Le pugilat annoncé a eu lieu. Hier soir, sur TF1, face à deux journalistes insipides (Anne-Claire Coudray et Gilles Bouleau, pour ne pas les nommer), le club des cinq mieux placés dans les sondages a donc débattu. Mention spéciale à François Fillon et Emmanuel Macron pour leur petite larme liminaire versée en vibrant hommage aux six autres candidats absents du plateau. Leur lamento légèrement hypocrite avait un vague parfum de Cérémonie des Gérard, séquence nostalgie, lorsque toute la profession verse des larmes de crocodile pour rendre hommage aux acteurs défunts. S’ils avaient vraiment à cœur d’organiser un débat contradictoire entre les onze prétendants au fauteuil élyséen, que n’ont-ils boycotté ce format antidémocratique ? C’est bien simple, sans Fillon ou Macron, l’émission aurait été annulée et le pluralisme sauf. Mais à l’impossible, nul présidentiable n’est tenu…
Pugilat cacophonique
Passons. Comme on pouvait s’y attendre, la disputatio à cinq a viré au combat de catch de trois heures et demie, avec les rituelles prises contrôlées et indignation forcées. Chacun occupait son emploi jusqu’à la caricature, tels des comédiens du cours Simon : Fillon en ordolibéral austère, Mélenchon en candidat des petits, Macron en champion du « renouveau », Le Pen en porte-parole des sans-grade assoiffés de frontières. Dans un premier temps, l’ancien Premier ministre empêtré dans une guerre des nerfs avec le parquet financier, a paru au-dessus de la mêlée, prenant bien soin de ne pas interrompre ses adversaires et d’éviter le combat de chiffonniers. Difficile lorsque la purge néolibérale qu’il annonce se voit brocardée, notamment par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, l’une dénonçant une prétendue « privatisation de la Sécurité sociale », l’autre dévoilant au plus grand nombre le projet LR de libéralisation totale du temps de travail (« Vous ne pouvez pas au-delà de 48 heures par semaine, c’est la durée maximale légale en Europe », a-t-il fait valoir avec raison).
Le Grand Débat: si vous l’avez raté par LEXPRESS
Aux côtés d’un Macron fin équilibriste, au point de souvent friser le sophisme (une cuiller pour la droite libérale, une cuiller pour la gauche de l’assistanat ; un coup contre le Revenu Social des Indépendants (RSI) qui ratiboise les petits commerçants ; un coup contre leur retour dans le régime général des impôts, une fois républicain laïque intransigeant, une autre adepte du multiculturalisme sans l’aimer), Mélenchon a brillé d’éloquence. Quoi qu’on pense de sa VIe République constituante, de son droit opposable à l’emploi, de sa Sécu qui rase gratis, de son écologisme planificateur, de son angélisme sécuritaire, et j’en passe son amour de la belle langue, doublé d’un lyrisme rappelant les très riches heures du socialisme français, laisse admiratif. En face, le réformisme petit bras d’un Benoît Hamon fait pâle figure : le revenu universel dès 2018 (dans quelles limites ? avec quel argent ?), la défense de la veuve voilée et de l’orphelin, c’est un peu court jeune homme…
D’étonnants rapprochements se sont opérés au cours des échanges souvent cacophoniques. Aux dialogues désaccordés entre Hamon et Macron (parfaitement ironique dans son rôle de méchant banquier fier de son parcours…) qui leur ont valu les sarcasmes d’un Mélenchon (« c’est bien qu’il y ait un débat au PS ! ») ont succédé de profondes convergences économiques entre Macron et Fillon. Dans le domaine international, survolé en quelques minutes à la fin de l’émission, ce sont plutôt Fillon et Mélenchon qui communient d’une même voix raisonnablement pro-russe alors qu’Hamon a, dans une sortie aussi courageuse qu’inattendue, durement critiqué l’Arabie Saoudite et le Qatar pour leur œuvre prosélyte en faveur du salafisme. L’ennui, c’est que le candidat du PS se refuse à toute alliance, fût-elle pragmatique, avec la Russie ou l’Iran. De son purisme diplomatique, pourrait donc sortir une France seule, un comble pour ce pourfendeur du « nationalisme » trumpo-mariniste !
Mélenchon au-dessus du lot?
Des déclarations de Miss France (« Je serai le président de la paix ») indignes de l’intelligence mélenchonienne, on ne tirera pas grand enseignement. La péroraison de Marine Le Pen, présidente de « l’ordre » (comprendre : en lieu et place de la chienlit actuelle), témoigne d’une inquiétante absence de vision pour la France, au-delà du refus de l’utopie sans-frontiériste et néo-libérale dans laquelle voudrait nos emmener certains de ses opposants. Aucune perspective de long terme tracée, des questions aussi essentielles que le défi écologique et la révolution transhumaniste peu ou pas abordées, voilà qui fit bailler le spectateur somnolent que j’étais devenu hier à minuit passé.
In fine, Mélenchon aura peut-être tiré son épingle du jeu, malgré sa phraséologie marxiste hors d’âge et son immigrationnisme très impopulaire. Idem pour Macron, dont le costume de jeune premier frais émoulu d’une école de commerce habille ce VRP de la mondialisation heureuse. En-deçà, une Marine Le Pen très IIIe République n’aura su se défaire de ses mauvaises manières ni crever le plafond de verre de la crédibilité. Il ne suffit pas de répéter ad libitum quelque slogans (« patriotisme économique », « priorité aux entreprises françaises ») pour répondre aux interrogations sur son programme. Quant à François Fillon, malgré quelques envolées gaulliennes, sa politique de sape sociale risque de lui coûter électoralement bien plus cher quele harcèlement judiciaire qu’il subit depuis des mois.
En somme, tout concourt à donner raison à Belinda Cannone, dont le constat désabusé ne cesse de me hanter : ainsi que l’énonce cette grande féministe dans La bêtise s’améliore, on ne débat plus sur des contenus, mais sur des postures… Contre toute attente, et si les vrais gagnants de la soirée étaient les six candidats privés de débat ?
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