Avec Délicieux, le réalisateur Éric Besnard aborde, avec celle des restaurants modernes, les origines d’une passion française pour la bonne chère. Un film qui donne de l’appétit.
La disparition des restaurants est-elle en marche ? Les mesures gouvernementales prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 (confinement, couvre-feu, passe sanitaire) leur seront-elles fatales ? C’est ce que d’aucuns croient ou veulent croire. Ou, encore, ce dont menacent certains restaurateurs qui, actuellement, peinent à trouver du personnel. Quand ils n’exigent pas qu’on coupe le robinet du « quoi qu’il en coûte » à tous ces « feignasses » préférant « rester chez eux à ne rien faire » plutôt que d’aller se faire insulter par des « clients-rois » ou hurler dessus par un despote pour trois fois rien.
Invention du restaurant
Si les restaurants devaient effectivement disparaître prochainement, comme ont disparu naguère les fabriques de sabots, une chose est à peu près sûre : l’existence de ce type d’établissement, aura finalement été bien brève. Car si l’on en croit l’historien Antoine de Baecque, auteur de La France gastronome (Payot, 2019), l’irruption du restaurant moderne dans notre histoire nationale (et conséquemment des restaurateurs) comme l’essor de la gastronomie, entendue comme « art de la bonne chère » (Dictionnaire Le Robert), sont des phénomènes très récents. Le pionnier, l’homme sans qui rien de tout cela ne serait arrivé est un dénommé Mathurin Roze de Chantoiseau. C’est lui qui, en 1765, fait « servir une volaille au gros sel accompagnée d’œufs frais sur une petite table de marbre dans une boulangerie de la rue des Poulies [à Paris], contournant toute une série d’interdits et de privilèges de l’Ancien régime qui empêchaient qu’un particulier, qu’il soit traiteur, tavernier ou qu’il tienne une table d’hôte, puisse nourrir ses semblables dans un établissement clos, aménagé comme tel et pourvu de tables individuelles ».
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Comme souvent en France, c’est donc à Paris que tout commence. Mais c’est avec la Révolution Française que « ce nouveau type d’établissement connaît un essor rapide, même fulgurant, à la toute fin du XVIIIème siècle ». Lorsque, des abords du Palais-Royal, les restaurants apparaissent dans le reste de la capitale et se répandent « en province », dans ce qui est devenu une république, puis un empire, après avoir été des siècles durant un royaume.
Les restaurants français tels que nous les connaissons encore n’ont pas toujours existé. Pour tout savoir de leur apparition et de leur foudroyant succès en France puis dans le reste du monde, et ainsi briller durant un repas, on peut donc lire La France Gastronome d’Antoine de Baecque. On peut, si l’on ne souhaite pas tout savoir, juste se faire une (bonne) idée de ce qu’il s’est passé au XVIIIème siècle pour que rien ne soit plus tout à fait comme avant, aller voir Délicieux, long-métrage en ce moment à l’affiche, réalisé par Éric Besnard (L’esprit de famille, 2020 ; Le goût des merveilles, 2015), avec Grégory Gadebois, Isabelle Carré, Benjamin Lavernhe, Guillaume de Tonquédec.
Célébrer la passion française pour la gastronomie
Délicieux n’est ni un documentaire, ni un « docu-fiction ». C’est une fiction tout court, mettant en scène la vie de Pierre Manceron, un maître-queux chassé du château dans lequel il officiait pour avoir involontairement provoqué l’humiliation de son employeur, le duc de Chamfort, en proposant ses « audacieuses » créations culinaires, et qui se retrouve contraint à une traversée du désert dans le Cantal.
Au travers de ce personnage fictif, Éric Besnard aide les spectateurs à sentir ce qui travaillait la société d’alors, ce qui agitait les habitants d’une France s’apprêtant à tourner le dos à un ordre millénaire, celui dit « d’Ancien Régime », pour un nouveau, « égalitaire », comme l’avait très bien perçu, dès le début ou presque, Alexis de Tocqueville. Éric Besnard aide aussi les spectateurs à comprendre comment le restaurant moderne s’est imposé au détriment du relais de poste miteux, de l’auberge crasseuse et, surtout, comment son principe a supplanté le repas noble, celui qui, loin du « service à la russe » (à l’assiette), fait passer les plats aux convives pour qu’ils se servent. Comment, en quelques mots, les Français se sont pris de passion pour la gastronomie jusqu’à faire de la cuisine un trait spécifique de l’identité française.
Comme Délicieux est une fiction, rien n’est vrai en tant que tel. Mais faut-il le déplorer ? Pour faire comprendre à tous ce qu’était selon lui un avare, Molière avait imaginé Harpagon. Et Balzac, le père Grandet. Personne, sauf cas pathologique, ne s’est jamais avisé de leur reprocher d’avoir mis en scène ou décrit quelqu’un n’existant pas en tant que tel dans la réalité. Il n’y a pas non plus lieu de tenir grief à Éric Besnard d’avoir filmé une histoire certes fictive, mais bâtie à partir de faits établis par les historiens. D’une certaine manière « inspirée de faits réels ». Ce qu’on peut en revanche pointer, c’est la faiblesse, parfois, du scénario et, quelques fois, du jeu de certains acteurs. Là, effectivement, il y a à redire. En effet, le personnage de Louise, moyennement crédible, plombe un peu le film, même s’il ravira sans doute les amateurs de romance.
En dehors de cela, Délicieux est une agréable surprise et, assurément, un film à voir. Et d’autant plus à voir que sa photographie, qui met comme jamais en valeur la beauté naturelle du Cantal, grâce à une « transparence » dans l’air qui aurait sûrement conquis le Jean Ferrat de « Ma France », est somptueuse. Et que sa musique, composée par Christophe Julien, très « dix-huitièmiste », pleine de harpe, de clavecin et de piano, est quant à elle un ravissement pour les tympans.
Délicieux, 2021, 1 h 53 mn, en salles.
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