Chaque jour nous apporte un peu plus la démonstration que le camp des certitudes sombre dans la panique. Il s’y noie. Voilà que ses tenants se voient toujours davantage contraints de sortir du bois. Alors, les masques tombent.
Tant qu’ils n’avaient pas à gesticuler hors de leur zone de confort, nous pouvions les créditer a priori et sans plus d’examen d’une certaine capacité intellectuelle, d’une puissance dialectique potentiellement supérieure, d’un brio de la pensée et du verbe dignes de respect, si ce n’est d’admiration. Or, au gré des rares confrontations qu’ils acceptent – ou plutôt qu’ils ne sont plus en mesure d’éviter – on ne peut que constater chez eux un niveau plutôt consternant. Deloire et Jost, respectivement instigateur et artisan de la croisade anti-CNews, en sont les consternants exemples de ces derniers jours. Ils font l’actualité, et ils la font mal.
A lire aussi, Didier Desrimais: L’Arcom commence son fichage politique, sueurs froides à France inter
Nous passerons ici sous silence l’indigence des arguments qu’ils s’imaginent livrer dans les interviews. Quand ils en livrent. M. Deloire n’en est pas encore à ce stade, manifestement. Faute d’en avoir vraiment sous le pied, et réalisant sans doute qu’il s’est trompé de cour où faire rouler sa bille, il fuit, il quitte le plateau. François Jost, lui, sémiologue, prof d’université, ce qui peut valoir excuse aux yeux de certains, avoue tranquillement sur l’antenne de Sud Radio qu’il se range à l’avis du journal le Monde pour classer à l’extrême droite tel groupe ou telle association. Le Monde érigé, donc, en mètre étalon de mesure et de jauge idéologique pour la classification et l’évaluation de la pensée et des opinions. De même, quand on demande à ce grand intellectuel de se situer, puisqu’il faudra, selon lui et ces nouveaux inquisiteurs, que tout locuteur invité des médias le fasse, il répond, sans rire, Humaniste. « Je suis humaniste ». Outre que la réponse est des plus plates et d’une lâcheté déconcertante, elle est surtout sans aucune valeur. Pour un marxiste-léniniste, pour un révolutionnaire convaincu, un individu se déclarant humaniste est immédiatement classé à droite, relégué dans le marécage de la réaction bourgeoise. Pour un religieux traditionaliste, par exemple, il est à caser dans l’engeance plus ou moins voltairienne, agnostique, voire athée, donc à gauche. On aperçoit ainsi la nullité de la réponse apportée et, au-delà, la paresse du raisonnement.
Mais il y a bien pire. Et ce pire du pire est à chercher dans le principe même de la démarche. Ses promoteurs ne sont même pas dans l’état de vigilance intellectuelle qui leur permettrait de réaliser à quel point ce principe est, en soi, une impasse. Ou pour parler dru, une phénoménale connerie. Ils affirment être les chevaliers blancs du pluralisme. Sauf qu’ils en seront à terme les fossoyeurs (Ce qui, après tout, est peut-être bien leur but réel). Monsieur de La Palisse l’aurait dit infiniment mieux que moi : il n’y a pas de pluralisme sans pluralité, et c’est précisément cette réalité bien concrète que représente – ou tente de représenter – le système médiatique que nous connaissons. La liberté de la presse en actes, fruit d’un rude et noble combat. Avec au bout, donc, une pluralité, une diversité d’offres. Et c’est ainsi que ce pluralisme s’est trouvé – mécaniquement – enrichi par l’avènement d’une chaine comme CNews, puisque cette offre n’existait pas auparavant. En bonne logique, nos croisés du pluralisme devraient s’en réjouir. Au lieu de cela, au prix d’un contresens intellectuel à peine concevable, ils s’emploient à déplacer la norme du pluralisme de l’ensemble du spectre de la presse française à chacun de ses éléments, à chaque média en particulier (avec une focalisation militante, évidemment, sur CNews). Le pluralisme, la pluralité de l’offre ne relèverait plus de l’ensemble du paysage, mais, répétons-le de chaque élément, de chaque titre.
A lire aussi: Le Monde, propalestinien de référence
Transposé à la presse écrite, ce procédé reviendrait à exiger de L’Humanité une pluralité d’approches, d’invités, d’interviews, de sensibilités, etc. parfaite, conforme au manuel Deloire-Jost. Et, bien sûr, même exigence pour Le Figaro. Ce qui fera que, à terme, on aboutira tout bonnement, et surtout inéluctablement, à l’uniformité des contenus. C’est l’évidence même. Le résultat ne sera rien d’autre que la négation même de la pluralité, la vraie, la réelle, appréhendée comme elle doit l’être conformément à son principe, c’est à dire en prenant en compte l’intégralité de l’offre de presse et non sa fragmentation façon puzzle. Si on s’écarte de cette logique-là, la seule qui vaille, un seul journal suffira, au fond. Tel est peut-être bien l’impensé ou l’inavoué des Deloire et Jost (et de leurs mandants, bien sûr). D’ailleurs, Jost, mine de rien, nous a fait gagner un temps précieux dans la perception de cette affaire puisqu’il nous a livré le titre du journal unique et idéal selon lui : Le Monde.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !