Pas de défense sans dépenses!


Pas de défense sans dépenses!

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C’est à désespérer. Nous serions en guerre, d’après le président en exercice, ses ministres et les médias. Mais, à ce jour, un bon mois après les attentats du 13 novembre, au lendemain du barnum politique des régionales, la politique de défense et son financement ne sont toujours pas placés au cœur des débats, sauf, à contresens, par l’impayable président du Medef. Après l’annonce d’un recrutement important de policiers et de douaniers, marquant une rupture avec vingt années de réduction de nos moyens de sécurité, Yvon Gattaz s’est écrié : « Il ne faut pas laisser les dépenses publiques aller à vau-l’eau ! » Les ossements de Winston Churchill et du général de Gaulle ont dû s’entrechoquer dans la tombe.

Un autre personnage impayable de notre comédie politique, Pierre Moscovici, commissaire chargé de suivre l’évolution des budgets à Bruxelles, cherche à nous rassurer. « Il ne sera pas tenu compte de l’accroissement des dépenses de sécurité dans le calcul des déficits. » Ce qui veut dire deux choses. Premièrement, que les règles européennes qui encadrent la gestion publique des États sont toujours en vigueur : une hypocrisie comptable masque la réalité financière. Deuxièmement, et nonobstant, que la dette publique continue de dériver.

La formule selon laquelle nos gouvernants s’avancent vers l’avenir à reculons devient donc plus vraie que jamais. Empressés à se poser en boucliers des peuples menacés, les politiques ne se saisissent pas des défis posés par Al-Qaïda et Daech pour définir une nouvelle politique de défense et, partant, de nouveaux moyens de financement. C’est que toutes les ficelles budgétaires ont été usées par les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande.[access capability= »lire_inedits »] La France est au premier rang pour la dépense collective, au deuxième pour les prélèvements publics (après le Danemark). On ne peut dépenser plus, même pour sauver la vie de nos compatriotes et extirper la tumeur islamiste, en pressurant plus les contribuables qui portent l’économie. Il faut donc s’endetter, encore et encore, au-delà des 2 100 milliards d’euros atteints.

Dans les affres de cette gestion impossible, la théorie et l’expérience économiques pourraient nous être d’un grand secours.

Consommation et investissement en temps de guerre

Dans l’arsenal de concepts que John Maynard Keynes nous a légué, deux concernent notre affaire : la propension à consommer et l’incitation à investir. Pour le théoricien de Cambridge, l’essor de l’économie n’était pas assuré si les consommateurs n’avaient pas le désir d’acheter de nouveaux biens et services, et si les entrepreneurs n’avaient pas l’ambition d’investir. Dans cet esprit, même une distribution favorable de salaires ne garantissait pas un progrès de la consommation, même de hauts profits ne garantissaient pas un supplément d’investissement.

Or, le grand mérite de la guerre est de permettre de contourner ces deux obstacles. La guerre maximise la consommation. Nul besoin de désirer des produits nouveaux : la guerre détermine des besoins objectifs de fabriquer des armes, des munitions, de fournir des vivres et des médicaments, de transporter des hommes et des armes. Simultanément, elle contraint ses fournisseurs à un effort d’investissement et d’embauche constant. Plus les combats auront lieu à grande échelle, plus la consommation de produits de guerre et l’investissement en vue de les produire augmentera.

Les deux grands conflits mondiaux, plus près de nous la guerre de Corée, les guerres coloniales de la France en Indochine et en Algérie, la guerre du Vietnam menée par l’Amérique ont permis de vérifier ces vérités économiques. Avec cette différence : le second conflit mondial est venu au secours des grandes économies anglaise et américaine encore engluées dans les difficultés issues de la Grande Dépression, les guerres coloniales françaises et la guerre du Vietnam ont contrarié l’effort de développement français et la production civile d’une Amérique prospère. C’est Winston Churchill qui a le mieux illustré l’impact économique de la guerre à grande échelle : « Pour coudre les vareuses de nos officiers et de nos soldats, nous avons dû mettre nos grands-mères au travail. »

