La très confidentielle École des arts joailliers, soutenue par Van Cleef & Arpels, ouvre ses portes aux visiteurs pour une exposition exceptionnelle : la collection de camées, bagues et intailles de Guy Ladrière. Une plongée dans une histoire plurimillénaire, celle des pierres gravées.
Guy Ladrière est un grand antiquaire. Il est aussi un remarquable collectionneur. Constituée au fil des décennies et selon les caprices du hasard, sa collection d’intailles grecques et néoclassiques, de camées antiques et médiévaux, de bagues signets mérovingiennes et d’anneaux épiscopaux raconte l’histoire des pierres gravées de l’Antiquité au XIXe siècle. En présentant pour la première fois au public cet ensemble exceptionnel de quelque 200 pièces, Guy Ladrière déroule le panorama continu des techniques et des styles qui constituent cet art millénaire de la glyptique.
Dans le livre qu’il publie à cette occasion, Philippe Malgouyres, conservateur en chef du patrimoine au département des objets d’art du Louvre, souligne que « camées et intailles sont nés d’un dialogue intime entre la pierre et la main de l’homme. Et avant d’avoir commencé à graver ou à façonner, celui-ci a d’abord ramassé ces pierres en s’émerveillant de l’infinie variété de leurs formes et de leurs couleurs. Cette curiosité et cette fascination sont tangibles dans le trésor des mots qui désignent ces pierres – à la fois labyrinthe et palimpseste de racines sanskrites, grecques, latines, arabes ou persanes. » Évoquer les calcédoine, agate, prasme, plasma, cornaline, sarde et sardonyx est, en soi, une plongée dans un monde poétique. Au Ier siècle de notre ère, Pline l’Ancien a consacré le livre XXXVII de son Histoire naturelle aux pierres fines et précieuses : il leur a ainsi donné plus de 300 noms, tirés de diverses sources écrites, mais dont il ignorait souvent le sens précis. Il a ensuite tenté de classer ces pierres, d’abord par couleur puis, ne pouvant poursuivre ce système, par ordre alphabétique. Rassembler ces noms de fantaisie pour nommer ces formes infinies de la nature demeure, encore aujourd’hui, une difficulté.
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La puissance des cailloux
Notre fascination pour les pierres, pour irrationnelle qu’elle soit – on leur confère aussi bien des vertus médicales, des pouvoirs divinatoires qu’on leur offre des prix de beauté – nous accompagne depuis la nuit des temps. Le livre de l’Exode nous apprend ainsi que le grand-prêtre du temple de Jérusalem portait une plaque pectorale sur laquelle étaient incrustées douze pierres de couleur représentant les douze tribus d’Israël. Ces pierres, réunies sur un même objet, exprimaient à la fois l’unité et la diversité.
Pline rapporte que les Anciens expliquaient l’origine du port de pierres sur des bagues par le mythe de Prométhée : ce titan, châtié pour avoir volé le feu aux dieux au profit des hommes, avait été condamné par Jupiter à être enchaîné sur le mont Caucase pour l’éternité. Mais libéré par Hercule, il a dû porter au doigt un anneau fait du métal de ses chaînes dans lequel était enchâssée une pierre du Caucase (onyx ou agate), afin de rester symboliquement attaché à la montagne.
Si les civilisations de la plus haute Antiquité ont fait preuve d’une maîtrise remarquable de la gravure sur pierre, celle des Romains a ensuite poussé cet art jusqu’à un raffinement inégalé. Qu’elles soient gravées en relief (camées) ou en creux (intailles), ces pierres se chargeaient de symboles différents selon ce qui y était représenté : héros de la mythologie, dieux, empereurs ou riches particuliers. Aux côtés d’œuvres rares et de très grande qualité, une multitude de pierres ont aussi été gravées pour orner des bijoux, servir de sceaux, commémorer un mariage ou rappeler son appartenance à une croyance. Collectionnées dès le Moyen Âge, les plus belles d’entre elles vont connaître un autre usage.
L’art de la récup’
Les pierres précieuses héritées de l’Antiquité ont été choisies au Moyen Âge pour embellir ce qu’il y avait de plus sacré : les vases liturgiques et les reliquaires. Philippe Malgouyres souligne que « leur beauté incompréhensible, leur virtuosité inégalée furent mises au service de Dieu ». Dès lors, l’iconographie païenne est interprétée dans une optique chrétienne : Caracalla devient saint Pierre, Vénus la Vierge, Jupiter saint Jean… Cette récupération inspirée a même été facilitée par l’afflux de ces pierres rares en Europe, en 1204, après le pillage de Constantinople par les croisés. L’importance du trésor de la basilique Saint-Marc, à Venise, témoigne de cet épisode de l’histoire.
Plus tard, la Renaissance italienne va poursuivre le réemploi de ces camées et intailles dans l’ornementation d’objets et de bijoux religieux mais, plus largement, le goût de l’antique et de la collectionnite poussera les princes et les papes à constituer des ensembles sans précédent. Pour répondre à la demande croissante des amateurs, les artistes du XVIe siècle vont non seulement pasticher les anciens, mais aussi graver de nouvelles pierres dans le goût de l’époque. L’âge baroque raffole à son tour de ces figures étranges et l’époustouflante imagination des artistes français alimente une passion qu’Henri IV lègue à son fils, et surtout petit-fils Louis XIV, qui pose les bases de la magnifique collection du cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale.
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Pierres immortelles
À l’issue d’un XVIIIe classique, le retour en grâce du style Empire sous l’impulsion de Napoléon Ier, au début du XIXe siècle, lance une quasi-industrie de la pierre gravée. On en met partout : sur les bagues bien sûr, mais aussi sur les ceintures, les colliers, les diadèmes, les chaînes de montre, les objets de bureau… À Rome, les artisans en produisent des quantités innombrables pour satisfaire une nouvelle soif, celle du « souvenir » pour touristes et pèlerins. Cet emballement prend fin aux environs des années 1860, lorsque les perles s’imposent dans la bijouterie. Dès lors, l’art de la glyptique redevient progressivement la chasse gardée des discrets amateurs de beautés rares, ces connaisseurs capables de dénicher la pièce unique qui porte en elle un morceau d’histoire. Ainsi, Guy Ladrière nous offre à voir cette miniature, une crucifixion en sardonyx montée en bague qui était si chère au roi Charles V que, lorsqu’il ne la portait pas, gardait sur lui la clef du coffre où il l’avait remisée.
Pierres gravées. Camées, intailles et bagues de la collection Guy Ladrière, L’École des Arts Joailliers, Paris, du 12 mai au 1er octobre 2022. 31, rue Daniel-Casanova, 75001 Paris. Entrée gratuite sur réservation : lecolevancleefarpels.com
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