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Défense du colonialisme

Le colonialisme est un humanisme...


Défense du colonialisme
Bruce Gilley © NAS

L’universitaire américain Bruce Gilley s’est lancé dans une entreprise périlleuse : la défense du colonialisme européen ! Il démontre les bienfaits de l’impérialisme en comparant le développement des pays qui ont renoncé aux legs de leurs anciens occupant à ceux qui les ont conservés. Dans son nouveau livre, notre contributeur et ami Driss Ghali construit, pour sa part, un récit dépassionné de la colonisation.


« Ceux qui creusent des fondations profondes / Sur lesquelles des royaumes stables peuvent se construire / Récoltent peu d’honneurs… » Ces vers du poète impérialiste anglais Rudyard Kipling, écrits en 1905, présagent du sort des administrateurs coloniaux européens qui, à cette époque, œuvraient tant bien que mal pour introduire des méthodes de la bonne gouvernance moderne dans des sociétés n’ayant pas connu le développement accéléré des pays occidentaux. Aujourd’hui, ces fonctionnaires ne sont pas l’objet de reconnaissance, mais de condamnations sans appel. Dans nos universités et nos médias, le colonialisme incarne le Mal absolu. Il se réduit à quatre mots : déprédation, esclavage, racisme et génocide. Comment défendre un tel phénomène ? En France, on se souvient du tollé scandalisé qui, en 2005, a accueilli la loi préconisant, entre autres choses, la reconnaissance dans les programmes scolaires du « rôle positif de la présence française outre-mer ». L’alinéa en question a été supprimé l’année suivante.

Ne désespérons pas. Un nouveau champion du colonialisme a surgi : Bruce Gilley, professeur de science politique à l’université de Portland aux États-Unis. En 2017, il a publié dans une revue universitaire une plaidoirie pour les empires européens, « The case for colonialism ». Dès sa parution en ligne, les réactions horrifiées se multiplient autour de la planète. Trois pétitions sont lancées contre Gilley, chacune par un professeur – de danse contemporaine, de littérature anglaise et enfin d’histoire. On exige qu’il soit déchu de son doctorat, « ostracisé » et « humilié publiquement ». On l’accuse d’encourager la violence contre les non-Blancs et d’être coupable de « déni d’holocauste ». Sur les 34 membres du conseil de rédaction, 15 démissionnent en guise de protestation. Quand le rédacteur en chef reçoit des menaces de mort de la part d’internautes indiens, Gilley retire volontairement son article qui sera republié par une autre revue défendant la liberté intellectuelle.

En effet, la grande majorité de ses détracteurs, qu’ils soient chercheurs ou non, ne lui répondent pas par des arguments, mais lui contestent le droit même de s’exprimer. Abandonné par son université et son syndicat, il ne peut néanmoins pas être renvoyé, étant titulaire d’un poste à vie. Si les légions de ses diffamateurs comprennent des intellectuels issus d’anciennes colonies, confortablement installés dans des universités occidentales, en majorité ce sont des Blancs. Quand je lui en ai demandé la raison, il m’a expliqué que ces gens avaient besoin de rétablir l’ascendance morale des Blancs dans le contexte de sociétés multiculturelles à travers des démonstrations extravagantes de culpabilité et de contrition. C’est ironique : encore un coup de la suprématie blanche.

Les empires contre-attaquent

Gilley ne défend pas tel ou tel empire, mais le colonialisme européen en bloc, tant britannique que français, allemand, néerlandais ou portugais. Souvent, les apologistes de chaque nation se justifient en jetant l’opprobre sur les autres. Les Français et les Anglais font grand cas de leur mission « civilisatrice ». Tout le monde se prétend moins barbare que les Allemands. Mais pour Gilley, ces empires se ressemblent suffisamment pour qu’ils soient jugés ensemble. Son livre le plus récent a pour ambition de défendre le colonialisme allemand : si ce dernier peut être justifié, ils peuvent l’être tous. Dans son article décrié, il définit le colonialisme comme étant une phase spécifique des empires, à partir des années 1820, quand les puissances impériales se donnent la mission d’exporter dans les territoires colonisés des aspects importants de leur propre système d’administration. Quand je lui objecte qu’il choisit la période la moins difficile à défendre, il répond qu’il est prêt à défendre toutes les phases, mais que chacune a ses spécificités.