Mais quels sont les besoins définis par la guerre terroriste ? Ils varient évidemment selon qu’on mène la guerre aérienne tout en protégeant le territoire, comme aujourd’hui, ou que l’on projette des forces importantes sur les pays sièges des armées terroristes. En toute hypothèse, nous restons loin des besoins des grands conflits classiques. C’est pourquoi les gouvernements concernés, nous pensons d’abord au nôtre, ne voient pas d’urgence économique dans la situation actuelle.

Ils ont tort. Pour s’en tenir au cas de la France, le seul moteur de la croissance à ce jour, la consommation, est en train de s’éteindre et les attentats n’y sont pas pour rien. Notre dernier trimestre 2015 sera négatif. Il est urgent d’impulser une nouvelle consommation, de produits militaires, pour notre sécurité et pour soutenir une demande défaillante.

De la monnaie pour les banques ou de la monnaie pour l’économie de guerre ?

Depuis le séisme de 2008, les banques centrales occidentales n’ont cessé de créer de la monnaie pour les banques commerciales qu’elles ont ainsi sauvées, du moins pour l’instant, de la liquidation. Cette politique sans précédent a été célébrée par les porte-parole du système. Mais elle s’est accompagnée d’une orthodoxie maintenue en matière de financement de la dépense publique et des déficits publics. Même le Quantitative Easing n’a pas changé l’équation : il a consisté à créer de la monnaie pour rendre les marchés plus liquides. Mais les dettes publiques n’en ont pas été affectées, elles continuent de croître ici et là.

Or, la guerre terroriste, qui n’était pas à l’agenda de nos ministres et de nos banquiers centraux, rebat les cartes. La question est : faut-il créer de la monnaie pour financer les dépenses nouvelles occasionnées par elle (une bombe guidée coûte 7 000 ou 8 000 euros) ? Et la réponse est oui. Oui, il faut créer de la monnaie pour les vols des Rafale, pour les munitions, pour les moyens des policiers et des douaniers, pour les efforts de surveillance du/ des territoires qui abritent nos ennemis déclarés. Et ce serait le moyen de renforcer l’État régalien, « l’État père », qui n’a cessé de rapetisser au bénéfice de l’État social « l’État mère ».

Oui, mais comment ? L’interdiction formelle de créer de la monnaie pour le financement de la dépense établie par le traité de Maastricht, les statuts de la BCE et le Traité budgétaire européen est toujours en vigueur. Et, se dit-on, elle vaut pour la Banque de France comme pour la BCE.

Ce n’est pas si sûr. L’usine à gaz qu’est l’Union monétaire ménage aux banques nationales affiliées à la BCE une faculté de créer de la monnaie sous la forme d’Emergency Loan Facilities (prêts d’urgence). Entre 2009 et 2010, les banques nationales de Grèce, du Portugal et d’Irlande l’ont mis en œuvre pour sauver les banques commerciales.

D’où cette nouvelle question : ne faut-il pas autoriser l’émission d’ELF pour des motifs plus avouables que la sauvegarde des banquiers incapables ? Sans doute. Un gouvernement qui prendrait la vraie mesure du défi islamiste aurait déjà mis la question à l’étude. Et cela serait d’autant plus justifié que c’est la déflation qui menace et non l’inflation. Les cris d’orfraie que suscitent à l’ordinaire les propositions de renouer avec la création monétaire au profit de la sphère publique devraient désormais résonner dans le vide. L’économie ne pourrait que profiter des quinze ou vingt milliards de dépenses monétarisées. Mais ne le dites pas à Pierre Gattaz. Ce malheureux garçon confond les comptes nationaux avec ceux d’un ménage ou d’une entreprise.[/access]

 

Janvier 2016 #31

Article extrait du Magazine Causeur



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est un économiste français, ancien expert du MEDEF

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