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Démocratie en petits comités


Démocratie en petits comités

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Connaissez-vous la « conférence citoyenne » ? C’est un groupe composé d’illustres inconnus, 18 quidams nommés en toute opacité par le Comité consultatif national d’éthique. En décembre 2013, il a « assumé » l’euthanasie, rencontrant ainsi un succès médiatique bien supérieur à sa légitimité. Ses membres parlent au nom des Français, même s’ils n’ont jamais été élus. Ils sont vos « supercitoyens ». Vous connaissez certainement, en revanche, l’existence, sinon les membres, des « groupes de travail thématiques » invités par Jean-Marc Ayrault à faire des propositions pour refonder la politique de l’intégration. Ces groupes, dont la composition n’a fait l’objet d’aucun débat, comprenaient évidemment des fonctionnaires (réquisitionnés d’office), mais aussi des membres associatifs, des personnalités de la société civile, des citoyens « éclairés ». Ce sont eux qui ont pondu le rapport-choc qui ne proposait rien de moins, sous l’appellation « inclusion », que la remise en cause de deux siècles de modèle républicain.  L’euthanasie, l’intégration : ces deux bombes lâchées dans le débat public ont-elles été concoctées par un groupe parlementaire ? Non. [access capability= »lire_inedits »] Pas non plus par une inspection quelconque issue des grands corps de l’État, un Haut-Conseil ou même une « autorité administrative indépendante », invention déjà fort contestable. Elles sont le fruit d’un « diagnostic partagé » issu de la quatrième génération de machines à produire des rapports : les groupes de « parties prenantes », dernier avatar des « concertations citoyennes ». Une « partie prenante » est un acteur, individuel ou collectif (groupe ou organisation), dont les intérêts peuvent être affectés positivement ou négativement par une décision ou un projet. En clair, ce terme fumeux permet d’ouvrir les portes de la réflexion publique à à peu près n’importe qui se sentant impliqué.

Observons les observatoires… C’est Tony Blair qui a – sinon inventé – donné de la visibilité au concept avec sa stakeholder society, ou « société de parties prenantes », qui n’est pas sans évoquer la « France des droits et des devoirs » de l’UMP. Seulement, de cet ensemble, le PS n’a conservé que le pouvoir conféré à des acteurs- citoyens en les soustrayant à toute obligation. La « partie prenante » a tous les droits : émission d’idées, représentation, tribune médiatique. Et aucun compte à rendre – aucune accountability pour reprendre un terme britannique. À la différence de l’expert ou du technocrate, bien connus (et honnis comme tels) de la population, la « partie prenante » n’a passé aucun concours, ne justifie d’aucun diplôme et ne procède d’aucune nomination en conseil des ministres.  Cette curieuse méthode d’action politique n’est pas, loin s’en faut, limitée aux deux exemples récents et médiatiques. Sous diverses formes et appellations, la gauche adore lancer ces comités Théodule et autres cercles de réflexion méconnus : rappelez-vous la « Conférence de consensus pour la prévention de la récidive » (sic) de Christiane Taubira, ou encore la « Conférence nationale sur la transition énergétique », qui a accouché d’une « Commission nationale de la transition écologique », forte d’une centaine de « parties prenantes ». Et comme cela ne suffisait pas, telle une macro-bactérie dans une boîte de Petri, cette dernière s’est divisée en « comités de suivi » de différents sous-sujets. Chaque jour, la République inaugure ainsi un nouveau joujou participatif. Alors que le gouverne- ment a commis, il y a moins d’un an, un « Haut-Conseil des finances publiques », sorte de protubérance de la Cour des comptes, François Hollande a annoncé, lors de sa conférence de presse, la création d’un « Conseil stratégique de la dépense publique ». Mentionnons quelques-uns des « observatoires » qui pullulent : Observatoire de la laïcité, de la gestion publique locale (placé auprès du flambant neuf « Haut-Conseil des territoires »), sans oublier le petit dernier, l’Observatoire des « contreparties » (des baisses de charges consenties aux entreprises), « auquel le Parlement sera associé » (Merci !).  Cette obsession de la concertation permanente est le symptôme d’une très grave crise de la démocratie représentative. Car, pendant qu’on multiplie et démultiplie les instances de réflexion illégitimes, que fait le Parlement ? Où est le Parlement ? Nulle part. Lorsque l’on consent à l’« associer », il n’est qu’une « partie prenante » parmi d’autres. Les Français pensent que l’État est partout, mais ces excroissances qui prolifèrent sur un os sans graisse, ne produisant que de la paperasserie et de la bureaucratie, n’ont rien à voir avec l’État.

Bienvenue dans la « post-démocratie », non plus technocratique, mais « néo-associative ».  Les instances de décision légalement élues, progressivement privées de leurs compétences et de leurs moyens, « tournent dans le vide ». C’est le cas des maires, à qui l’on a progressivement ôté tous les pouvoirs municipaux, désormais confiés à des instances supra-communales opaques. C’est le cas des députés, qu’on occupe à longueur de journée avec des colloques, des rapports et des jeux de rôle stériles paralysés par la rigidité des votes partisans, pendant que 80 % de la législation se fait à Bruxelles. C’est le cas du gouvernement, qui mène un État sans moyens.  Dans ces conditions, où se trouve le pouvoir ? Au milieu d’un magma d’instances opaques et para-administratives, ouvertes aux lobbies issus du privé ou du monde associatif. Ne nous y trompons pas : il s’agit bien d’une régression démocratique. Lorsque le citoyen ne peut plus suivre le cheminement de l’action publique, devenue illisible en se diffractant à travers des centaines de groupes, qui est gagnant ? Tous ceux qui barbotent dans cette gigantesque « mise en réseau » peuvent ainsi, de façon visible ou non, encadrer et orienter le débat. Or, ils sont choisis au sommet, discrétionnaire- ment, voire arbitrairement. Rappelons que le président Hollande a coupé les vivres au Haut-Conseil à l’intégration, partisan d’une laïcité ferme, et changé 22 des 39 membres du Conseil consultatif national d’éthique.  Cette post-démocratie en réseau a son vocabulaire propre, qui permet de sublimer la fin de l’État. Ce sont les « états généraux », préférés aux « Grenelle » (de droite), qui consistent à « mettre tout le monde dans une même salle », mais sans que nul Mirabeau risque d’y faire éclater une révolution. C’est le fameux « pacte », accommodé à toutes les sauces, sauf à celle des droits et devoirs. Qu’un pacte sans engage- ment n’ait aucun sens n’empêche pas la gauche de proposer des « pactes sociaux », des « pactes pour l’emploi », des « pactes de compétitivité ». Ironie sémantique qui croit faire moderne en ressuscitant le terme de Faust.  Ce que les « amis » des « parties prenantes » appellent pudiquement « mise en synergie » consiste à relier horizontalement les intérêts particuliers que l’on a dispersés façon puzzle. Où est l’intérêt général ? Où est la vision ? Où est la démocratie représentative ? Paralysés et volatilisés.  Il est grand temps de reprendre le secret du feu volé par ces usurpateurs. Ce feu couve sous le mot « citoyen », préempté par des officines idéologiques. En son nom, le nouveau clergé de la démocratie participative délivre un message biaisé : le citoyen n’est pas le petit soldat d’un intérêt catégoriel, mais le premier actionnaire de l’intérêt général.  Citoyens, on vous vole vos mots, votre représentation, et votre République : indignez-vous ![/access]

*Photo: Soleil

Février 2014 #10

Article extrait du Magazine Causeur



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est député UMP du Vaucluse

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