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Démocratie, mon beau prétexte


Démocratie, mon beau prétexte
Jean-Paul Brighelli. © Hannah ASSOULINE

Il ne manquait plus que lui ! Notre chroniqueur, sans attaches du côté du RN, jamais encarté où que ce soit, revient sur les réquisitions du Parquet qui cherche à toute force à rendre Marine Le Pen inéligible. Alors que de l’aveu même de son procureur, qui manque de preuves, ça lui ferait mal de ne pas inculper les prévenus.


On se souvient de la formule de Pascal : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. » Sans doute correspondait-elle à ce XVIIe siècle où le pouvoir prospérait dans l’arbitraire : vous aviez déplu, on vous mettait à la Bastille. Ou, comme Fouquet, à Pignerol pendant 18 ans — il y faisait frais, surtout dans ce petit âge glaciaire.

Alléluia, nous avons trouvé un jour la démocratie sous un sapin de Noël, et nous vivons désormais en des temps où la justice et la force vivent en harmonie…

Qui le croit ? Même si le destin politique de Marine Le Pen est un détail de l’histoire contemporaine, il faut bien reconnaître que le réquisitoire du récent procès de la dirigeante du RN et de quelques attachés parlementaires, tous accusés de détournements de fonds européens, marque le retour en fanfare de la force, qui ne s’est jamais trop souciée de la justice, sinon pour soigner les apparences.

Faut-il que la possibilité d’un renversement de l’ordre établi par une conjugaison de la colère des peuples et du laminage des classes moyennes fasse peur aux puissants de ce monde pour qu’ils prennent le risque d’afficher la couleur ! Ils n’utilisent la justice que dans leur intérêt, sanctionnent de temps en temps des élus en fin de carrière (Fillon), exagérément démonstratifs (Cahuzac) ou gênants (Bayrou), et quand la menace cesse d’être fantôme, ils dégainent et dégomment qui pourrait leur faire de l’ombre.

Yaël Braun-Pivet se dit effarée par les commentaires qui disqualifient un tribunal dont les réquisitions sont taillées sur mesure pour éliminer la dirigeante du RN. « C’est quand même ahurissant, a-t-elle souligné. Les Français veulent des élus exemplaires… »

Est-ce si sûr ? C’est avec des raisonnements de ce calibre que la Chambre élit Paul Deschanel contre Georges Clemenceau. Personnellement, je préfèrerais Mazarin à Barnier — ou à qui que ce soit dans le personnel politique contemporain. Mazarin qui arrivé gueux en France est mort en laissant à ses nièces près de 70 millions de livres / or. Acquis bien sûr en toute honnêteté. Oui — mais il a gagné la Guerre de Trente ans. Et installé solidement Louis XIV sur le trône.

Dans le duel à distance que se livrent les nations du Sud, qui favorisent paraît-il la magouille et exaltent le Capo di tutti capi, et les pays du Nord, englués de vertu et de protestantisme, la France est en train de basculer, sous la pression de l’UE – un refuge de petits saints, comme chacun sait. Nous voudrions des élus exemplaires, des dragueurs déconstruits, des femmes frigides et des artistes dépourvus de talent — c’est plus sûr — et de passions mauvaises.

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Ceux qui ont le pouvoir ne sont pas disposés à le lâcher. Ils tiennent les cordons de la bourse. Ils alarment les pauvres gens avec des contes à dormir debout sur le poids de la dette — dont ils sont les premiers à soutirer les bénéfices. Ils se livrent à des expérimentations sur l’obéissance des peuples à l’occasion d’une épidémie finalement bégnine. Ils clament bien haut qu’ils sont exemplaires, alors que depuis des années — rappelez-vous déjà l’affaire Urba, en 1987-1989, où les socialistes au pouvoir avaient donné la pleine mesure de leur vertu — les uns et les autres se servent dans la caisse alimentée par les peuples, que l’on pressure tout en les culpabilisant. En ce moment, on cible les retraités, toujours trop payés à ne rien faire, chacun sait cela. Ou les enseignants qui n’en fichent pas une rame, c’est de notoriété publique, depuis que Madame Oudéa-Castéra a trouvé des instituteurs grévistes dans une école où il n’y en avait pas.

Le procès intenté à Marine Le Pen et à ses parlementaires est une plaisanterie significative. Une façon pour le Camp du Bien de s’accrocher au pouvoir. Peut-être vous souvenez-vous de la « taxe anti-Zemmour », une idée de l’écologiste Benjamin Lucas qui en 2022 a proposé de taxer à 90% (au lieu de 5,15%) les médias qui pensent mal, en sanctionnant « toute diffusion de propos faisant l’objet d’une condamnation pour incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination ».

Tout est tellement pourri que la vertu ne peut s’en tirer qu’en inventant des délits nouveaux. Le vote de la loi Sapin 2 (décembre 2016) fut une merveilleuse idée pour sanctionner des agissements préalablement repérés, non encore criminels — mais criminalisés après coup afin de faire tomber tel ou tel personnage, tel ou tel parti.

Ce qui est sûr, c’est que désormais, chaque fois qu’un responsable politique invoque la « démocratie », il est urgent de le gifler. La démocratie était un système inventé par des cités indépendantes, regroupant quelques milliers d’hommes libres, il y a 2500 ans. C’est un système qui a fait long feu : dès la guerre du Péloponnèse, les Spartiates ont expliqué manu militari aux Athéniens ce qu’était un vrai État — et ce n’était pas une démocratie.

Montesquieu ne dit pas autre chose, en soulignant la différence entre la République, qui est un système cohérent et autoritaire, et la Démocratie, qui est une dictature molle. La direction de l’UE n’est pas une démocratie — ou alors, qu’elle rende publics les mails échangés avec Pfizer, par exemple.

Évidemment, aucun des arguments utilisés aujourd’hui par le RN ne va au fond de choses, parce que ce parti, qui manque un peu d’intellectuels véritables, joue toujours la carte de la dédiabolisation, et veut à toute force faire croire qu’il respectera la « démocratie », ce magnifique outil au service de capitalistes et de néo-libéraux qui trinquent tous les jours à votre santé. D’où leur stigmatisation des régimes « illibéraux ».

Il faut rétablir la République, et faire passer devant des tribunaux populaires tous ceux qui se sont gavés de belles paroles pour faire suer le burnous aux peuples effarés. Nous n’avons plus de guillotine, nous n’avons pas de mines de sel, mais nous avons des rizières, en Camargue, qui manquent de bras.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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