N’écoutez pas tous les commentateurs. Non, le débat n’était pas d’un terrible ennui. Et oui, Marine Le Pen est parvenue à jouer les seules cartes à sa disposition dans cette partie. Analyse.
Les enfants gâtés de la société du spectacle sont déçus : ils attendaient de ce débat d’entre-deux-tours du sang, de la chique et du mollard, ils espéraient comme à l’accoutumée qu’on les distraie de leur ennui existentiel, ils rêvaient d’un octogone tonitruant, d’un match de boxe façon Rocky IV… La plupart des journalistes et chroniqueurs, pareillement, en voulaient pour leur argent, attendaient des punchlines dont ils font leur beurre au fond de la caverne de Platon dans laquelle ils se meuvent avec confort, lesquelles punchlines dissimulent soit le réel soit le vide. Tout ce petit monde, habitué depuis quelques jours à la blitzkrieg menée tambour battant contre Marine Le Pen par la quasi-totalité du système en place – de la CGT jusqu’au Medef en passant par les écologistes et la Grande mosquée de Paris – ayant scandaleusement acté depuis deux semaines qu’il ne saurait y avoir de confrontation démocratique « normale» mais seulement des cris d’orfraie et des outrances hystériques, s’en repartit donc boudant dans sa chambre au milieu de l’émission parce que, tout de même, passer plus de deux heures à écouter des candidats à la magistrature suprême, quel ennui… !
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« Libé » pas au niveau
Vite du Hanouna, vite du Quotidien, vite de la foire d’empoigne. Certains, du reste, comme Libération, ne s’embarrassèrent même pas de faire semblant de travailler sérieusement lors d’une étape démocratique fondamentale et sortirent leur Une fustigeant la prestation de Marine Le Pen dans ce débat (« Toujours pas au niveau ») alors même que celui-ci n’était même pas fini. Si la presse macroniste se mettait à travailler réellement et à se confronter au réel, on ne s’en sortirait pas !
Et pourtant, et pourtant, dans ce très long débat d’entre-deux–tours, technique et sérieux, dont la préparation fut théâtralisée à outrance aussi sûrement que des jeux du cirque ou quelque corrida dont on espérait la mise à mort de quelque bête immonde fantasmagorique, de très nombreux sujets furent enfin abordés qui avaient été savamment escamotés par la plupart des médias pendant la quinzaine antifasciste de circonstance, mais également, cette longue confrontation républicaine permit de voir, en raison précisément de sa durée, à quel type de personnages l’on avait réellement affaire.
Les limites de la diabolisation
Au dictionnaire des idées reçues dans le strict cadre médiatico-mondain parisien, il ne fallait pas oublier de louer l’étalage supposé des compétences macroniennes que l’on ne manquait pas d’opposer à la rigueur un peu trop méticuleuse de son adversaire féminine. Pourtant, et curieusement, quiconque se sera promené en ville, dans les commerces, dans les transports en commun, partout, aura entendu un tout autre son de cloche dont on finit par se demander pour quelle raison mystérieuse il n’est pas parvenu aux oreilles de ceux qui font l’opinion et l’information : absolument toutes les conversations bruissaient, au lendemain du débat, de l’insupportable arrogance du candidat à sa réélection et du calme de la candidate. La diabolisation a fait chou blanc, tout comme le procès en incompétence. On attendait, on espérait, qu’elle trébuche, qu’elle tombe, qu’elle se plante, il n’en a rien été. A l’inverse, certains auraient espéré qu’elle se montre plus agressive sur le bilan calamiteux du sortant, l’on espérait du McKinsey, du Rothschild, de l’Alstom : au contraire a-t-elle gardé le sens de la mesure et de la pondération, avec seulement quelques petites allusions en filigrane, juste de quoi introduire la connotation mais suffisamment ténues pour empêcher l’hystérie de s’installer au cœur du débat et déjouant ainsi de toute évidence le plan de contre-attaque envisagé par la communication macronienne qui aurait alors surjoué l’indignation et les colères de sainte nitouche. Emmanuel Macron a bien essayé