La plupart des gens admettent volontiers que l’iPhone est un formidable succès pour Apple en particulier, mais aussi pour l’économie américaine en général. Ce que la plupart des gens ne savent pas, en revanche, c’est que, du point de vue de la comptabilité nationale américaine, l’iPhone a contribué à creuser le déficit commercial américain parce qu’il se trouve que l’iPhone – appareil imaginé et conçu par des ingénieurs américains (ou du moins vivant aux Etats-Unis) – est principalement assemblé en Chine puis vendu un peu partout dans le monde… et notamment aux Etats-Unis. Une étude récente du ADB Institute calcule ainsi que l’iPhone a creusé le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine de 1,9 milliard de dollars en 2009. Les méfaits de la mondialisation ! Imaginez donc un peu ça : des Américains dépensent des millions en recherche et développement pour concevoir un produit, délocalisent la production en Chine et finissent par acheter leurs propres produits aux usines chinoises ![access capability= »lire_inedits »]
Reprenons pour bien comprendre. Pour construire un iPhone, il vous faut tout d’abord quelques composants de base. Ces derniers sont produits notamment par Toshiba (Japon), Samsung (Corée du Sud), Infineon (Allemagne) mais aussi par quelques entreprises américaines comme Broadcom, Numonyx et Cirrus Logic. Foxconn, la société taïwanaise qui assemble les iPhone en République populaire de Chine (à Shenzhen), doit donc importer ces composants avant de commencer l’assemblage : facture totale estimée à 172,46 dollars par appareil, dont 10,75 dollars pour les trois entreprises américaines citées plus haut. Le coût de l’assemblage dans les usines de Foxconn étant de 6,5 dollars, ce sont donc 178,96 dollars que la firme de Steve Jobs doit débourser pour chaque appareil fini.
En termes de comptabilité nationale, on a donc bien un déficit commercial de 168,21 dollars (172,46 dollars, le prix du produit fini, moins 10,75 dollars, le prix des composants exportés des Etats-Unis vers la Chine) pour chaque iPhone assemblé en Chine et vendu aux Etats-Unis. On en conclut que cet apparent succès n’est qu’illusion et que l’intérêt général des citoyens américains commande à Apple de relocaliser la production aux États-Unis ou, le cas échéant, de cesser la production au plus vite.
Là, en principe, vous devriez sentir que quelque chose ne colle pas. D’un côté, vous savez – parce qu’on vous l’a dit et répété – qu’« un pays qui importe plus qu’il n’exporte s’appauvrit » (et que c’est très grave) mais, en même temps, l’idée que le succès de l’iPhone puisse être un facteur d’appauvrissement pour le peuple américain… c’est quand même un peu bizarre non ?
La seule chose qui compte, c’est la « valeur ajoutée »
Rassurez-vous, il y a bien un loup. En 2009, Apple vendait son iPhone 500 dollars pour un coût de production de 178,96 dollars et dégageait donc une valeur ajoutée de 321,04 dollars par appareil. Cette notion de « valeur ajoutée » – qui correspond en gros à la marge brute d’une entreprise, pour les amateurs de comptabilité privée – est une notion absolument essentielle pour comprendre ce qu’est une économie. La valeur ajoutée d’une activité économique, c’est la quantité de richesse qu’elle crée. Plus une économie crée de valeur ajoutée, plus elle crée de richesse, plus elle peut en distribuer. Ce que nous appelons « Produit intérieur brut », c’est la somme des valeurs ajoutées créés dans une économie ; ce que nous appelons « croissance », c’est la variation de cette somme de valeurs ajoutées d’une année sur l’autre. Quand Apple crée 321,04 dollars de valeur ajoutée, ça signifie que Steve Jobs est ses petits camarades de jeu vont pouvoir distribuer 321,04 dollars en salaires, impôts et bénéfices.
De la même manière, quand Foxconn facture 178,96 dollars à Apple, la valeur ajoutée qui revient effectivement à l’assembleur (et donc à l’économie chinoise) s’élève à 6,5 dollars. Le solde –172,46 dollars – représentant le coût des éléments achetés à Infineon, Dialog Semiconductor, Toshiba, Murata, Samsung, Broadcom, Numonyx, Cirrus Logic et quelques autres fournisseurs mineurs… La production d’un iPhone va donc aussi créer de la valeur ajoutée en Allemagne, au Japon, en Corée du Sud et – de nouveau – aux Etats-Unis. Bien sûr, chacune de ces entreprises a, à son tour, des fournisseurs. Par exemple, pour produire des semi-conducteurs, Dialog Semiconductor doit acheter – entre autres – du silicone : une fraction du 1,3 dollar payé par Foxconn servira donc à payer un producteur de silicone quelque part dans le monde (lequel, au passage, créera sa part de valeur ajoutée).
Il est extrêmement difficile de remonter toute la chaîne de production de l’iPhone et, donc, de déterminer qui, exactement, a créé combien de valeur ajoutée : peu de gens imaginent à quel point construire un simple grille-pain est complexe. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que, quand Apple vend un iPhone 500 dollars, elle crée plus de 320 dollars de valeur ajoutée supplémentaire dans l’économie américaine et un peu moins de 180 dollars un peu partout dans le monde.
Il est donc faux de dire qu’« un pays qui importe plus qu’il n’exporte s’appauvrit ». Ce que montre l’exemple de l’iPhone, c’est que ce produit, qui pourrait bientôt peser pour près de 1 % dans le déficit commercial des Etats-Unis à lui seul, est une véritable bénédiction pour le peuple américain qui empoche 64 % de la valeur ajoutée générée par le bidule et s’apprête à en vendre une petite centaine de millions en 2011. L’iPhone, ce ne sont pas seulement des milliers d’utilisateurs qui s’amusent avec un gadget technologique[1. Je ne me moque pas, j’en fais partie]. L’iPhone, ce sont aussi des milliers d’emplois aux Etats-Unis, en Chine, au Japon, en Allemagne, en Corée du Sud… et allez savoir où encore. L’iPhone, ce sont des entreprises qui gagnent de l’argent, investissent, se développent, embauchent et – accessoirement – paient des impôts. Quand Apple produit un iPhone, personne ne s’appauvrit : de l’ouvrier chinois qui l’a assemblé à l’ingénieur du siège californien qui l’a conçu en passant par le matelot du cargo qui l’a transporté, personne n’a perdu, tout le monde a gagné. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les seuls peuples qui n’ont rien à gagner dans cette mondialisation si universellement décriée sont ceux qui n’y participent pas.[/access]
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !