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« Délit d’outrage sexiste »: pourquoi Macron raconte n’importe quoi


« Délit d’outrage sexiste »: pourquoi Macron raconte n’importe quoi
Emmanuel Macron prononce, à l'Elysée, un discours sur les violences faites aux femmes, novembre 2017. SIPA. AP22133790_000015

« Nous créerons le délit d’outrage sexiste verbalisable immédiatement avec un montant dissuasif. #NeRienLaisserPasser ». La rédaction martiale de ce tweet issu du compte d’Emmanuel Macron nous annonce que les harceleurs de rue et les coinceurs d’ascenseur n’ont qu’à bien se tenir.

Hélas, une fois de plus la communication désinvolte a pris le pas sur le sérieux que l’on devrait pouvoir attendre d’un président de la République en exercice sur un sujet comme celui-là. Le débat lancé par le déclenchement de l’affaire Weinstein a généré un impressionnant foutoir, devenu guerre des sexes, où règne une grande confusion. Médias et réseaux mélangent tout, faisant de l’homme un prédateur a priori, contre lequel on réclame à grands cris et avec la gourmandise habituelle une répression pénale accrue.

Le président de la République ayant décidé d’intervenir, pour une cause qui le mérite vraiment on pouvait espérer le retour d’un peu de clarté et pourquoi pas de sagesse. Attente déçue, la rédaction du tweet prouve à nouveau que l’on n’enseigne pas le droit à l’ENA, et qu’Emmanuel Macron partage l’inculture juridique de la haute fonction publique dont il est issu. Essayons de comprendre et d’imaginer les conséquences de cette déclaration flamboyante.

Ce gloubi-boulga est un outrage au droit

Tout d’abord, le chef de l’État annonce la création d’un « délit ». Dans la hiérarchie des infractions, la plus grave est le crime, justiciable de la cour d’assises, vient ensuite le délit jugé par le tribunal correctionnel, et enfin la contravention relevant de la compétence du tribunal de police. Fort bien, donc, s’il s’agit d’un délit, ce nouvel « outrage sexiste » relèvera d’un passage en correctionnelle ? Ah oui mais non, puisqu’on nous dit qu’il sera verbalisé immédiatement. Ce qui n’est possible que pour les contraventions justiciables d’une amende de composition, comme les infractions les moins graves au code de la route. Où la simple constatation irréfutable par agent assermenté (stationnement gênant, franchissement de ligne jaune, traversée en dehors des clous…) d’une infraction au code de la route permet d’infliger une amende sans qu’il soit besoin de passer devant un juge. Par conséquent déjà, « délit » et « verbalisable immédiatement, avec montant dissuasif », ça ne va pas ensemble et c’est même carrément contradictoire.

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« Outrage sexiste » ensuite, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? D’abord, dans le harcèlement il y a les gestes, ces signes et ces attouchements qu’en général le harceleur s’efforce de faire sans témoin, et surtout pas en présence d’un représentant assermenté des forces de l’ordre. C’est d’ailleurs tout le problème, puisque la preuve de ce comportement est très difficile à rapporter, et que les principes internationalement reconnus du droit pénal interdisent l’inversion de la charge de la preuve. Il est donc indispensable dans ce cas, que le dossier soit soumis au juge du fond qui, lui, pourra apprécier et arbitrer entre les paroles des uns et des autres. Donc, Monsieur le président, la « verbalisation immédiate » et la perception d’une « amende dissuasive » sans recours à l’intervention du juge, c’est même pas en rêve.

Bientôt la police des outrages

« L’outrage sexiste », ce sont aussi des paroles, interpellations, moqueries, insultes qui peuvent rendre insupportable et humiliante la traversée de certains quartiers. Si un agent assermenté est dans les parages (ce qui arrive parfois dans la rue), et s’il a clairement entendu ces expressions blessantes, on peut imaginer de réprimer ce comportement. Le problème en matière d’expression est que la liberté en est le principe, les limitations assorties de sanctions, l’exception. Qui relève constitutionnellement de la loi qui peut en prévoir un nombre limité et justifié. Et la règle impérative veut que ce soit le juge qui apprécie souverainement l’infraction, la réalité des mots prononcés ou écrits et,  bien sûr, le contexte particulier.

