Les émeutes en Nouvelle-Calédonie révèlent une nouvelle fois le décrochement français. Par faiblesse et lâcheté, la République cède sur tous les plans et jusque dans ses territoires, de métropole aux antipodes. Elle ne propose rien pour créer un imaginaire commun à son peuple en proie à la division.
Cela fait 80 ans que la France ne cesse de décrocher, c’est-à-dire de capituler et de fuir devant des adversaires violents qui lui arrachent territoires et zones d’influence. Le renoncement avec son lot d’alliés abandonnés et d’honneurs bafoués est devenu un sport national, très en vogue dans les cabinets ministériels et les assemblées.
Diên Biên Phu, 1954. Canal de Suez, 1956. Algérie, 1962. Sahel 2023-2024. Que de décrochages à l’extérieur !
Quartiers nord de Marseille. Seine-Saint-Denis. Zones de non-droit aux quatre coins de la métropole. Que de décrochages à l’intérieur !
Et maintenant la Nouvelle-Calédonie ? Les émeutes récentes à Nouméa vont-elles donner à la France une occasion de plus de décrocher ?
Il y a de quoi s’inquiéter lorsque l’on mesure l’appétit de la classe politique pour le rapetissement du pays. Nos chefs détestent tellement la grandeur, ils lui préfèrent l’insignifiance et l’incantation stérile. Ils sont comme un mari cocu qui, après avoir découvert qu’il est cocufié, décrète que tous les hommes de la terre doivent vivre cocus pour éviter un bain de sang. Peu avant l’explosion de la violence à Nouméa, Macron proposait de partager le bouton nucléaire avec l’Union européenne, ce qui revient à y renoncer. Perspective bien plus dramatique que l’idée de perdre des cailloux, certes verts et gorgés de nickel, à 17 000 km de Paris.
Nous nous y sommes habitués. À force de renoncements, nous ne faisons plus attention aux chutes d’objets en hauteur que l’on croyait éternels et gravés dans le marbre. La morale publique est par terre, on admet désormais que dockers, maires, greffiers, douaniers et directeurs de prison soient touchés par la corruption. Comme on admet que les finances publiques soient en ruine ainsi que l’éducation et la culture. Alors de là à perdre des poussières de l’ex-empire que l’on croyait pacifiées et francisées à jamais comme Mayotte ou la nouvelle Calédonie…
Le moteur est éteint
Convenons d’une chose. Si la France rend la Nouvelle-Calédonie aux Kanaks, alors les États-Unis doivent rendre Hawaï et la Californie à leurs peuples premiers, et dans la même foulée, les Anglais doivent rendre l’Angleterre aux Celtes dont quelques résidus subsistent au Pays de Galles.
Des peuples qui ne veulent pas s’assimiler à leurs vainqueurs, on en trouve même au cœur de l’Europe : les Catalans, les Basques, les Corses, les Gitans. Ce qui se joue véritablement en Nouvelle-Calédonie est la capacité d’une patrie à faire patrie au-delà du périphérique, à rayonner au-delà de sa capitale. La crise kanake est un cri strident dans l’obscurité : la lumière émise depuis Paris n’atteint plus le lointain archipel, elle ne réchauffe plus les cœurs et ne brûle plus les mains grossières qui veulent s’élever contre le drapeau tricolore.
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Mettons-nous à la place d’un jeune Kanak, doté d’un smartphone et connecté au wifi. Que voit-il de la France ? Que représente-t-elle pour lui ?
Il voit des « enfants » à la tête du pays : Gabriel Attal et Emmanuel Macron. Il voit Sandrine Rousseau qui se vante d’avoir déconstruit son mari et qui propose un délit de non-partage des tâches ménagères. Il voit Aymeric Caron qui disserte sur le droit à la vie des moustiques. Il voit l’Eurovision avec ses drag-queens et ses artistes ratés. Il voit des commissariats attaqués au mortier, il voit un pays qui ne rêve que de se dissoudre dans l’Union européenne.
Eh bien, je serais kanak, je rêverais de Pékin plutôt que de Paris ! De Xi Jinping plus que du mari de Sandrine Rousseau ! À quoi bon se fondre dans une procession funèbre qui n’en finit pas ! On s’assimile à la vie, pas à la mort.