de monter dans les tours en agressant son interlocutrice mais celle-ci, en mère de famille avertie, n’a pas renvoyé les balles ou juste ce qu’il fallait, de sorte que celles-ci allaient la plupart du temps se perdre dans le décor à la manière des éoliennes du Touquet bel et bien disparues conformément à ce qu’a affirmé la candidate. Ce faisant, Marine Le Pen put non seulement enfin parler (un peu) de son programme mais aussi en petite partie du bilan macronien (ce qui était rigoureusement impossible pour cause de propagande médiatique ininterrompue au cours des jours précédents), mais surtout elle a, par son attitude, contraint Emmanuel Macron à se révéler sous son vrai jour, en dehors du théâtre et de l’apparat. Ce-dernier, se tenant mal et de manière irrespectueuse, avachi sur son bureau en désordre, dans une posture que le premier gauchiste venu pourrait sans trop se forcer qualifier de pénible manspreading, anormalement agité et la pupille convenablement dilatée, passa son temps à interrompre la candidate, lui coupant la parole de manière intempestive, parasitant autant que possible le débat au point d’ailleurs que les deux journalistes qui conduisaient les opérations durent à plusieurs reprises lui demander de bien vouloir se taire (ce qui n’était pas arrivé souvent au cours des dernières années) afin que Marine Le Pen puisse démocratiquement jouir de son temps de parole. Il est vrai que lorsqu’on est habitué à saturer l’espace de débat public sans contradiction, le fait d’être confronté à un discours opposant libre de s’exprimer sans pouvoir ni l’incriminer, ni le menacer (et sans tirs de LBD dans les yeux !) peut être déstabilisant.
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Faudra pas venir pleurer !
Il convenait d’aborder ce débat de manière tacticienne et non pas en fonçant tout de go tel le taureau sur un chiffon rouge dont on aurait alors scellé la mise à mort bien commodément. Il est des parties qui se gagnent parfois en défense, même si ce ne sont pas les plus beaux matchs, et en particulier lorsqu’on est donné perdant avec une toute petite cote. Or, au sortir de ce spectacle de gosse insupportablement mal élevé et de dame bien patiente qui attend que le gamin ait fini sa crise, ce qui était manifestement visé était d’une part de souligner dans quel camp se trouvait l’agressivité, et d’autre part de rappeler aux personnes qui ont passé cinq ans à haïr Emmanuel Macron pour quel personnage ils s’apprêtaient, en conscience, à aller revoter. Il s’agissait en quelque sorte de leur rafraîchir la mémoire et il faut bien avouer, quoi que l’on pense des programmes de l’un et de l’autre, que cette tactique « molle » contraignant l’adversaire à se dévoiler sous son vrai jour était assez finement jouée : sans doute était-ce même en réalité le seul coup jouable dans cette partie. Beaucoup de castors du barrage dit républicain n’étaient, au lendemain du débat, à en juger par les nombreuses conversations entendues et lues, plus très sûrs de vouloir glisser un bulletin de vote portant le nom du pénible individu dans l’urne, fût-ce au prix de la chimère ridicule d’une revanche législative qui ressemblait de plus en plus à un vaudeville de cocu-content. Qu’importait que le camp macronien eût comme de bien entendu trouvé son champion formidable, qu’importait également que le camp de Marine Le Pen eût apprécié l’assurance calme de sa championne, ce qui comptait dans le fond c’était bien de rappeler aux indécis et aux barragistes potentiels qui eurent à subir le mépris, la morgue, la violence et l’arrogance du macronisme pendant cinq ans, qu’ils seraient alors directement responsables en cas de récidive de leur sort à venir et qu’il ne faudrait pas alors venir pleurer. Gageons que sur ce point au moins, à l’issue de ce débat, chacun savait très précisément à quoi s’en tenir quant aux deux candidats, ce qui en faisait donc, contrairement à l’idée médiatiquement reçue, un révélateur parfaitement réussi, de quelque côté que le cœur de chacun balance.
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