Lors d’un de ses spectacles, Guy Bedos avait traité Nadine Morano de « conne », ce qui est littéralement une injure. Celle-ci avait déposé plainte, mais le tribunal correctionnel a relaxé l’amuseur, au motif, non pas comme l’ont prétendu les imbéciles que Nadine Morano méritait réellement le qualificatif, mais que cela était acceptable dans le contexte des sketches de Bedos. Le policier qui aura l’oreille qui traîne ne pourra donc faire autre chose qu’établir un procès-verbal de ce qu’il a entendu.

Enfin, un petit mot sur ce qui pourrait être outrageant. La loi réprime déjà les injures publiques et nous disposons d’une jurisprudence abondante. En revanche qu’est-ce qu’un « outrage » ? La langue française recèle des trésors d’injures et d’insultes de nature à concurrencer le répertoire du capitaine Haddock. Dont beaucoup ont comme caractéristique le double, voire le triple sens. Et comme à tout cela il faut ajouter la subjectivité de la personne qui reçoit les paroles en cause, un malentendu est vite arrivé. Faudra-t-il établir une nomenclature que les gardiens de la paix auraient toujours sur eux ? Je conseillerais désormais à tous ceux souhaitant dire une gentillesse, d’attendre soigneusement le tête-à-tête, et de vérifier l’absence de micros avant de l’ouvrir. Et de ne surtout pas croire celles qui après avoir acclamé la campagne #balancetonporc, semblant se raviser, viennent vous dire qu’elles adorent les compliments, les fleurs, qu’on leur tienne la porte, et que l’on paye au restaurant. Vouloir dire « Madame vous êtes charmante » à Caroline de Haas, serait le symptôme irréfutable de tendances suicidaires.

Toubon a tout faux

Une fois de plus, mauvaise pioche Monsieur le président, il était inutile d’écrire n’importe quoi, vous ne créerez rien du tout. Et le problème indiscutable restera entier. Parce qu’il est aussi et surtout affaire de culture et d’éducation. Dans le meilleur des cas, vous proposerez au Parlement d’instaurer une nouvelle limitation impraticable à la liberté d’expression. Il y a malheureusement tout à craindre de l’Assemblée nationale actuellement en exercice, il nous restera à compter sur le Conseil constitutionnel, que l’on espérera moins sensible à la pression du lobby du féminisme victimaire et moins désinvolte que vous avec les principes juridiques.

Jacques Toubon, pilier docile de la chiraquie à l’intelligence peu convaincante, fut un garde des Sceaux assez catastrophique, par ailleurs ridiculisé par le Canard enchaîné pour avoir envoyé un hélicoptère dans l’Himalaya récupérer un procureur alpiniste et le ramener à son tribunal, afin, espérait-t-il, que ledit procureur étouffe une affaire gênante pour les amis de Toubon. Ce que, prudent et consciencieux, le magistrat se garda bien de faire. Il avait depuis disparu de la première page des gazettes et tout le monde s’en portait bien. Patatras, à la disparition de Dominique Baudis, François Hollande, jamais en retard d’une perversité et sachant très bien ce qu’il faisait, le nomma « Défenseur des droits ». Un nouveau Toubon était né, touché par la grâce du gauchisme sociétal, il se mit à embrasser sans barguigner toutes les causes tordues, pour peu qu’elles soient à la mode.

Son tweet publié samedi 25 novembre, sur le compte du Défenseur des droits est finalement assez terrifiant. Rappelons que l’on a confié la défense de « nos droits » à quelqu’un qui ne les connaît pas et semble s’en moquer, prêt qu’il est à agir pour le renversement de la charge de la preuve en matière pénale et l’abandon de la présomption d’innocence. Parce que c’est bien ce qu’affirme son texte.

L’ambiance commence à devenir vraiment lourde.



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