Contrairement à la bravitude, l’humanitude n’est pas l’invention d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, mais celle d’un gang de gériatres. Pour apprendre à parler l’humanitude, allez donc faire un tour sur le site des Instituts Gineste-Marescotti !
Il est temps pour vous de vous familiariser avec la Philosophie de l’Humanitude, le Mourir Debout, la Manutention Relationnelle et la Capture sensorielle, sans manquer l’inoubliable Toucher Tendresse. Les heureux propriétaires de ces effarantes marques déposées et de toutes ces majuscules sont les infatigables estropieurs du verbe Yves Gineste et Rosette Marescotti. L’humanitude, il y a des maisons pour ça : les Instituts Gineste-Marescotti ou IGM, présents dans toute la France, en Suisse, en Belgique et au Luxembourg.
Entendons-nous bien : l’humanitude n’est pas une barbaritude, c’est un barbarisme. Les soins dispensés derrière ces terrifiants vocables sont sans doute excellents. Mais d’abord, qu’est-ce que « l’humanitude » ? Nos doctes gériatres-lexicologues emploient le terme dans trois sens. Il s’agit en premier lieu de l’ensemble des caractères spécifiquement humains : « le rire, l’humour, l’intelligence conceptuelle, la verticalité, l’habit, la socialisation » (aucune mention, curieusement, de la guerre ni de la cruauté somptuaire). Les gériatres en déduisent une sorte de human pride. Sois fier d’être un humain ! Lutte pour la reconnaissance et la visibilité de ton humanitude ! Bouge-toi pour ton espèce ! A titre personnel, en matière d’humanitude, je préfère Hubert-Félix Thiéfaine : « Morbac ascendant canular, affilié au Human fan club… »
« L’humanitude » désigne ensuite le sentiment qu’inspirent légitimement les caractéristiques humaines. Il porte en français un nom très simple : l’amour. « L’humanitude » est enfin une méthode de soin inspirée par l’amour, prenant en compte l’universel besoin humain de contact physique, de regard, de parole et de voix humaine. En gros, il s’agit donc de traiter les vieux avec amour. Au risque de vous choquer, moi aussi je suis pour. J’aime bien la dignité humaine. Je suis favorable à un peu d’humanitude dans un monde de brudes. L’abandon et le mépris de la vieillesse et des malades sont assurément un des traits les plus répugnants de l’époque. Mais est-ce une raison pour nous causer comme ça ?
Le site des IGM regorge de merveilles lexicales. De la « bientraitance » à « l’auto-feed-back », en passant par les « techniques de décontracture ». Il y est question de « techniques du prendre-soin qui sur le terrain donnent des résultats immédiats et spectaculaires : pacification de 90 % des comportements d’agitation pathologiques… » Tremblez, vieillards ! Après la Serbie et l’Irak, votre tour est venu ! On va vous pacifier la gueule avec humanitude ! Vous n’avez aucune raison d’avoir peur, « la philosophie de l’humanitude est basée sur l’approche émotionnelle et le respect des droits de l’homme. » Dans les IGM, nulle trace de médecins ou d’infirmières, il n’y a que des « soignants ». Il s’agit de « passer de la médecine « vétérinaire » à une rencontre des « humanitudes dans le soin » », car « on ne devient soignant qu ‘en s’occupant de l’humanitude ». Quand un « soignant » vous montre son « humanitude », une seule solution : le mordre ! Évidemment, à la longue on en vient à se demander si cette orgie d’inventions lexicales ne dissimule pas la pauvreté des inventions réelles en matière de soin. « Soigner avec humanité n’est pas prendre soin en humanitude », paraît-il. La différence : la modestie ? La métamorphose de l’amour en protocole médical sous haute surveillance ?
L’un des plus inquiétants concepts des IGM est quand même « le vivre et mourir debout », qui semble empreint d’un volontarisme médical assez obscène, voire moderne. Et qui évoque irrésistiblement des images d’une horreur burlesque : des lits installés verticalement contre les murs, les vieillards sanglés nuits et jours pour « rester debout » ? Ou pire : la scène de Blue Velvet de David Lynch où un cadavre est maintenu debout ligoté… Elle est belle, l’humanitude !
Preuve ultime que l’humanitude est un grand pas pour l’humanité : « Une récente étude, menée auprès de 111 personnes âgées de 67 à 101 ans, présentant une démence de type Alzheimer, a permis d’observer les modifications de comportement d’agitation de ces personnes. » Stupéfiante conquête de la science ! Placez cinquante vieillards dans un grand dortoir sans éclairage, plein de rats, d’araignées et de cactus, traitez-les par le silence, les coups et les crachats. Dans le même temps, placez cinquante autres vieillards dans un dortoir lumineux et spacieux, débordant de fleurs, parlez-leur, massez-les, souriez-leur, caressez leurs mains et leurs cheveux. Miracle de la bientraitance et de l’humanitude : à l’arrivée, la deuxième bande de vieillards se porte mieux que la première ! (Même si la première tire une consolation certaine de la fierté d’avoir participé à un protocole scientifique aussi grandiose.) L’amour est bon pour l’homme ! Comment le saurions-nous sans la science ?
Mais pourquoi préférer « humanitude » à « humanité » ? « Il nous est apparu que l’utilisation du mot humanité pouvait prêter à confusion. » Etonnant, non ? Certaines innovations lexicales manquent hélas encore à la panoplie Humanitude. A titre personnel, les mots « malades » et « morts » me choquent considérablement. Je suggère de les remplacer sans plus tarder par les plus convenables « personnes en cessation de santé » et « personnes en cessation de vie ».
En découvrant la bravitude sur la muraille de Chine le 7 janvier 2007, Ségolène Royale n’a pas posé la pierre fondatrice de l’itude attitude. Elle n’a fait que s’inscrire, avec panache, dans la longue tradition inaugurée en 1980 par Freddy Klopfenstein, l’inventeur du mot « humanitude », qui n’avait certes pas encore toute la richesse de sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Les vertus du préfixe « itude » sont multiples. Il est moderne, dérangeant, il est à lui seul un cri de liberté contre « le fascisme de la syntaxe ». Il rend toute vieillerie nouvelle. Il permet de rajouter une touche de cœur, un zeste de chaleur à n’importe quoi. Enfin, il est incontestablement plus scientifique.
La « pénibilité » doit faire encore un effort, afin de trouver sa maturité novlinguistique dans la « pénibilitude ». Les « incivilités » méritent haut les mains de devenir des « incivilitudes ». Innovitude, féminitude, altéritude, flexibilitude, sens des réalitudes, sécuritude et sincéritude sont les authentiques valeurs de demain, ou pire, d’aujourd’hui. L’itude attitude est sans conteste la sœur jumelle du « mariadage » cher à Philippe Muray.
Ah oui, et au fait, à propos… Elle est retrouvude !
– Quoi ?
– L’éternitude.
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