Conseil scientifique contrariant, Matignon rebelle ou Europe qui traîne des pieds : Macron est dépassé sur bien des fronts.
En fixant au 11 mai le coup d’envoi du déconfinement, Emmanuel Macron a ouvert plusieurs fronts au sein de l’appareil de l’État. Deux semaines après son interminable intervention télévisée, nous sommes peut-être à l’aube d’une crise institutionnelle, laquelle s’ajouterait à la crise sanitaire et aux futures à venir : les crises économiques et sociales provoquées par le confinement.
Delfraissy président
Le premier front, Emmanuel Macron l’a créé tout seul comme un grand. Le fameux Conseil scientifique, personne ne lui avait demandé de le créer. Un président de la République a tout le loisir de consulter tous les experts qu’il veut, et en tout domaine. En outre, il existe déjà une Académie de médecine qui peut donner des avis publics, et qui d’ailleurs ne s’en prive pas pendant cette crise sanitaire. Adepte de « l’administration des choses » plutôt que du « gouvernement des hommes », le Saint-Simonien Emmanuel Macron a souhaité montrer aux citoyens qu’il écoutait les scientifiques. Plusieurs semaines plus tard, il doit contempler la catastrophe. Le Conseil scientifique est traité par les médias avec davantage de déférence que ne le serait le Conseil constitutionnel. À tel point que s’il arrivait malheur au président de la République, on n’est pas certain que l’article 7 de la constitution, qui prévoit l’élection d’un nouveau président dans un délai de trente-cinq jours, pourrait être respecté. En ce moment, Fabius ferait-il un pli face au puissant Professeur Delfraissy ?
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Ainsi, alors qu’Emmanuel Macron a annoncé la date du 11 mai pour la réouverture des crèches, écoles et universités, le Conseil scientifique rend un rapport qui vient contredire la décision présidentielle. Peu après l’intervention présidentielle, Delfraissy expliquait que les personnes âgées de plus de 65 ans devraient rester confinées jusqu’à une date indéterminée. Ce que l’Élysée était contraint de contredire quarante-huit heures plus tard, face à la polémique.
Si les médias tendent aussi facilement le micro au président de ce cénacle, ou si les syndicats d’enseignants se réfèrent à ses avis plutôt qu’aux directives de Jean-Michel Blanquer, c’est parce que le Conseil scientifique est nanti d’une seule légitimité, celle qui lui a été précisément donnée par le président de la République. Comme dans l’histoire du Dr Frankenstein, la créature a dépassé son créateur. Mais dans notre société médiatisée et en pleine crise sanitaire, retirer cette légitimité donnée est aussi facile que de remettre du dentifrice dans son tube. Voilà Emmanuel Macron prisonnier d’une instance qu’il ne peut pas dissoudre sans créer un scandale. Si cela pouvait vacciner le président de la République contre son amour de la gouvernance assistée par les experts, on ne s’en plaindrait pas.
Mais n’est-il pas trop tard, alors qu’il doit gérer d’autres fronts ?
Ça par exemple, Philippe se rebelle !
Car un autre front apparaît de plus en plus aux yeux du simple citoyen, celui ouvert avec Matignon. Nous n’utiliserons pas le terme de cohabitation. Ce serait impropre puisque le Premier ministre n’est pas le chef d’une majorité parlementaire élue contre le président de la République. Mais Edouard Philippe, comme le relève le Figaro dans un article hier, n’est pas sur la même ligne que le président. Sans doute appuyé par Olivier Véran, il est beaucoup moins pressé qu’Emmanuel Macron de faire redémarrer l’économie, ce qui passe par la réouverture des établissements scolaires. L’explication réside pour bonne partie par les plaintes qui s’amoncellent du côté de la Cour de Justice de la République, et qui visent non seulement les ministres et le premier d’entre eux mais aussi certains haut-fonctionnaires et conseillers ministériels. Le président de la République est quant à lui irresponsable pénalement sur les actes pris pendant son mandat. Voilà qui justifierait la plus grande frilosité de la part des membres du gouvernement chargés de gérer la crise sanitaire. Les ministres, d’ailleurs, choisissent leur camp. Bruno Le Maire et Gérald Darmanin souhaitent que la machine économique reparte et sont dans le camp d’Emmanuel Macron. Jean-Michel Blanquer, qui voit le retard et les inégalités s’accroître au sein de la population scolaire dont il a la charge, agace Edouard Philippe par l’annonce – prématurée selon Matignon – d’un calendrier de reprise des cours.
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Front ouvert entre l’Élysée et Matignon, fronts au sein du gouvernement… Comme si cela n’était pas suffisant, à ceci viennent s’ajouter les plus folles rumeurs d’un gouvernement d’union nationale avec des noms qui fleurissent dans la presse, et les ambitions à peine voilées et redoublées de Bruno Le Maire pour remplacer Edouard Philippe. Voilà qui n’est pas là pour apporter un peu de sérénité gouvernementale! Il est impossible de changer de gouvernement avant l’été, alors qu’il faut gérer le déconfinement et l’éventuelle arrivée d’une seconde vague de contaminations par le Covid-19. Nous ne pouvons pas changer de gouvernement mais celui-ci doit gérer une crise sans précédent en tirant à hue et à dia. Rassurant, n’est-ce pas ?
L’Europe, c’est plus habituel, traine des pieds
Le dernier front est européen. Emmanuel Macron souhaite publiquement la mise en œuvre d’une plus grande solidarité entre les pays membres de l’UE. Il craint l’euroscepticisme français et plus encore celui grandissant de l’Italie et de l’Espagne, plus durement touchées par la pandémie que les pays du Nord de l’Europe. Et il réclame que ces derniers mettent la main au portefeuille, en répétant comme un mantra l’antienne de la « souveraineté européenne », laquelle n’a ni queue ni tête. Jacques Sapir expliquait dernièrement dans nos colonnes l’extrême fragilité de la zone euro dans ce contexte économique. Nul doute qu’Emmanuel Macron en est conscient plus que quiconque, même s’il ne compte pas y apporter les mêmes remèdes que l’économiste souverainiste. Le voilà donc à agacer Berlin et Bruxelles avec ses demandes de mutualisation et risquant de semer le trouble dans l’esprit des Français, en réclamant davantage de fédéralisation au niveau européen et, en même temps, davantage de souveraineté nationale.
C’est vers les Français que devrait se constituer le dernier front, le plus périlleux de tous, celui du suffrage universel. Si le Conseil scientifique ne convainc pas tout le monde que la vie démocratique ne peut reprendre que lorsqu’un vaccin aura vaincu Covid-19…