Nous serions fous d’exiger d’un peuple vivant qu’il lève les yeux vers un astre mort.
La diversité = la discorde
Autre vérité dérangeante que cette crise kanake jette à notre figure comme un crachat : la bonne santé du racisme antiblanc. Quiconque doté d’yeux et d’oreilles le savait déjà, mais les grands témoins de l’époque qui officient sur BFM TV ne le savent pas, eux qui se disent ouverts sur le monde, mais le parcourent tel un cheval portant œillères. Ils sont sans doute ouverts sur leur Airbnb de Barcelone ou de Manille, certainement pas sur la nature humaine avec ses zones d’ombre et de lumière. Ils vont à Pretoria et ils ratent l’évidence du racisme antiblanc, ils descendent à Kingston et ils passent à côté, ils se font fusiller du regard à Harlem et ils ne se sentent pas concernés. Ils se font courser à Paris au cri de « sale blanc » et ils accusent l’extrême droite.
À Nouméa se joue crûment ce qui s’est joué à Crépol quelques mois plus tôt. On tue des Blancs parce qu’ils sont blancs. La diversité provoque le conflit plutôt que l’harmonie. Au premier abord, elle excite l’instinct de domination des uns et la peur de la subjugation des autres. Vais-je dominer ou être dominé ? C’est la première question que provoque le surgissement de l’Autre, la plus importante. La collaboration, l’empathie et la solidarité viennent beaucoup plus tard, quand la hiérarchie a été établie.
En Nouvelle-Calédonie, un groupe, le kanak, se sent dominé depuis cent soixante-dix ans. Il n’a jamais pardonné aux Blancs les crimes de la conquête et les rigueurs de la colonisation. On se pardonne volontiers au sein de son peuple, mais difficilement en dehors. La diversité ne connaît pas le pardon. Il suffit d’un rien (le dégel du corps électoral) pour que le volcan qui couve depuis des décennies entre en éruption.
La race n’est pas la seule source de discorde en Nouvelle-Calédonie. En réalité, trois légitimités se font face. La légitimité kanake (40 % de la population) est pleine et entière : même si les Kanaks ont perdu la guerre, personne ne peut leur enlever leur antériorité et leur droit d’« aînesse ». La légitimité caldoche (29 %) est tout à fait fondée. Les Caldoches ont créé une identité (que dis-je, une « race ») parfaitement acclimatée aux conditions locales, rustique, résiliente et dynamique. La légitimité asiatique et polynésienne (26 %) est défendable aussi, mais elle n’a pas de revendication politique, pour le moment. Arrivés les derniers, les travailleurs indonésiens, indochinois, tahitiens, wallisiens et futuniens, entre autres, n’ont pas formé d’identité commune, les communautés ne se mélangeant pas ou pas suffisamment.
Deux thèses se font face et elles se valent toutes. Que faire ?
L’Histoire a vu un règlement définitif à ce genre de problème par le génocide.
Les Anglo-Saxons ont effacé la légitimité amérindienne de la surface de l’Amérique du Nord par le massacre systémique. Dans leur histoire coloniale, les Français ont heureusement renoncé à cette voie, n’en déplaise aux marchands de repentance. Une autre « solution » réside dans le métissage. Le Brésil en est l’emblème absolu, il ne connaît aucun mouvement indépendantiste alors que son territoire est immense et très mal contrôlé par les autorités. Cela dit, le Français n’est pas le Portugais, fasciné par la femme noire ou exotique. Il veut bien la « connaître », mais point la prendre comme épouse légitime. En cela, il est plus proche de l’Anglo-Saxon que du Lusophone. Et pour être fidèle à la vérité historique, aucun métissage de masse n’a eu lieu par génération spontanée. Au Brésil, le viol a métissé probablement autant que l’union libre entre adultes consentants.
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Des métis sont recensés en Nouvelle-Calédonie, mais ils ne sont pas assez nombreux pour créer une identité calédonienne nouvelle qui supplante les autres ou du moins brise leur monopole de l’authenticité. Qu’y a-t-il de plus authentique qu’un métis issu du mélange du sang de peuples qui se sont donné rendez-vous en Nouvelle-Calédonie et nulle part ailleurs ?
