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De Soljenitsyne à JD Vance

Le vice-président américain appelle les Européens à se défendre seuls, plaide pour la liberté d’expression met en garde contre l'immigration non désirée


De Soljenitsyne à JD Vance
Alexander Soljenitsyne aux États-Unis, septembre 1991 © LINE/SIPA, et JD Vance à la conférence de Munich sur la sécurité, Allemagne, 14 février 2025 © dts News Agency Germany/Shutters/SIPA

Le discours de JD Vance qui a choqué les Européens postule également que l’Occident n’est pas condamné à se soumettre à l’émergence du Sud global.


L’Occident a enfin entendu ce que lui a dit Alexandre Soljenitsyne à Harvard, le 8 juin 1978, dans son discours sur le « déclin du courage ». Cette prise de conscience s’est exprimée par la voix du vice-président des Etats-Unis, James David Vance, le 14 février 2025 à Munich. Il y a là plus qu’un écho.

Oh, bien sûr, les deux discours sont différents. L’âme slave, et la soif d’entreprendre américaine. Le dissident exilé, et le vice-président arrivant au pouvoir. L’orthodoxe, et le catholique. Et pourtant. Deux hommes de foi, remarquablement intelligents, se faisant une haute idée de l’Occident, montrant un profond respect envers les peuples occidentaux et envers la grandeur dont ils sont capables, qui nous disent ce que nous devons impérativement entendre.

Le grand frère se fâche

Ne soyons pas naïfs : Vance sert avant tout les intérêts américains, c’est son rôle. Si enthousiasmant soit le trio qu’il forme avec Donald Trump et Elon Musk, si jubilatoire soit leur message « l’Occident est de retour ! » pour quiconque est attaché à notre civilisation, rien ne garantit que les Etats-Unis ne retomberont pas dans quatre ans entre les mains des soi-disant « progressistes », qui restent bien décidés à détruire cette civilisation. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas nous reposer paresseusement sur le « grand frère » américain, dont l’avenir est encore incertain même s’il y a de bonnes raisons d’être optimiste. D’ailleurs, JD Vance exhorte justement l’Europe à se reprendre en main, à s’assumer, à refuser sa propre relégation aux marges de l’histoire. Il dénonce la soumission à l’immigration massive pour ce qu’elle est : un suicide. Et il invite les dirigeants européens à laisser leurs peuples s’exprimer librement et à les écouter, pour sortir par le haut de la crise démocratique actuelle.

Que le camp « progressiste » qui s’est emparé des rouages de l’UE juge un tel discours hostile en dit long. Et prouve, s’il en était besoin, que ce n’est certainement pas par un ralliement à ce camp, sous quelque prétexte que ce soit, que nous pourrons construire une Europe-puissance : toute puissance mise entre les mains des « progressistes » sera utilisée contre les peuples européens et contre la civilisation européenne, donc contre l’Europe – qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec les institutions de l’UE.

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On pourra toujours trouver à redire dans les propos de JD Vance, juger sa vision de la démocratie trop optimiste, pour ne pas dire naïve. Il y a du Périclès dans son enthousiasme, et l’hégémonie américaine sur l’Occident a sa part d’ombre, comme l’avait l’hégémonie athénienne sur la Ligue de Délos. Les Etats-Unis considèrent depuis longtemps la planète comme un plateau d’échecs qui leur appartiendrait (mais Trump bien moins que les autres présidents qui se sont succédés dans le bureau ovale depuis la fin officielle de la Guerre froide). La théorie de la « destinée manifeste » et sa religiosité peuvent amuser ou inquiéter. La soumission de l’économie mondiale au dollar ne bénéficie qu’aux Etats-Unis. Imaginer Trump et Poutine organisant un nouveau partage de Yalta – mais cette fois sans Churchill – vaut mieux qu’une Troisième Guerre mondiale, ou que le triomphe du wokisme, de l’islamisme ou des narco-traficants, mais n’a par ailleurs rien de particulièrement réjouissant. Soit.

Mais j’invite vraiment le lecteur à se faire son propre avis, à écouter ou à lire par lui-même le discours du vice-président américain. Ne vous contentez pas de ce que d’autres en disent, pas même moi ! Et vous verrez. Je n’ose y entendre les propos d’un ami : les Etats n’ont pas d’amis, seulement des intérêts. Mais ce sont assurément les paroles d’un authentique allié, qui veut ses alliés forts et dignes, et qui nous pousse à faire dans nos pays ce qu’il vient lui-même de faire dans le sien (Vance ne nie pas les errements qui furent ceux des Etats-Unis), pour relever la tête et renouer avec ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être – avec ce que Soljenitsyne lui aussi nous appelait à redevenir.


