La démission rocambolesque de Gérard Collomb vient d’enterrer le corps encore chaud de Jupiter. Démis de toute onction, Emmanuel Macron n’est plus qu’un directeur général à la tête d’une start-up, dont les actionnaires majoritaires pourraient bien finir par lui demander des comptes.
Jupiter est passé de vie à trépas cet été. Nous l’avions acté fin août, faisant le bilan de cette affaire Benalla que les thuriféraires du nouveau monde macronien persistaient à comparer à une tempête dans un verre d’eau. Nous lui prévoyions une rentrée difficile. Elle s’avère catastrophique.
Les conséquences du papillon Benalla
Tous les Français ont pu voir Alexandre Benalla, rasé de près, bon pied bon œil, « se payer la fiole » des sénateurs, pour reprendre l’expression de l’élu socialiste bourguignon, Jérôme Durain, avant qu’on retrouve des vieilles photos, pas si vieilles photos, de sa jeunesse, osant un selfie avec « gun » pointé sur la tempe d’une jeune femme. On a aussi retrouvé sa trace à Londres en compagnie du sulfureux Alexandre Djouhri. Mais après tout, peu importe le sort de Benalla aujourd’hui. Ce qui importe ici, c’est ce que cela a révélé d’Emmanuel Macron.
Comme le battement de l’aile d’un papillon peut provoquer une réaction en chaîne faisant basculer le cours de l’histoire, la gestion présidentielle de l’affaire Benalla a des conséquences qu’on mesure encore aujourd’hui. On pourra nommer cela « l’effet tempête dans un verre d’eau ». Les études d’opinion sont formelles : le président n’a pas « pris le toboggan », il a emprunté la piste olympique de bobsleigh.
Nicolas Hulot aurait-il pu démissionner dans les conditions ubuesques qui ont été les siennes, sans le retrait du masque jupitérien ? Le doute est permis. Gérard Collomb aurait-il traité Emmanuel Macron comme il l’a fait depuis quinze jours, sans cette affaire estivale ? Cette fois-ci, pas de place pour le doute. Deux ministres d’Etat ont quitté le navire en un mois, piétinant l’autorité présidentielle, réduisant à néant les prétentions de demeurer en toute circonstance « le maître des horloges », expression qu’on ne pourra plus désormais entendre sans pouffer pour qualifier le président de la République.
Macron assume
Le pire, c’est qu’il semble s’y être résigné lui-même. Emmanuel Macron paraît avoir complètement pris acte que le manteau jupitérien n’était pas fait pour lui et décidé de se cantonner à la posture du directeur général de la start-up France. Ce DG si moderne qui, un jour secoue un jeune horticulteur et l’enjoint à traverser la rue pour trouver du boulot et qui, en visite aux Antilles, parle sur un ton similaire à un braqueur à peine sorti de prison, et se retrouve photographié avec lui dans une situation peu gaullo-mitterrandienne.
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L’organisation de la communication élyséenne a d’ailleurs été complètement repensée début septembre. On a écarté le principal tenant de la posture jupitérienne, coupable d’être allé lire devant les caméras le texte désastreux qu’on avait écrit pour lui. Le conseiller spécial Ismaël Emelien, dont le rôle dans l’affaire Benalla reste à éclaircir, a désormais les mains libres pour imposer sa vision « moderne » de la geste présidentielle, délestée de toutes ces évocations historiques ringardes.
Edouard Philippe assure l’intérim, mais de qui ?
La sortie de Gérard Collomb n’a pas seulement constitué une preuve supplémentaire de la perte de maîtrise de son propre agenda par Emmanuel Macron. Elle a offert deux autres enseignements.
Le premier, c’est qu’un proche parmi les proches du chef de l’Etat, l’un des premiers à avoir cru à son destin présidentiel, se trouve le premier à manifester son désamour. Et à le manifester de manière spectaculaire aux yeux de la France entière, révélant davantage la nudité du roi.
Le second, c’est que cet affaiblissement patent de l’Elysée est en passe de redistribuer les rapports de force au sein de l’exécutif. Edouard Philippe n’est-il pas aujourd’hui en possession des « clefs du camion » ? Pendant l’affaire Benalla, il a été le seul à tenir la baraque dignement au sein de la Macronie. La semaine dernière, il était plutôt à son avantage lors de la rentrée de l’Emission politique sur France 2, jouant finement la défense et le match nul face à Laurent Wauquiez, ce qui, compte tenu du contexte, apparaissait comme un résultat flatteur. Mardi, il affirmait son autorité, et inhabituellement sa mauvaise humeur, alors qu’on l’interrogeait sur le vrai-faux départ de Gérard Collomb. Mercredi matin, il organisait une passation de pouvoir glaciale avec le ministre démissionnaire Place Beauvau.
Les éléments de langage s’adaptant avec les saisons, la « tempête dans un verre d’eau » a été remplacée par « pas de crise politique », expression répétée comme un mantra par les chevau-légers macronistes. Crise politique, donc ? Très probablement. Assistera-t-on à une capitulation de l’Elysée face au regain d’autorité de Matignon ? Ou serons-nous témoins d’une confrontation entre les deux têtes de l’exécutif avec les clefs du camion pour enjeu ? L’identité du prochain ministre de l’Intérieur constituera sans doute un début de réponse.
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