Il ne reste plus que la Politique pour faire fonctionner la Diversité. Dubaï et Singapour offrent le modèle d’un vivre-ensemble paisible et prospère où des races et des cultures qui se trucident habituellement vivent en parfaite harmonie sous le joug d’un État dictatorial. Dans l’Histoire, les empires ont admirablement géré la Diversité en s’interposant entre ses composants. L’Empire ottoman a fait vivre ensemble juifs, catholiques, orthodoxes, yézidis, Druzes, chiites et sunnites. L’Empire chérifien a fait cohabiter juifs et musulmans, à une condition cependant : que le statut des juifs soit inférieur à celui des musulmans. Du moment que la hiérarchie est établie et acceptée par tous, le vivre-ensemble devient possible, car les dominateurs ne craignent plus d’être renversés et les dominés reçoivent les avantages qui découlent de leur loyauté.
Que faire dans un cadre mental et légal fondé sur l’égalité, une douce illusion certes, mais qui demeure la pierre angulaire de l’univers mental français ?
Recréer la fraternité
Pour continuer à être sincères, disons qu’il n’y a rien à faire de définitif. Il faut vivre avec les conséquences de la diversité comme l’on vit avec l’herpès. On n’en guérit jamais. Ça va, ça vient. Entre deux crises, on a une vie normale. Et pour éviter de souffrir en excès lors des rechutes, l’on prend un traitement qui aplanit la courbe lorsque l’inflammation se présente. Cette thérapeutique consiste à divertir la Diversité. Il y a plusieurs manières de le faire, les bonnes et les mauvaises du point de vue moral.
Je serais machiavélique, j’inonderais le monde kanak d’idéologie LGBTQIA+, de #MeToo, de rap et de sucre, entre autres fléaux qui affaiblissent les hommes de 15 à 25 ans, la seule ressource révolutionnaire que le monde ait connue. Au lieu de fermer TikTok, je le rendrais obligatoire comme obligatoire est le port de la carte d’identité nationale : aucun cerveau ne peut tenir le coup à base de soixante minutes de TikTok chaque jour. À l’inverse et si l’on veut garder les mains propres, on divertira la Diversité en lui donnant un objet sur lequel se défouler. Au lieu de maintenir le huis clos insulaire, on ouvrira les fenêtres vers l’extérieur pour écouler le surplus de haine et de ressentiment. On scrutera l’horizon pour se trouver un adversaire commun, au loin. Car il vaut mieux se défouler sur un Afghan ou un Somalien que sur son voisin de palier.
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La France l’a fait, il n’y a pas si longtemps, elle pourrait le refaire. Durant la Seconde Guerre mondiale, goumiers musulmans et tirailleurs africains se sont battus à ses côtés en toute sincérité et en toute fidélité. Un ennemi commun et des bons chefs ont permis de forger l’union là où il n’y avait que la discorde. Il faudrait donner à la France entière, pas seulement à la Nouvelle-Calédonie, un projet impérial, un projet de grandeur, où chaque communauté projette sa part d’ombre à l’extérieur de la maison commune. Un projet ambitieux et « universel » où les individus mettent en commun leur pulsion de mort et leur instinct belliqueux pour fonder une fraternité nouvelle, insensible aux frontières ethniques et religieuses. Peut-être que la seule fraternité possible est celle des armes. Peut-être que le seul moyen d’éviter que Caïn et Abel ne s’entretuent consiste à leur donner un ennemi commun. Un ennemi à tuer, à déconstruire, à punir d’avoir envahi l’Ukraine ou l’Arménie, à sauver malgré lui de la crise climatique…
Au-delà de la métaphore guerrière, il est grand temps que la France ne se résume plus au recyclage et au compostage. Le pays crève du manque d’ambition. Il a besoin de renouveler son sang, de le tremper à nouveau au contact de défis à la mesure de sa grandeur. Au lieu de faire l’Europe des scribes à Bruxelles, nous ferions mieux de faire une Europe des centurions, aux services de nos intérêts et gouvernée depuis Strasbourg. Une Europe où « nos » Calédoniens, nos DOMIENS, nos Arabes et nos Gaulois auraient le dernier mot face aux Germains et aux Anglo-Saxons.
En attendant, le régime va probablement faire un chèque aux violents pour les amadouer et aux victimes de pillage pour les aider à réenclencher la machine économique. Et la vérité nous redonnera rendez-vous dans dix ou vingt ans…