Ce matin, pour ma gym, j’ai eu le droit à « femmes entre elles ». C’était sur France Inter, une discussion entre Sylvie Brunel, future ex-épouse Besson, auteur d’un Manuel de guérilla à l’usage des femmes, et Pascale Clarke, dont la tessiture fait merveille dans le genre intimiste confie-toi-moi-aussi-j’ai souffert. Le genre nous les femmes.
Je m’empresse de préciser que je n’ai pas lu le livre de Sylvie Brunel et que je ne suis pas sûre de le faire. Je me sens toujours gênée d’être invitée dans l’intimité de personnages réels – dont l’un, de plus, n’a rien demandé et la littérature m’apprend plus que n’importe laquelle de ces confessions qu’affectionnent pas mal de mes confrères. Exhiber la midinette qui sommeille en chacune de nous serait le signe qu’on est une femme libre. Pour ma part, si j’ai besoin de tuyaux, j’irai les chercher chez Stendhal et quelques autres, pas dans un « manuel ». Pourquoi pas des cours de rupture amoureuse ou des formations au divorce (je me demande, avec effroi, si ça n’existe pas) ? Cela dit, la Brunel ne manque pas de panache. On peut ne pas aimer l’arme qu’elle a choisie. Au moins ne se laisse-t-elle pas achever sans combattre. De plus, tout au long de l’émission, elle a résisté de façon plutôt réjouissante à Pascale Clarke, qui voulait absolument lui faire dire que tous les hommes sont des salauds et qu’en prime le sien est un traitre.
Allez savoir pourquoi, j’ai éprouvé le besoin de me désolidariser de cette grande confrérie que l’on m’invitait à rejoindre. Merci les filles, « nous », en ce domaine, très peu pour moi. L’histoire de la femme bafouée, vous en parlez comme si c’était le lot éternel du beau sexe, mais je ne me vois pas dans le rôle – et pour tout dire, mes copines non plus. Je refuse d’être enrôlée dans votre armée des victimes des hommes. À la guérilla proposée, on peut préférer la tendre guerre, le jeu sérieux, amusant et cruel du désir qui vagabonde, disparaît et renaît, et que nulle époque n’a jamais réussi à enfermer dans les liens du mariage ou de la convention, ni dans les exigences de la morale. Tous les coups ne sont pas permis. Mais c’est une guerre. On n’est pas chez les bisounours. Il y a souvent du sang sur les murs, parfois au sens propre.
Ceux et celles qui rêvent, comme l’excellente Caroline Fourest d’un monde sans hommes ni femmes « où l’on admettra que le genre peut être indéterminé ou choisi, et non dicté par le sexe biologique », feraient mieux de cesser là leur lecture. « Il faut espérer, écrit-elle encore, que la différence des sexes, si communément admise, sera un jour relativisée. » On aimerait savoir pourquoi il faut espérer. Pour ma part, je trouve cette perspective parfaitement terrifiante.
Peut-être l’antique division entre les hommes et les femmes est-elle une construction, mais alors une construction anthropologique et mythologique de grande ampleur, qui a peut-être vaguement quelque chose à voir avec la biologie. La reproduction, la chasse, le dedans, le dehors, l’appel un peu mystérieux (et souvent casse-pieds) qui pousse le mâle à s’assurer, une fois sa semence répandue dans l’une, qu’il est toujours un homme, autrement dit qu’il peut avoir celle qu’il n’a pas. Vieille affaire revisitée depuis des millénaires et récemment pimentée par la conquête de l’égalité. Pour faire court, brutal et donc réducteur, quand on aime les hommes libres, l’infidélité fait partie du lot. Réelle ou fantasmée, avouée ou cachée, elle est dans la nature – au moins reptilienne – de l’homme, comme piquer est dans celle du scorpion. Ce qui, bien sûr, n’empêche nullement les femmes de la pratiquer avec bonheur.
On me dira à raison que la répression de la nature est aussi une loi de l’humanité biblique. On n’est pas obligée de choisir le modèle pour qui le passage à l’acte doit se répéter indéfiniment au point que la nouveauté elle-même devient l’unique objet du désir. Le genre « je cours le jupon pendant qu’elle élève les enfants avant de me caser avec une petite » peut sembler un peu convenu, moyennement élégant et carrément déplaisant pour celle qui est quittée. Mais le style « je reste par devoir » est à périr d’ennui. Si un infidèle ne vous convient pas, changez-en, le monde en est plein.
Si vous n’aimez pas les lâches, ça se complique, parce que ça, on peut penser que c’est carrément dans les gènes masculins, ainsi que l’a joliment dit Nicolas Rey dans une chronique un peu facile mais charmante, dans laquelle il s’attendrissait sur le sort du malheureux qui s’apprête à quitter femme et enfants. « Il y a du courage dans la lâcheté », a-t-il conclu. Non, Nico, dans la lâcheté, il y a de la lâcheté. Ce n’est pas ce que vous avez de mieux. Mais on vous pardonne si on sait que, sur le champ de bataille, vous serez-là, prêts à combattre pour nous. Autrement dit, si vous vous conduisez en gentlemen.
Qu’on ne se méprenne pas. Heureusement, les êtres humains concrets échappent aux archétypes. Ils ont la liberté de jouer avec eux, d’en conjuguer plusieurs – tous les hommes, même les plus camionneurs, ont un côté gonzesse. Dans la vraie vie, on n’a pas le choix entre le collectionneur qui croit pouvoir fusionner ses fantasmes avec le réel et bobonne en version mec ; et pas non plus entre épouse au long cours et maitresse d’un jour. On peut aimer les vertiges de la possession sans renoncer à sa souveraineté. La domination change de camp, la proie et le chasseur échangent leurs rôles. On gagne, on perd, on rejoue. On rit, on pleure, et on rit d’avoir pleuré. On s’enchaîne et on se libère, on conquiert et on se soumet. Mais si on admet qu’il y a entre les hommes et les femmes des divergences aussi inaliénables que leur liberté elle-même, on ne s’ennuie jamais. L’ardente Sylvie Brunel aurait-elle passé trente ans de sa vie avec un homme fidèle, un amoureux 24/24, qui rapporte le pain et vous salue tous les soirs d’un « bonsoir ma chérie ! » ? Confesserait-elle aujourd’hui, en même temps que sa rancœur, sa nostalgie et peut-être son espoir?
Dans les joutes oratoires où les femmes excellent à enserrer l’autre dans les fils d’une rhétorique impitoyable – logique plus mauvaise foi : le cocktail qui rend fou -, une phrase constitue une arme redoutable : « Ce n’est pas pareil ! » Et, bien sûr, c’est irréfutable puisque que ce n’est jamais pareil. Ces considérations s’appliquent donc aux hommes en général, pas aux miens en particulier. Eux, c’est pas pareil.
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