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Une formation initiale en économie l’a rendu plus apte que beaucoup de ses collègues à comprendre l’histoire en termes de coûts/bénéfices. Il dresse la liste des bienfaits indéniables, quoique inégalement répartis, du colonialisme : santé publique, infrastructure, éducation, technologie, abolition de l’esclavage, l’État de droit pour tous, droits des femmes, développement économique, administration efficace, et même la formation d’identités nationales. Ces bénéfices sont à mettre en balance non seulement avec les coûts en termes d’oppression, mais aussi avec les scénarios alternatifs (ou « contrefactuels »). Qu’est-ce qui se serait passé sans la présence coloniale ? Quand on dresse des comparaisons avec des pays similaires non colonisés, avec l’état des pays avant la colonisation et avec ce qu’ont fait les régimes anticolonialistes qui y ont succédé, le résultat est nettement favorable au colonialisme. Des 80 pays ayant rejeté le « joug » européen après 1945, plus de la moitié ont subi des événements traumatiques les privant de nombre des gains de l’époque coloniale. Après une guerre d’indépendance désastreuse, la Guinée-Bissau connaît aujourd’hui une production de riz et des améliorations en termes d’espérance de vie inférieures à celles de l’époque où le pays était géré par les Portugais. Au rythme de développement actuel, le Bangladesh mettra deux cent quarante ans à atteindre un haut niveau de capacité de l’État : difficile de croire que le délai aurait été aussi long sous la tutelle britannique.

Cette observation conduit Gilley à la proposition qui fait le plus rager ses critiques : que le monde assume et prolonge le legs positif du colonialisme. Il s’agit d’encourager des partenariats consentis entre des pays pauvres et des pays riches, ces derniers gérant des aspects de l’administration des premiers pour une durée limitée. Il cite des exemples : en 1985, l’Indonésie, virant 6 000 inspecteurs, a confié son service des douanes pendant douze ans à une entreprise suisse qui a construit un nouveau système sans corruption. De 1999 à 2005, la Sierra Leone a délégué au Royaume-Uni la gestion et la réorganisation de ses forces de l’ordre. Des projets réussis ont été réalisés dans les Îles Salomon par l’Australie ou au Liberia par un consortium d’États et d’institutions internationales. Ayant vécu pendant dix ans en Asie, Gilley a une autre vision de la colonisation, inspirée par les exemples de Hong Kong et Singapour. Il reprend l’idée des « villes à charte » proposée par un économiste de la Banque mondiale, Paul Romer : un pays pauvre loue un site à une puissance extérieure qui construit et gère une ville susceptible d’amener de la prospérité dans la région. Quand je lui cite les échecs des pays occidentaux en termes de reconstruction nationale en Irak ou en Afghanistan, il pointe l’absence dans ces cas d’un vrai mandat, d’un plan et du courage d’assumer un rôle proprement colonial. Le vrai obstacle au progrès ne serait pas l’héritage colonial, mais l’idéologie anticoloniale.

Les faits, rien que les faits

Ses ennemis présentent Gilley comme un chercheur isolé qui manipule les faits pour conforter une nostalgie impérialiste. En réalité, il cite constamment des études pointues et récentes que les fanatiques anticoloniaux ignorent, malgré leur prétention à la scientificité historique. Il a même produit une bibliographie de 35 pages dénombrant des publications universitaires, dont la plupart sont postérieures à 2000, qui montrent les aspects positifs du colonialisme occidental. Tandis que ses adversaires font l’éloge des rebelles indigènes, Gilley cite les nombreux cas où des leaders indigènes ont invité les Européens à gouverner des territoires ou leur ont demandé de ne pas décoloniser trop vite. De plus, l’histoire a souvent vu des mouvements de populations indigènes vers les régions colonisées. D’abord spécialiste de l’Asie, Gilley s’est intéressé aux empires en lisant le dernier livre du romancier Chinua Achebe, publié en 2012, où le Nigérian évoque les bienfaits de la gestion britannique de son pays. Cela lui a permis de découvrir la vie et l’œuvre d’un administrateur britannique, Alan Burns, dont il a publié une biographie. Le contrat pour ce livre a été annulé par une première maison d’édition après une pétition lancée par un professeur canadien ouvertement maoïste. Burns, qui a occupé de nombreux postes à travers l’empire et servi comme gouverneur de la Côte de l’Or, aujourd’hui le Ghana, avant de défendre le colonialisme aux Nations unies, était le type même du fonctionnaire dévoué au bien-être de ceux qu’il gouvernait. Il était tellement apprécié de ces derniers, qu’il pouvait faire le tour des avant-postes de son territoire sans aucune protection policière.

