Ne le répétez pas à Juliette Gréco : j’adore les dimanches. Se lever à 7 heures, descendre sur le boulevard, commander un café à la terrasse du coin, écouter la blague dominicale du garçon – toujours la même – et ouvrir le Journal du Dimanche, il n’y a pas mieux dans la vie.
Pas mieux, sauf agoniser dans son grabat, expectorer comme pas permis et se lamenter, entre deux souffles rauques, sur son pauvre sort : « Le médecin m’a dit que c’était une angine, mais je le connais bien, il n’a pas voulu m’alarmer, j’ai H1N1, je l’ai vu à la télé, fièvre, céphalée, maux de gorge, grouinements intempestifs, tous les symptômes sont là, je vais crever, pas de doute, j’aurais dû mettre un masque. » Et puis le miracle : on ouvre le Journal du Dimanche et on y lit une interview de Bernard Debré qui déclare, en substance, que la grippe H1N1 n’est pas dangereuse, que les pouvoirs publics en font beaucoup trop et que tout ça ne vaut pas le premier rhume venu. Atchoum ? À vos souhaits !
On bondit alors du lit, on tousse un grand coup et on répète la leçon du professeur Debré : « H1N1, laissez pisser ! » Le plus grand urologue de Paris a parlé ; personne n’ira le contredire.
Sauf que, dans la vraie vie, quelqu’un qui irait consulter un urologue pour soigner sa grippe aurait vite fait de finir aux urgences psychiatriques. Nous tenons donc à affranchir nos confrères du JDD : le nez, la gorge et les oreilles ne se situent qu’à de très intimes et agréables occasions au niveau des organes dont l’urologie traitent les affections. En permanence, ce serait du vice.
Cependant, Bernard Debré a raison. On nous rebat tellement les oreilles avec la pandémie de grippe porcine que nous serons morts d’une otite médiatique avant d’avoir contracté le virus H1N1. Il n’est pas un jour sans que le sacro-saint principe de précaution n’apporte avec lui son lot de nouvelles ridicules : ces jours-ci, ce sont des adolescents français que l’on a mis en quarantaine dans un collège de la région parisienne et que l’on a exhibés, masqués, au Journal de 20 heures.
Plus édifiant encore : en Grande-Bretagne, l’Eglise anglicane a pris cette semaine des mesures à la hauteur de la pandémie. Elle a fait vider les bénitiers de ses paroisses afin de limiter la contamination des fidèles qui n’auraient pas manqué pour faire leurs dévotions de s’asperger, les cons, de H1N1 béni. Si les curés commencent à douter de Dieu pour placer au-dessus de Lui le principe de précaution, c’est que l’heure du Jugement a sonné.
Cette pandémie a des airs apocalyptiques, mais d’une apocalypse où tout le monde se mettrait à sonner de la trompette tandis que l’Ange exterminateur serait un cul-de-jatte aux petits bras : 800 morts au niveau mondial depuis l’apparition de la grippe A, quand la grippe saisonnière vous produit quelques milliers de macchabées annuels simplement en France ! Le rendement mortuaire de cette pandémie-là n’est pas au rendez-vous.
Pourquoi donc tant de bruit pour, apparemment, si peu de choses ?
Cela tient certainement à l’histoire et à la structure de la veille sanitaire mondiale : la grippe est, pour ainsi dire, la raison d’être de l’OMS. Du moins, c’est à cause de la grippe espagnole de 1918 et de ses dizaines de millions de morts (beaucoup plus que la Première Guerre mondiale elle-même) qu’a été créé le Comité d’Hygiène International, embryon de la future Organisation Mondiale de la Santé. Le système sanitaire international a alors été entièrement conçu pour affronter les pandémies grippales – ce qui explique d’ailleurs parfois ses insuffisances dans d’autres domaines. Autant le dire : si la grippe actuelle était la même que celle de 1918, la réaction de l’OMS aurait été totalement justifiée.
Mais l’hyperactivité de l’OMS sur la grippe A n’aurait produit aucun effet sans le suivisme des Etats. Depuis le début de la « crise », tous les gouvernements se sont pliés aux recommandations de l’Organisation mondiale, sans jamais trop rechigner, parfois en les devançant. Certes, on peut critiquer ce panurgisme, mais il faut savoir ce que l’on veut de nos gouvernants : quand ils ne sont pas assez diligents en matière de santé publique, on les accuse de tous les maux ; quand ils le sont trop, on les accuse aussi.
Le souvenir de la canicule de 2003 est dans tous les esprits de la classe politique : personne n’envie le destin de Jean-François Mattei. Encore qu’on serait bien inspiré de se demander si l’ancien ministre n’a pas joué un peu trop vite le rôle du bouc émissaire dans cette histoire-là. Quand des petits vieux crèvent chez eux, est-ce la faute du ministre de la Santé ou celle d’une société qui appelle « séniors » ses vieillards pour ne plus aller les visiter ? En 2003, nos vieux ne sont pas morts des effets de la canicule, mais de la solitude et de l’abandon.
Bref, c’est le ministre qui a toujours tort. Et l’ancestral adage est avéré : il vaut mieux être malade ou mort que ministre de la Santé et en tailleur rose. Quel que soit le scénario, c’est la faute au ministre.
Ce qui peut, enfin, expliquer, l’hyper-vigilance de l’OMS comme des Etats sur cette affaire-là, c’est la grande inconnue que nous promet la grippe A dans les prochains mois. Selon certains virologues, le virus pourrait encore muter. Dans le meilleur des cas, on s’en sortira avec du paracétamol. Dans le pire, avec les pieds devant.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !