Avec 164 milliards d’euros de déficit commercial, la France affiche sa pire performance depuis l’après-guerre. Cependant, les marchés financiers s’en accommodent. Ils sont davantage obsédés par les résultats des grands groupes mondialisés que par la désindustrialisation des pays occidentaux. Les remèdes pour sortir du déclin existent, mais l’UE nous les interdit.
On cherchera vainement dans les premières pages de nos quotidiens l’annonce des derniers chiffres de notre commerce extérieur. Est-ce la faute au conflit ukrainien ou à la crise énergétique, sujets essentiels ? Peut-être, mais plus encore, sans doute à l’indifférence à un sujet qui fâche : la France administrée par Emmanuel Macron affiche la pire performance commerciale de l’après-guerre.
Sur l’exercice 2022, notre balance commerciale s’avère déficitaire de 164 milliards d’euros, contre 78 milliards en 2021. Le bateau France prend l’eau mois après mois.
Le silence des grands médias contraste avec la mise en exergue qui s’imposait il y a quarante ans au moment de l’échec sans gloire du « socialisme à la française ». On soulignait alors que la relance keynésienne avait creusé les déficits intérieur et extérieur sans véritable profit pour l’emploi et la production. Et cet échec allait ouvrir la voie à une nouvelle configuration de politique économique qui est encore la nôtre.
C’était une autre époque, c’était un autre monde. Les pays déficitaires, à l’exception notable des États-Unis dotés de la devise internationale, étaient impitoyablement sanctionnés lorsque leurs comptes extérieurs dérivaient. Et la France dut rétablir ses propres comptes au moyen de trois dévaluations successives assorties d’un plan d’austérité.
Pourquoi aujourd’hui les marchés financiers s’accommodent-ils d’une situation qui aurait entraîné auparavant leur désaveu cinglant ? Il y a bien sûr notre inclusion dans l’euro qui dissimule notre échec. Mais la vérité est que les critères des marchés financiers ont radicalement changé. Les performances en matière de production et d’emploi, et, par-dessus tout, la santé financière des grands groupes mondialisés, obsédés par la création de valeur pour l’actionnaire, prennent le pas sur toute autre considération. Et qu’importe que cette création de valeur, basée sur une délocalisation opportuniste, affaiblisse les appareils de production.
L’erreur à ne pas commettre serait de poser un diagnostic global de manque de compétitivité, sans voir exactement où le bât blesse. Il faut toujours « ventiler » pour mettre au jour les défaillances sectorielles.
L’industrie abandonnée
Enjambons le déficit énergétique, « normal », qui s’est cependant aggravé avec la réduction de notre capacité nucléaire, pour aller au cœur de notre drame économique : le déclin de notre production industrielle et de nos exportations de produits manufacturés.
L’année 2000 est la référence. Notre production industrielle a depuis chuté de 10 %, mais bien plus s’agissant de la production par tête. Nos présidents ont abandonné l’industrie sous l’influence perverse des apôtres de la société « post-industrielle », tandis que notre inclusion dans l’euro les a délivrés de la hantise d’une crise monétaire. Le naufrage commercial apparaît comme le plus saisissant stigmate de ce déclin industriel. Notre commerce était encore équilibré en 2000, malgré les importations d’hydrocarbures et la forte demande intérieure. Or, au troisième trimestre 2022, le déficit en produits manufacturés culminait à 21 milliards d’euros en dépit de l’excédent croissant du secteur aéronautique et spatial. La filière automobile en revanche, affiche un déficit de près de 5 milliards, qui contraste avec l’excédent de 12 milliards enregistré en 2000. Le déclin relatif des marques françaises s’est conjugué avec la délocalisation sans états d’âme de nos entreprises.
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Cet échec commercial pose la question de la validité du système économique français. Oublions un instant le mot fétiche « compétitivité ». À chaque fois que notre déficit commercial s’aggrave, la France « exporte du PIB, des emplois productifs, des revenus et des recettes publiques ». Tout notre édifice de services publics et de prélèvements obligatoires adjacents s’enfonce silencieusement dans des sables mouvants. Là est le fond du problème économique, financier et social français. Face au défi intérieur grandissant représenté par la montée de l’insécurité et au défi de la menace extérieure, la capacité d’action de l’État se réduit année après année en proportion de la force de production sur le site français.
Or, hormis quelques personnes attachées à la pérennité de la France, la majorité présidentielle ânonne sur le thème inépuisable des réformes de structure, comme si la réforme des retraites pouvait réduire de 20 ou 25 % notre coût du travail, tandis que l’opposition gauchiste prône un nouveau programme à base de fonctionnariat et de réduction d’une durée du travail qui est déjà la plus basse du monde !
Les États désarmés
Laissons les esprits forts, Macron et Mélenchon, dans leur rôle. Nous sommes enfermés dans une souricière. Les deux remèdes objectifs nous sont interdits. La sortie de l’euro est le premier tabou. Nous comprenons aujourd’hui que la monnaie unique n’est pas un outil économique, mais une de ces idoles auxquelles il serait sacrilège de toucher. Et l’Europe sacro-sainte prohibe, depuis l’entrée dans le marché unique en 1993, le deuxième remède qui consisterait en un allégement massif de charges sociales ciblé sur les secteurs industriels exposés à la concurrence extérieure. De même prohibe-t-elle le soutien des États aux secteurs naissants et aux innovations économiques ou écologiques – le projet Airbus ne pourrait plus voir le jour. L’échappatoire serait d’abaisser drastiquement les salaires dans l’industrie et les services qui lui sont dédiés, au prix d’un suicide politique pour les gouvernants. Les traités européens ont atteint leur objectif crucial : désarmer les États.
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Nous ne voyons de changement possible qu’à la faveur de turbulences sociales qui redistribueraient les cartes en obligeant les politiques et les médias à une révision déchirante de leur idéologie. Mais c’est s’illusionner encore, dès lors que les idéologues sont plus têtus que les faits.