Ainsi, à Harvard déjà il était question de liberté d’expression : « On découvre un courant général d’idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d’esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d’intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d’une compétition, mais d’une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant. » Depuis, la soif de censure de la gauche et de l’extrême-centre ne se cache plus. Souvenons-nous des propos de François Sureau lors de son entrée à l’Académie française en 2022 : « Je ne sais ce que Max Gallo aurait pensé du moment où nous sommes (….) le citoyen réduit à n’être plus le souverain, mais seulement l’objet de la sollicitude de ceux qui le gouvernent et prétendent non le servir, mais le protéger, sans que l’efficacité promise, ultime justification de ces errements, soit jamais au rendez-vous. Non, je ne crois pas que ce disciple de Voltaire et de Hugo se réjouirait de l’état où nous sommes, chacun faisant appel au gouvernement, aux procureurs, aux sociétés de l’information pour interdire les opinions qui le blessent ; (….) où gouvernement et Parlement ensemble prétendent, comme si la France n’avait pas dépassé la minorité légale, en bannir toute haine, oubliant qu’il est des haines justes et que la République s’est fondée sur la haine des tyrans. La liberté, c’est être révolté, blessé, au moins surpris, par les opinions contraires. Personne n’aimerait vivre dans un pays où des institutions généralement défaillantes dans leurs fonctions essentielles, celle de la représentation comme celles de l’action, se revancheraient en nous disant quoi penser, comment parler, quand se taire. »

« Basket of deplorables » et « Gaulois réfractaires »

Depuis que JD Vance s’est exprimé, les dirigeants européens « progressistes » paniquent. Leurs relais parlent « d’ingérence » pour un simple discours, ces mêmes relais qui n’ont jamais rien trouvé à redire à l’authentique ingérence américaine lorsque les milliards de l’USAID alimentaient la propagande de leur camp. Ils tentent de détourner l’attention en la focalisant sur la question ukrainienne, allant parfois jusqu’à sombrer dans le complotisme en accusant Trump et Vance d’être inféodés à Poutine. Aujourd’hui même, le 17 février, Emmanuel Macron organise un sommet européen sur le sujet.

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Il a presque un an, je m’interrogeais sur l’étrange bellicisme de notre président et de ses soutiens dès qu’il est question de l’Ukraine, ou plus exactement sur le contraste flagrant entre ce bellicisme et une pusillanimité systématique dans tant d’autres circonstances. Soyons clairs : ceux qui invoquent de grands principes dès qu’il est question de l’Ukraine mais les « oublient » fort opportunément pour se coucher devant les Comores, l’Algérie, l’Azerbaïdjan, l’Iran, le Qatar, ne sont évidemment pas animés par les principes qu’ils invoquent – pas même dans leur approche de l’Ukraine. Il y a un an, je faisais plusieurs hypothèses sur ce que pouvaient être les motivations d’Emmanuel Macron et des « progressistes ». Avec le recul, j’en retiens surtout deux : « un prétexte pour transférer toujours plus de pouvoir aux institutions non-élues de l’UE au détriment de la démocratie, et sans doute renforcer le contrôle de l’information ; l’appétit pour les opportunités qu’une « économie de guerre » offrirait à Bercy. » Et j’en ajoute aujourd’hui deux autres.

La première est la fin de l’USAID. Les « progressistes » gouvernent contre les peuples, par définition : des deux côtés de l’Atlantique, ils veulent imposer ce qu’ils appellent « progrès » aux « basket of deplorables » et aux « Gaulois réfractaires ». Ils ne sont au pouvoir que grâce à une propagande éhontée, imposée dès l’enfance. Or, nous découvrons aujourd’hui que cette propagande bénéficiait très largement de l’USAID, voire en dépendait. La fin de l’USAID, le fait que les GAFAM et même Disney affirment renoncer à leur obsession pour la politique wokiste dite DEI (Diversité, Equité, Inclusion), montre aux « progressistes » européens que leur pouvoir vacille, et que l’un des principaux piliers de leurs situations confortables disparaît. Il leur faut donc de toute urgence un prétexte pour raffermir leur contrôle sur des peuples qui, si la propagande permanente ne les endort plus, pourraient bien leur demander des comptes.

La seconde est, peut-être, encore plus importante : Donald Trump, James David Vance et Elon Musk prouvent au monde entier que l’action est possible, et donc que si nos dirigeants ne font rien ce n’est pas parce qu’ils ne le peuvent pas, mais parce qu’ils ne le veulent pas. Que ce soit parce que la tiers-mondisation de nos pays sert leurs intérêts, ou parce qu’ils sont trop lâches pour s’y opposer. Depuis le 20 janvier 2025, l’Amérique nous montre qu’il n’y a pas de « sens de l’histoire » auquel il faudrait impérativement se plier, que le désenchantement n’est pas inéluctable, que le déclin de l’Occident devant le « Sud global », et la soumission des peuples occidentaux à la « diversité », ne sont pas une fatalité. Qu’un peuple qui relève la tête peut redevenir maître de son destin. Voilà ce que craignent plus que tout les « progressistes » : que les peuples européens relèvent la tête. Et c’est précisément ce à quoi Soljenitsyne et Vance nous invitent.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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