L’éditorial de l’été d’Elisabeth Lévy.
Delphine Ernotte doit souffrir d’insomnies. C’est pour ça qu’elle aime tant compter – pour s’endormir. C’est chez elle une véritable passion. Si elle pouvait, elle compterait jour et nuit : les Noirs, les Arabes, les femmes, les « L », les « G », les « B », les « T », sans oublier les éco-anxieux, les personnes à l’horizontalité généreuse et les allergiques au gluten. Dans ce registre, elle a un nouvel objectif : mesurer le temps de parole des femmes contre celui des hommes. C’est ce qu’on appelle une vision d’avenir. Curieusement, elle ne compte jamais les milliards que nous donnons à France Télévisions… Ce comptage frénétique lui permet de partager l’humanité en deux groupes, ou plutôt en deux groupes de groupes. D’un côté, les trop nombreux, le plus déplorable étant celui des mâles blancs auxquels elle a déclaré la guerre dès son arrivée à France Télévision en 2015. Et de l’autre, toutes les minorités blessées qui ne sont jamais assez représentées ou alors pas sous un jour assez flatteur.
Le hic, c’est qu’on n’a pas vraiment le droit de faire ce genre de statistiques. Le 5 juillet, elle était auditionnée par la commission des finances de l’Assemblée, dont elle semble apprécier le président, l’Insoumis Éric Coquerel, qu’elle a, paraît-il, croisé à Cannes, haut lieu des luttes intersectionnelles. Elle a évoqué le sujet avec un certain agacement. « Contrairement à la mixité où l’on peut compter le nombre de femmes, on n’a pas le droit de compter les différents autres signes de diversité. Cela ne nous aide pas à mettre en place des objectifs de progression sur ces différents items. Néanmoins, on progresse. » Traduit en français, ce sabir techno signifie qu’on n’a pas le droit de compter les gens en fonction de leur origine, alors qu’elle voudrait le faire dans le but évidemment louable de démontrer que les « issus de la diversité » ne sont pas assez nombreux sur nos écrans et de remédier à cette intolérable injustice.
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En attendant que ce frein à sa manie soit levé, la patronne de la télé publique compte les femmes. Au cas où ça vous aurait échappé, il n’y en a pas assez. Répondant à un élu insoumis qui déplorait que « la télévision publique renvoie une image biaisée de la population », elle a lâché cet incroyable aveu, dévoilant ses batteries idéologiques : « On ne représente pas la France telle qu’elle est, parce que si on le faisait, nous aurions toujours 5 % de femmes dans les expertes (rire pincé), on essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit. » Bien entendu, ce principe ne vaut pas seulement pour la place des femmes. Madame Ernotte mène un combat culturel. Avec notre fric. Je sais, c’est mesquin.
Il faut s’arrêter sur cette formule : « On ne représente pas la France telle qu’elle est, on essaie de la représenter telle qu’on voudrait qu’elle soit. » Mais qui t’a fait reine ? Qui est ce « on » ? Quand a-t-il été élu ? Delphine Ernotte a parfaitement le droit de vouloir transformer la République en syndicat de communautés récrimineuses, en aucun cas celui d’imposer cette conception au téléspectateur-payeur.
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La télévision publique a pour mission d’informer, d’éduquer et de divertir, ce qui n’est pas rien. Mais Madame Ernotte a des ambitions plus grandioses. Elle sait que les médias fabriquent du réel et elle entend bien utiliser ce pouvoir en œuvrant à notre rééducation collective. En bonne gramscienne, elle veut acclimater nos imaginaires à la France de demain pour accélérer et faciliter son avènement et, du même coup, la disparition symbolique de la France d’avant, accrochée à son histoire criminelle, sa laïcité liberticide et son antique différence des sexes.
Madame Ernotte n’est pas satisfaite du peuple français tel qu’il est – trop blanc, trop cis, trop clope-diesel-barbecue, trop hétéro –, elle va donc inventer pour la télé un peuple rêvé, qui incarnera toutes les composantes du joyeux patchwork identitaire qu’elle affectionne : race, religion, sexe, genre et habitudes alimentaires, tous les items y seront, tandis que les vilaines idées seront bannies. Après tout, c’est peut-être une bonne nouvelle. Le cliché du jeune Français noir ou arabe qui casse et qui pille, on en a tous ras-le-bol.