Propos recueillis par Gérald Andrieu et Élisabeth Lévy.
Causeur. Dans votre quête de L’Âme française[1. L’Âme française, Denis Tillinac, Ed. Albin Michel, mai 2016], vous réglez son compte à votre famille politique : sans conscience de son histoire, infoutue d’affirmer ses valeurs, rongée par l’économisme, la droite n’a aucune excuse à vos yeux. Vous auriez pu choisir comme sous-titre : « La droite pour les nuls qui le sont sans savoir pourquoi ni oser le revendiquer. » La droite française est-elle fichue ?
Denis Tillinac. Oui et non. Oui, si l’on parle des responsables politiques nationaux dits « de droite ». Ils ne proposent que des recettes pour avoir un peu plus de croissance, un peu moins de déficit, un peu plus de sécurité et un peu moins de chômage. Leurs programmes interchangeables ne sont d’ailleurs jamais appliqués. Mais je réponds non s’il est question du peuple de France qui se sent, lui, dépositaire d’un patrimoine spirituel, paysager, monumental, gastronomique…
Vous faites un pari pascalien sur l’existence d’un tel peuple…
Je n’idéalise pas. On voit la façon dont un maire, qu’il soit de gauche ou de droite, est attaché à son clocher, même s’il va au Grand Orient à la fin de la semaine ! Certes, la France profonde des villages et des villes moyennes a été ripolinée et on n’y croise plus que des chômeurs, des allocataires du RSA, des retraités, des immigrés. Malgré tout, le peuple a conscience de ce qu’il a reçu en héritage, et il éprouve un sentiment énorme de dépossession. Hélas, nos élites s’en foutent et débitent des conneries comme « Entrons dans l’économie-monde ! », « Il faut plus d’Europe ! », etc.[access capability= »lire_inedits »] Pendant ce temps, la France des notables a disparu. Le notable avait succédé à l’évêque ou au noblaillon. Et un Mitterrand ou un Chirac pouvaient s’adosser aux notables pour construire leur fief électoral, mais ce monde n’existe plus.
La faute aux élites, dites-vous. Mais ce peuple, shooté aux subventions depuis soixante-dix ans, dites-vous, il a aussi laissé faire le saccage.
Le peuple, moralement, vaut ce que valent les élites censées donner l’exemple. Or ces élites ont failli. D’abord sur le plan économique, depuis les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 elles ont fait le choix des déficits permanents en échange de la paix sociale. Résultat, le soi-disant modèle français privilégie ceux qui ont la chance d’être entrés dans l’économie-monde au détriment des autres. Pourtant, nos campagnes ont beau être dévitalisées, les gens y sont assez heureux parce qu’il y a une sociabilité, un art de vivre, un rituel de l’apéro, tout un ensemble de choses qui composent l’âme française…
C’est bien beau de boire un coup de rouge quand Rome brûle, mais il n’y a pas l’ombre d’un Napoléon ou d’un De Gaulle à l’horizon…
Le drame, c’est qu’un Napoléon ou un De Gaulle n’arrivent que dans les géhennes de l’Histoire, jamais par les urnes. Je suis un démocrate de raison, ayant conscience qu’il faut 51 % pour être élu et que, pour cela, il faut flatter l’opinion, qui est une espèce de mousse à la surface du peuple.
Revenons à la droite. Ce que vous lui reprochez, c’est d’être de gauche.
Nous irions mieux si, depuis un demi-siècle, les élites politiques de droite n’étaient pas à la remorque du « soixante-huitardisme » ! Mai 68, j’ai connu, j’étais anar, comme les autres. À 20 ans, j’étais contre la société de consommation, je voulais tout casser. Simplement, leur révolution ne me plaisait pas ! Rouge et noir, je n’aime pas ces couleurs, je préfère le rose bonbon, le bleu pervenche ou le vert Corrèze ! C’est une question d’esthétique ! Je pense que le « soixante-huitardisme », c’est-à-dire le marxo-freudo-libertarisme, reposait sur deux bévues : l’innocence du désir et la créativité de l’inconscient. C’est l’apologie de la marge, du fou, de l’enfant, du drogué qui est censé produire du beau. On oublie que la transgression n’a de sens et de vertu que si la norme est solide !
Pardon, mais vous jetez Marx, Freud et la libération sexuelle un peu vite… Et finalement, vous accréditez l’idée que la droite est le parti du passé. Mais de tout ce passé peut-on faire un avenir ?
Non, la droite, c’est le parti de la mémoire. Cultiver la mémoire de sa famille, de son village, son pays, sa civilisation, sa religion, est une attitude de droite. Et tout cela définit une certaine approche de la liberté. Tandis que la liberté de gauche qui prévaut depuis les années 1960, depuis que les gauchistes ont succédé aux staliniens pour régner sur l’université et les médias, c’est l’ouverture grand angle des pulsions.
Vous avez une vision romantique de la droite et une vision caricaturale de la gauche. Ce que vous décrivez, c’est la gauche parisienne « vue à la télé ». Dans la vraie vie, on peut être de gauche et aimer Chateaubriand ou Blondin.
Oui, quand on s’appelle Mitterrand. La mythologie de la gauche a ses grands ancêtres – Danton ou Robespierre, au choix, et puis Blanqui, Jaurès, Blum… –, ses lieux symboliques, comme le mur des Fédérés. Pour les gens de gauche, leurs rites, c’est le 1er mai ; leur liturgie et leur langage, c’est la manif et l’AG. Ça fait partie de l’Histoire de France, et on ne peut pas gouverner ce pays sans le prendre en compte.
Pardon, mais nous pensons que tout cela, comme le baptême de Clovis, ça appartient à tous. Et puis, vous allez loin dans le cliché : les femmes de droite seraient, dites-vous, de meilleures amantes !
Trop d’amis de gauche se sont plaints pour que je ne sois pas sûr de ce que j’avance sur le plan statistique ! Et puis écoutez : on est dans les années 1950, l’émancipation de la femme est logique et indiscutable. Simone de Beauvoir nous pond Le Deuxième Sexe. Presque la même année, Brigitte Bardot se met à poil dans Et Dieu créa la femme et Édith Piaf chante : « Si tu m’aimes, je me fous du monde entier ». La gauche, elle se soucie du monde entier ! Qui s’en porte encore plus mal ! C’est toute la différence ![/access]
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