, spirituelle, une identité suffisante, pour fabriquer des Français. Nous l’avons perdue. Une amie haut fonctionnaire, de culture musulmane, m’a raconté un jour : « J’ai su que j’étais complètement française le jour où, au détour d’une départementale, j’ai été émue par l’arrondi d’un clocher roman. »
Parmi les candidats à la primaire de la droite, il paraît compliqué d’en trouver un susceptible de vous émouvoir.
Je voterai aux primaires pour celui qui me donnera le sentiment de prendre en compte l’identité profonde de la France ou, à défaut, la sensibilité de droite, telle que je la définis.
On imagine que ce ne sera pas Alain Juppé, qui paraît incarner ces élites de droite que vous abhorrez.
Juppé, c’est la droite tocquevillienne, avec les limites inhérentes à Science Po, l’ENA, Normale Sup… Il n’est ni bête ni inculte, c’est un bon copain, un honorable Landais beaucoup plus sensuel qu’il ne le laisse entendre, mais son discours sociétal et son fédéralisme ne me conviennent pas beaucoup. Et ses complaisances pour tout ce qui touche à la dilution du genre me semblent dictées par le souci de ne pas déplaire aux bobos.
Malgré votre magnanimité, aucun champion de la droite ne vous séduit ?
Si je raisonne à partir de ma propre sensibilité de provincial qui aime la littérature, les vaches, le vin et le rugby, celui qui porte le plus spontanément la mémoire historique de la France, c’est indiscutablement François Bayrou. La veille de son agrégation, je crois, son père est mort alors qu’il était en train de traire les vaches. J’ai passé des soirées avec lui à boire du tursan et du jurançon en récitant des milliers de vers. Il a de vraies préoccupations spirituelles : c’est un catholique pratiquant, mais lui est encore plus à cheval que vous sur la laïcité ! Il connaît la province, il y est bien enraciné, il a une belle histoire. Le problème, c’est que depuis vingt ans, il ne nous la raconte pas !
Et Sarkozy, le retour, c’est une histoire racontable ?
Il a les qualités de ses défauts. Il est le plus capable de dynamiser un pays, mais il « antagonise » beaucoup. Il a une certaine toxicité parce qu’il cherche toujours à être dans un rapport agresseur-agressé. Cela dit, je pense que son plus grave problème n’est pas le rejet qu’il suscite, mais qu’il est peut-être impossible de redevenir président quand on a été battu.
Pour vous, le scénario le plus probable, c’est que la droite gagnera par défaut…
Dans ce cas, les choses sérieuses n’auront pas lieu au soir du second tour, mais dans les six mois, dans la rue ou ailleurs. Et là, ça se gâtera parce qu’il y aura un déficit de légitimité énorme.
Tiens donc, une révolution de droite ?
Pas une « révolution ». On ne peut pas dire que le retour du Général au pouvoir ait été une révolution, ça s’est fait dans les règles de l’art démocratique, même s’il a forcé un peu le trait. Si c’était « un coup d’État permanent », des « coups d’État permanents » comme ça, j’en veux tous les jours, et j’aimerais que ça arrive l’an prochain ![/access]
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