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Défense et Illustration de Patrick Buisson


Dimanche soir, à vingt heures précises, au moment exact où la face poupine de notre nouveau président apparaissait sur les écrans de télévision, commençait une chasse à l’homme réunissant, pour une fois, la droite et la gauche, unies dans une même détestation. Le gibier ? Patrick Buisson, présenté par les médias comme « le mauvais génie » de Nicolas Sarkozy, auquel les uns reprochent de n’avoir pas su empêcher leur déroute, et les autres, d’avoir failli les priver de victoire. Retour sur un personnage qui en arrange, et qui en dérange.

Buisson, c’est d’abord l’homme qui arrange bien une droite vaincue, victime de ses propres incohérences, et trop contente de trouver, hors de ses rangs mais très visible, le bouc émissaire idéal, celui qui lui permettra, à moindres frais, de se défausser de ses responsabilités. Sans Buisson, en effet, elle aurait été contrainte de procéder à son autocritique, de se demander pourquoi elle s’est fait battre par un candidat dont elle soulignait naguère qu’il n’avait ni charisme, ni programme, ni crédibilité. Et pourquoi les Français ont à ce point manqué de gratitude à l’égard d’un Président qui a su faire plier Bush et Poutine, résister à la crise, résoudre le problème des retraites et sauver l’euro. Mais grâce à Buisson, tout ceci devient inutile, superflu : si l’UMP a perdu, ce n’est pas de sa faute à elle, c’est tout simplement parce qu’il l’a menée dans l’impasse. Pas la peine d’aller plus loin. La preuve ? B. le Maudit a la tête de l’emploi.

Buisson a eu beau montrer patte blanche, jurer ses grands dieux qu’il n’est ni raciste, ni antisémite, qu’il ne mange pas de petits enfants ni n’égorge de vieilles dames, le soir, entre chien et loup, et mettre au défi quiconque de prouver le contraire, il a eu beau travailler depuis des années pour le groupe TF1, faire les belles heures de LCI puis de La chaîne Histoire, publier chez de grands éditeurs des best-sellers érudits salués par la critique, et même recevoir des satisfecit à répétition de la diaspora trotskiste, de Michel Field à Cambadélis et Mélenchon[1. Qui alla jusqu’à assister à la cérémonie au cours de laquelle le président Sarkozy lui remit la Légion d’honneur.], bref, Buisson a eu beau exhiber tous les témoins de moralité du monde, il reste, pour ceux que cela arrange, le mouton noir idéal. « L’homme que vous adorez haïr », le Von Stroheim de la vie politique française, aussi chauve, impavide et effrayant que son modèle (on le soupçonne de porter le monocle en cachette !).

Car non content d’avoir été brièvement rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute il y a 25 ans, Patrick Buisson a l’audace d’être le fils d’un ingénieur maurrassien – sans même parler du fait que ce catholique a eu le front de se faire décorer de l’ordre de Saint Grégoire le Grand par le pape Benoît XVI en personne, dont nul n’ignore les liens avec la Hitlerjugend. Que dire de plus ? Un tel pedigree suffit à discréditer un homme, et à faire peser sur ses analyses, sur ses faits et gestes, et surtout, sur ses intentions cachées « les plus noirs soupçons », comme disaient les feuilletonistes du XIXe siècle. Il permet de le charger de tous les péchés de l’univers, et de lui faire porter sans remords le chapeau pour tous les autres.

D’autant que les autres, les éléphants de l’UMP, petits ou gros, lui en ont toujours voulu, du temps de sa gloire. Voulu, bien sûr, des marques d’estime que lui prodiguait alors le président : le 24 septembre 2007, en lui remettant la croix de la Légion d’honneur dans les salons privés de l’Élysée, Nicolas Sarkozy déclarait ainsi, devant un aréopage choisi : « Il y a très peu de personnes dont je puisse dire « si je suis là, c’est grâce à eux ». Patrick Buisson est de ceux-là. » On imagine sans peine les sourires crispés et la jalousie rentrée d’une bonne partie de l’assistance. Presque cinq ans plus tard, dans un entretien donné à l’hebdomadaire Valeurs actuelles, le président confirmait qu’il n’avait pas changé d’avis, déclarant de son conseiller qu’il était « aujourd’hui l’un des meilleurs connaisseurs de la société française, de sa complexité et de ses attentes ». « Sans toi, je n’étais pas au second tour », lui avoue-t-il encore le 22 avril.

