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Débats au Sénat: et si Notre-Dame était une église?

Mieux vaut une ruine qui a gardé son âme qu’une reconstruction qui l’a perdue


Débats au Sénat: et si Notre-Dame était une église?
Projet de reconstruction de Notre-Dame proposé par des architectes français, avril 2019. ©Studio NAB/Cover Images/SIPA / SIPAUSA31502861_000003

Les discussions autour du projet de loi d’exception relatif à Notre-Dame de Paris n’augurent rien de bon. Au-delà du mépris qui transparaît du compte-rendu des débats, Notre-Dame est trop souvent considérée comme un parc d’attraction, et non comme une église. Mieux vaut pourtant une ruine qui a gardé son âme qu’une reconstruction qui l’a perdue. 


Le Sénat vient tout juste d’examiner le projet de loi d’exception relatif à Notre-Dame de Paris. La Tribune de l’Art livre un rigoureux et délicieux compte-rendu de débats manifestement animés, et dans lesquels s’étalent sans surprise certaines caractéristiques du macronisme : fait du prince, hypocrisie, mépris des « corps intermédiaires », incapacité à comprendre les enjeux de civilisation… Je ne peux qu’approuver les commentaires de Didier Rykner !

Notre-Dame est une église chrétienne

Mais dans ces échanges, et plus généralement dans les réflexions et discussions autour de Notre-Dame, un point important me semble trop souvent passé sous silence. Le silence d’une évidence, peut-être, mais plutôt je le crains une censure implicite, ou un silence gêné. Notre-Dame est une église chrétienne.

Bien évidemment, la cathédrale de Paris n’appartient pas aux seuls chrétiens, ni de surcroît aux seuls catholiques, et ne concerne pas qu’eux. Dans sa beauté, sa sincérité, élan matérialisé vers la transcendance, pont de pierre entre la Terre et le Ciel, elle est un don fait à l’humanité entière par la chrétienté, inspirée par le christianisme. Tout comme le Parthénon, les temples d’Angkor ou le Taj Mahal, elle est universelle.

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Mais elle n’atteint cette universalité que par son authenticité propre. D’autres que moi sauraient sans doute l’expliquer, je ne peux que le constater : rien ne parle mieux à tous que ce qui est pleinement soi-même. C’est toujours dans l’intensité d’une expérience particulière que jaillit l’essence même de l’universel. Tout chef d’œuvre est unique, doté à la fois d’une inimitable unicité, et d’une profonde unité – fait d’autant plus remarquable dans le cas d’une cathédrale qu’elle est le fruit du travail de nombreux artistes et artisans, sur plusieurs générations.

Une église n’est pas un lieu comme les autres

Et pour Notre-Dame de Paris, cette authenticité et cette unité à travers les siècles sont indissociables de sa vocation d’église.

Même les touristes et les simples curieux qui la visitent viennent visiter une église : pas une promenade installée dans une ancienne église, pas une imitation d’église ni un bâtiment en forme d’église, mais une église.

Quelle est la différence ? Peut-être une cohérence logique, des détails auxquels seuls un croyant et un pratiquant seront sensibles, et qu’eux seuls sauront placer à bon escient parce qu’eux seuls comprendront véritablement leur signification et leur rôle. Peut-être aussi autre chose, une impalpable atmosphère, l’écho des prières et de la foi qui imprègne la pierre en même temps que la fumée des cierges. Irrationnel ? Et pourtant.

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Les orthodoxes le savent, pour qui la peinture d’une icône doit être une prière. Les Japonais le savent, qui depuis un millénaire rebâtissent tous les vingt ans à l’identique le temple d’Ise. Une cathédrale gothique n’est pas seulement une œuvre d’art, c’est une demeure construite pour accueillir la présence d’un Dieu, et abriter ceux qui veulent s’adresser à Lui et Lui confier ce qu’il y a de plus fort, de plus beau, de plus triste, de plus terrible, de plus intime dans leurs vies. Leurs espoirs et leurs désespoirs. Leurs terreurs et leurs joies. On peut bien évidemment ne pas croire en ce Dieu, ne croire en aucun, en un ou des autres, ou préférer devant l’immense mystère se dire que l’on ne sait pas. Mais dans tous les cas la réalité de ces prières, comme simple fait anthropologique, impose l’humilité. L’indispensable critique des religions, pour implacable qu’elle doive être, ne s’oppose pas au respect de la foi. Qu’il soit consacré à Yahvé, au Christ, à la Vierge, à Allah, à Bouddha, Amaterasu, Vishnu, Frigga, Zeus, Athéna, Apollon, Asclépios, un lieu où l’on vient déposer ses interminables nuits de veille et d’angoisse pour un enfant qui lutte contre la maladie, pour un enfant parti à la guerre, pour un enfant perdu, n’est pas un lieu comme les autres.

Place au square Notre-Dame de Paris

On ne construit pas une gare sans garder à l’esprit le passage des trains et l’accueil des voyageurs. On ne construit pas une école sans penser à la mettre tout entière au service de la transmission du savoir, de la culture, d’un certain art de vivre en harmonie avec une société. Ou alors on est un bien piètre bâtisseur. De même, on ne construit pas un lieu de culte, on ne le rebâtit pas, on ne le restaure pas, sans mettre le moindre élément que l’on y installe au service de sa vocation. La cohérence de l’intention est aussi importante que la cohérence esthétique.

Certains ont cru bon de proposer, par exemple, d’implanter une promenade arborée sur le toit de Notre-Dame. C’est un non-sens. Un jardin monastique sur une cathédrale, entre les bras élancés de ses tours et de sa flèche, pourquoi pas ? Un lieu de déambulation méditative, de prière silence, un cloître en somme, pourquoi pas ? Mais certainement pas un « espace vert » ! On peut se promener fort agréablement dans un cloître, mais c’est d’autant plus agréable que sa nature même de cloître lui donne ce je-ne-sais-quoi qui le distinguera toujours d’un square municipal, qui lui-même aura quelque chose de particulier faisant son charme.

L’âme en peine

Notre-Dame de Paris est une église. C’est ce qui fonde sa cohérence, son inimitable universalité, et osons le mot, son âme.

L’oublier, et plus encore le négliger, le nier, le refuser, ce serait lui faire pire que tout ce qu’a pu faire l’incendie, ce serait renoncer à la soigner pour empailler son cadavre. Mieux vaut une ruine qui a gardé son âme qu’une reconstruction qui l’a perdue.

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L’oublier, ce serait aussi dans un délire d’arrogance trahir ceux qui l’ont patiemment bâtie, et pendant des siècles entretenue et restaurée. Même le plus modeste tailleur de pierre du Moyen-Âge n’était pas juste un pauvre ouvrier exploité, n’en déplaise à certains. Année après année, geste après geste, tandis que ses doigts se faisaient calleux et que le manche de son outil prenait la forme de ses doigts, il sculptait une prière et inscrivait son œuvre dans l’éternité. Sans doute sa vie nous semble-t-elle aujourd’hui difficile, dure, peut-être misérable. Raison de plus pour que nous respections ce par quoi il lui a donné sens, ce qui a fait son humble grandeur. Pour que son travail ne soit pas un tremplin à notre orgueil, mais notre inspiration.

Quoi que nous fassions de Notre-Dame de Paris, que nous y mettions cent sept ans ou seulement cinq, veillons à ce qu’elle puisse continuer à abriter dignement les prières qui y ont été déposées depuis des siècles, et à accueillir celles d’aujourd’hui et de demain, impalpable mais authentique trésor.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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