On ne m’empêchera pas de penser que la montée du Front National a quelque chose de comique. Plus les intellectuels ferraillent contre le fascisme, plus ils nous amusent. Plus les frontistes sont assimilés au passé, plus ils façonnent l’avenir. Si j’étais un partisan de la diabolisation de Le Pen, je pense que je me poserais des questions. Sartre disait que les Français n’ont jamais été aussi libres que sous l’Occupation. Avançons d’une époque, et reconnaissons que les frontistes n’ont jamais été aussi libres que sous le règne médiatique de Bernard-Henri Lévy.
Il est toujours possible de faire appel à la notion de populisme pour expliquer la troublante vitalité des frontistes. On peut également faire appel à la souffrance des votants, ou bien à leur déclassement supposé. Enfin, et comme Mélenchon, on peut toujours se dire que cette montée confirme la justesse du combat contre la Bête Immonde. C’est une explication facile, qui consiste à se donner le beau rôle. En quoi elle paraît tout à fait conforme à la haute idée que ces Messieurs de la Résistance se font d’eux-mêmes.
Ce que les antifascistes n’ont toujours pas compris, c’est que la diabolisation est la forme inversée du narcissisme. Tout le monde n’est pas censé haïr Marine Le Pen, parce que tout le monde n’est pas censé se prendre pour Jean Jaurès, Jean Moulin ou André Malraux. Pour qui n’a jamais souhaité lutter contre la politique autrement que sous une forme comique, cette croisade moralisante et vaine a quelque chose de fatiguant – d’autant qu’elle dure depuis trente ans. Elle nous contraint à réviser notre conception du ridicule. Elle nous contraint surtout à reformuler la prière du vrai philosophe.
Seigneur, délivrez-nous des antifascistes. Pour ce qui est du fascisme, je m’en charge.
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