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Démocrature, dictablanda et blablabla?

Renée Fregosi publie "Cinquante nuances de dictature : tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs" (Éditions de l'Aube, 2023)


Démocrature, dictablanda et blablabla?
Recep Tayyip Erdogan dans un bureau de vote à Istanbul, accompagné de son épouse Emine, 14 mai 2023 © Umit Bektas/AP/SIPA

Avec Cinquante Nuances de dictature, tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Renée Fregosi échauffe les esprits et c’est avec froideur qu’elle aborde la brûlante question de l’état actuel du pays : « De là à considérer la démocratie française comme une dictature, il y a de la marge », affirme-t-elle.


« Il arrive que des régimes dictatoriaux s’installent dans des sociétés démocratiques… qui ont posé des principes d’égalité entre leurs membres et de liberté d’individus, mais qui en ont perdu le sens », explique la politologue Renée Fregosi. Nous, Français, spécialistes du créneau, avons-nous développé un tel problème de latéralisation ? 

L’essai fait principalement voyager dans les dictatures de l’ailleurs. Du Venezuela à la Russie, de la Chine à l’Arabie Saoudite, en passant par la Libye et l’Allemagne nazie, toutes les aires géographiques sont passées au peigne fin. Toutes les figures des livres d’Histoire, de Pinochet à Kadhafi, sont convoquées. Et, chiffres à l’appui, sont passés au crible les divers critères de démocratisation. 

Tour du monde des réussites autoritaires

Car le néologisme a été fort utile pour définir le degré plus ou moins marginal de la démocratisation d’un régime. Si l’on est habitué aux « dictablanda » ou encore aux « démocratures », l’Economist Intelligence Unit, elle, identifie les « régimes autoritaires » (35,3 % des pays de la planète), les « régimes hybrides » (20,4 %), les « démocraties pleines » (12,6%) et les « démocraties imparfaites (31,7%). Évidemment, « pleut-il ou ne pleut-il pas » est une question moins épineuse… 

Renée Frégosi © BALTEL/SIPA

« Ne serait-il pas plus clair de parler de « régimes autoritaires imparfaits » ou « plus-que-parfaits » plutôt que de régimes hybrides ? » interroge la philosophe. Pourquoi ne pas alors décréter que les deux totalitarismes, nazisme et communisme, sont des « régimes antérieurs » à ce « totalitarisme du troisième type » comme Frégosi nomme le totalitarisme islamique dans son troisième chapitre ? Parce que l’on passerait à côté des émergences néo-nazies ? Pourtant, selon une autre équipe de chercheurs, qui mesure « la qualité de démocratie de chaque régime, en [l’] évaluant sur une échelle de 0 à 10 », Pologne et Hongrie obtiennent respectivement une note de 6,80 et 6,50. 

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Alors il en est des régimes comme des hommes, ils changent : « Depuis 2016, et sur les cinq années consécutives, le nombre des pays versant dans l’autoritarisme est approximativement trois fois plus haut que celui de ceux qui progressent vers la démocratie. » Et dans ce tour du monde des tentatives et réussites autoritaires, Fregosi fait remarquer que peu de pays seraient, depuis leur création, identifiés comme « démocratie » et félicités d’une bonne note, ainsi pour le Proche-Orient, seul « Israël, avec ses 7,84, se situe depuis sa fondation en 1948 dans le groupe des démocraties ». 

Les Français menacés par leur servitude volontaire

Alors quid de la France promise dès le titre de l’essai ? Paradoxalement, elle apparaît peu, et les définitions liminaires invitent à se demander si l’analyse de Fregosi n’est pas une habile turquerie — ce processus dont les Lumières ont usé et abusé, et grâce auquel une pièce de Voltaire intitulée Mahomet attaquait la religion catholique. Une turquerie dont les analyses révèlent deux lourdes menaces pour la démocratie française : le frérisme et le wokisme.

Quand elle explique : « Les pouvoirs autoritaires fonctionnent toujours selon le principe de l’imposition de certains sur d’autres, et entravent ou interdisent le libre choix de chacun », ne pense-t-on pas à… Et quand on lit que la « dictature politique survient comme la conséquence d’une dégradation de la société qui n’a pas su se prémunir contre, d’une part, l’atomisation, l’égoïsme et la « servitude volontaire », ne penserait-on pas à… ?

La nuance entre les mots ne tient qu’à un fil, et ignorer celui-ci amène à tous les abus. Dictature, totalitarisme, ou fascisme sont autant de gros mots qui ont envahi façon blitzkrieg la basse-cour politique et les réseaux sociaux. Employés comme des étendards, leur prolifération provient du « flou des mots qui embrouille les esprits [et] fait écho au désintérêt pour l’étude des dictatures contemporaines ». Désintérêt d’une part et complaisance de l’autre : « Quant aux pays du Maghreb, du proche et moyen Orient, ils ont été, et pour nombre d’entre eux sont toujours, l’objet d’une complaisance ahurissante de la part des démocraties occidentales. » Ah bon ?

La « fin de l’histoire », pour l’Occident, n’a pas été l’extension d’une démocratie idyllique mais plutôt une déshistorisation des concepts. L’apprentissage, la projection, la réflexion, bref la nuance, sont hors-jeu dès lors que le buzz et le pathos sont autant de moteurs du discours politique. « Car une pensée extrême se fait par l’évacuation de toute autre idée compensatrice, modératrice ou contradictoire avec l’idée première. » Mais il y a bien des sujets de pathos en France, et les régimes peuvent tomber. « Les dictatures comme les démocraties » conclut l’auteur dans Corse Matin (Fregosi est née à Ajaccio), et l’on se demande bien de quel côté va tomber la France. 

Renée Fregosi, Cinquante nuances de dictature : tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs, Editions de l’aube, avril 2023, 191 p.



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Agrégée des Lettres et Docteur ès Lettres des Universités d'Aix-Marseille et Autonome de Madrid.

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