Non content d’éclipser les éléphants, Patrick Buisson, affirme la rumeur, multipliait à leur encontre les rebuffades et les marques de dédain, refusant ostensiblement de frayer avec des ministres qui, à l’époque, auraient rêvé d’entrer en contact avec celui qui conseillait leur chef. Monstre de morgue et d’outrecuidance, Buisson jugeait apparemment avoir mieux à faire que de parler philosophie politique avec Xavier Bertrand, littérature du XVIIIème avec Frédéric Lefebvre ou stratégie constitutionnelle avec David Douillet: un genre d’affront qui ne se pardonne pas. Contraints de garder pour eux leurs rancœurs et leurs jalousies, les éléphants ont enfin la possibilité de se venger en piétinant le coupable. Ou en se permettant des épigrammes aussi relevées que celle de Patrick Devedjian, déclarant : « Dans la famille Buisson, je préfère Ferdinand » – ce qui, par delà la référence au fondateur de la Ligue des droits de l’homme, permet au passage de saluer le socialiste Vincent Peillon, qui vient de lui consacrer une biographie enthousiaste.

Si, à l’UMP, Patrick Buisson arrange beaucoup de monde, à gauche, il dérange – comme celui qui a failli coûter la victoire aux socialistes, et parce qu’il paraît l’un des mieux placés pour pouvoir, dans un futur indéterminé, leur faire perdre les élections.
Que la stratégie conçue par Buisson ait été sur le point d’empêcher l’élection de François Hollande, les chiffres en témoignent, Nicolas Sarkozy, crédité avant le premier tour de 42 à 43 % des intentions de vote, parvenant presque à rattraper son handicap, et n’étant finalement battu que d’une courte tête là où certains prédisaient un écrasement historique.

Or, que s’est-il passé de significatif pendant la brève campagne, puis entre les deux tours ? Une seule chose, la droitisation marquée du discours de Sarkozy, les références à la nation, au territoire, aux frontières, bref, la mise en œuvre de la « stratégie Buisson », particulièrement nette à la Concorde, à Toulon ou au Trocadéro, une stratégie qui a permis de rallier in extremis une part significative des voix qui s’étaient portées au premier tour sur la candidate du Front National. Une part significative, mais pas suffisante : c’est que, suivant ses (mauvaises) habitudes, le candidat Sarkozy n’a pas brillé par sa cohérence en conservant NKM comme porte-parole, en remettant en scène la si constante Rama Yade, ou en laissant ses lieutenants évoquer l’arrivée de François Bayrou à Matignon. Lorsqu’il ajouta qu’il s’apprêtait à renouer avec l’ouverture une fois réélu, ce sont deux points des intentions de vote qui le quittèrent aussitôt pour grossir les rangs potentiels du Front National. Un contrepoint qui a suffi à brouiller les perspectives, et à convaincre quelques centaines de milliers d’électeurs du second tour de voter blanc, plutôt que de se rallier à un candidat qui ne pouvait plus apparaître comme celui de toutes les droites. Buisson n’est donc pas responsable d’une défaite qui, pour l’essentiel, résulte de ce que ses conseils n’ont pas été suivis à la lettre, et de ce que l’on a tenté, par tous les moyens, de contrer sa stratégie. Voilà pourquoi la gauche, qui en est bien consciente, est elle aussi ravie de voir ostracisé celui qui a failli lui faire manquer le coche.

Mais si la gauche s’en réjouit aussi bruyamment, c’est surtout, comme elle le comprend parfaitement, parce que Buisson pourrait être, à l’avenir, le stratège en chef de sa future défaite. Il pourrait l’être en devenant l’inspirateur de la recomposition d’une droite qui renoncerait à ses complexes à l’égard de la pseudo « gauche morale », qui s’interrogeait sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle veut, et qui se donnerait enfin les moyens de la reconquête. Mais ceci est une autre histoire…



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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