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Pourtant, les militants de nos universités n’ont qu’un mot aux lèvres pour disqualifier le colonialisme : le génocide. Il s’agit d’une idée reçue propagée par deux non-spécialistes ayant des sympathies de gauche, Adam Hochschild et Mike Davis. Brandissant le terme d’« holocauste », ils prétendent que des millions de morts auraient été provoquées par la gestion du roi belge, Léopold II, dans l’État indépendant du Congo, qui n’était pas une colonie, ou par une série de famines dont les conséquences auraient été aggravées par le colonialisme. Leurs chiffres et leurs explications sont le fruit de pures spéculations sans fondement. Pour Gilley, ces accusations constituent une extension du mouvement historique pour la décolonisation, mouvement d’inspiration marxiste qui a toujours les mêmes objectifs : l’affaiblissement des états occidentaux et la destruction du capitalisme censé être le produit des empires.

Tourner une page ?

Driss Ghali, auteur et spécialiste des relations internationales.

Gilley réfléchit à un volume éventuel sur le cas français, mais on peut déjà saluer la parution d’une étude approfondie sur le sujet par notre confrère Driss Ghali, auteur pour Causeur, pertinemment intitulée Une contre-histoire de la colonisation française. L’objectif de ce Marocain installé au Brésil n’est pas de justifier le colonialisme, mais de construire un récit dépassionné qui ne serve les intérêts, ni des prétendues victimes, ni des repentis, ni des nostalgiques. Nous devons nous débarrasser de ce bric-à-brac idéologique qui empoisonne les relations entre les nations et les concitoyens. À cette fin, il démonte plusieurs mythes courants. La colonisation n’est pas le péché originel de l’Occident, car c’est « une grammaire universelle, comprise de tous les peuples » et pratiquée par eux. Le monde d’avant l’arrivée des Français n’était pas un paradis perdu, car l’injustice et la pénurie y régnaient déjà. La France n’a pas tellement profité de la colonisation, mais elle n’a pas vraiment transformé les pays colonisés non plus. Si ces pays tardent à décoller, ce n’est pas à cause du colonialisme mais du manque de perméabilité de leur culture à la modernité. Il est urgent de tourner la page, en rejetant l’idéologie décolonialiste, à laquelle sacrifie le président actuel, lui qui a qualifié le colonialisme de « crime contre l’humanité ». Nous pourrons ainsi « sauver la France », car notre vrai ennemi est la perte de souveraineté nationale. Ghali, comme Gilley, croit que nous devons dépasser un blocage à propos de l’histoire qui nous empêche de penser notre avenir. Le paradoxe des colonisateurs, c’est qu’au moment où ils étaient le mieux à même d’aider les colonisés, le mouvement anticolonial a détruit la possibilité de tirer tous les bienfaits de la colonisation. Alan Burns a vécu suffisamment longtemps pour voir les massacres et famines qui, dans les années 1970, ont suivi la décolonisation. Cette tragédie a été prévue par Kipling : « La clameur de l’accusateur arrogant / Nous fait perdre cette petite heure dont on avait besoin pour réussir. » Selon Ghali, il est encore temps pour retrouver au moins un bienfait potentiel du colonialisme : l’amitié entre les peuples. 

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Mars 2023 – Causeur #110

Article extrait du Magazine Causeur




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est directeur adjoint de la rédaction de Causeur.

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