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Défense d’éléphants

Le billet de Dominique Labarrière


Défense d’éléphants
Éléphants, Namibie, août 2024 © CATERS/SIPA

Menacée par une crise alimentaire, la Namibie autorise l’abattage de 83 éléphants, 30 hippopotames, 60 buffles, 50 impalas, 100 gnous bleus ou 300 zèbres dans ses parcs nationaux.


Quatre-vingt-trois éléphants, trente hippopotames, cinquante impalas, soixante buffles, cent gnous bleus, cent élans et trois cents zèbres, voilà l’hécatombe programmée par le gouvernement namibien pour tenter d’endiguer la famine qui sévit à travers le pays du fait d’une sécheresse particulièrement sévère.

Petite leçon de géographie

La Namibie est une vaste contrée de l’Afrique australe, bordée à l’ouest par l’océan Atlantique, à l’est par le Botswana et le désert de Kalahari. Au nord, l’Angola, au sud l’Afrique du Sud, Indépendante depuis 1990, la Namibie a d’abord été colonisée par les Portugais, puis par les Allemands avant de subir une forte influence anglaise – l’anglais est la langue officielle -. Elle compte deux millions six cent mille habitants. Chrétiens à 90%. (60% de protestants luthériens, 30% de catholiques), les 10% restants seraient animistes. Sur l’échelle de densité de population, elle se situe à l’avant-dernier rang mondial, juste devant la Mongolie. Le revenu annuel brut par habitant est – en 2022 – de 4880$, ce qui la place, certes au-dessous de la moyenne mondiale, mais assez largement au-dessus de la moyenne africaine. Ses ressources sont en grande partie minières : uranium, diamant, cuivre, argent. En 2021, un important gisement pétrolifère a été détecté au large de ses côtes, évalué à onze milliards de barils, ce qui devrait permettre au pays de doubler son PIB à l’horizon 2040. Parmi ces ressources, on trouve aussi, bien sûr, une certaine forme de tourisme, la chasse dite sportive, le safari.

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Son système politique – démocratique – ressemble assez précisément au nôtre. République parlementaire dont le président est élu au suffrage universel direct. Le Premier ministre est, depuis 2015, une première ministre en la personne de Saara Kuugongelwa-Amadhila. Ce fait ne doit rien au hasard puisque la Namibie peut se glorifier de s’être hissée au sixième rang dans le top 10 des pays les plus avancés sur le plan de l’égalité homme-femme, y compris en terme d’égalité salariale. 40% de ses ministres sont des femmes, et elles sont un peu plus de 44% chez les parlementaires.

Cependant, deux plaies majeures affligent le pays : un taux de chômage à 21% et également 21% de la population contaminée par le VIH. Au plan historique, une performance dont les populations se seraient bien passées : elles ont connu le premier génocide du XXème siècle identifié comme tel, perpétré par l’administration coloniale allemande à l’encontre des ethnies  Héréros et Namas. Cent mille morts, si ce n’est bien d’avantage, et le recours à des camps de concentration dont certains prétendent qu’ils auraient fait école quelques décennies plus tard…

Laissons le passé au passé. Aujourd’hui, ce sont quatre-vingt-trois magnifiques éléphants qui sont menacés, parmi d’autres espèces, nous l’avons vu.

Une question

Une question : comment peut-il se faire qu’on laisse un pays aux institutions si proches des nôtres, à la population très majoritairement chrétienne, donc culturellement tout aussi proche, un pays dont l’organisation sociale se révèle si soucieuse en matière d’égalité homme-femme, se trouver acculé à une telle extrémité pour nourrir ses enfants ? Un pays riche d’uranium, de diamants, d’argent, de cuivre, regorgeant de pétrole en voie d’exploitation ? Oui, comment se peut-il que le « système », cette « mondialisation » qu’on tient tant à nous prétendre « heureuse » se révèle à ce point incapable d’apporter une autre solution ? Une solution digne du niveau de civilisation que nous prétendons avoir atteint. Les moutons de Nouvelle-Zélande, les Aubracs, ou les Charolaises de chez nous, les poulets et les dindons, nous en maîtrisons l’élevage, la reproduction. Rien de cela, bien évidemment, pour l’éléphant, le gnou bleu ou l’hippopotame.

Aujourd’hui, on se hausse du col en fourguant des avions de combat qui coûtent un pognon de dingue à un pays dont la valeur de la monnaie nationale se traîne à 0,0085 de la nôtre, dont le salaire médian mensuel atteint péniblement les 400 euros ! Probablement est-il moins valorisant pour les élites du sérail – et sans doute moins profitable pour le « système » – de se mêler de veaux, vaches, cochons, couvées que d’armes supersoniques, mais n’y aurait-il pas tout autant de gloire et de satisfaction à gagner en sauvant, dans un même élan, des femmes, des hommes, des enfants et des éléphants ? Opportunité exceptionnelle, me semble-t-il.  De plus, il paraît que l’éléphant est un être vivant de très longue mémoire. Il nous en serait donc éternellement reconnaissant. Rien que pour cela, on serait bien inspiré de faire l’effort, non ?




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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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