Alors que le chef de l’État a rencontré le virologue marseillais jeudi, à la fois pour neutraliser le risque qu’il représente et pour tenter de capter un peu de son aura, il paraît essentiel de chercher à décrypter le symbole et le symptôme Raoult.
A la faveur de la plus grave crise sanitaire et économique traversée par la France contemporaine, une figure s’est imposée, celle de Didier Raoult. En quelques semaines, à la faveur de l’épidémie du Covid 19, l’ombre du médecin a grandi : une ombre bienfaisante pour ses partisans, inquiétante pour ses détracteurs. Pour certains, la cristallisation du débat autour de la figure du médecin Marseillais prouve que les grands évènements font les grands personnages. Pour d’autres, l’ego démesuré et le style provocateur du chercheur prouvent que les situations anxiogènes font le jeu des gourous.
Suivant qu’on le tienne pour une sorte de général de Gaulle en blouse blanche ou de général Boulanger chevelu, le professeur Raoult est perçu comme un symbole de guérison ou un symptôme d’aggravation des maux de la nation. Comme toujours en période de crise, la France s’est coupée en deux. Le pays est désormais divisé entre admirateurs et détracteurs de Didier Raoult.
Symbolique politiquement
Alors que plus de 7000 de nos concitoyens luttent en réanimation, la question de l’efficacité de la thérapie proposée par le fondateur de l’IHU Méditerranée est, bien sûr, vitale. Mais elle excède nos compétences comme notre propos. Nous ne traiterons ni de l’homme – il y aurait sûrement beaucoup à en dire – ni de son ordonnance ; mais du sens politique et symbolique que la polémique née à son propos peut revêtir. De quoi Raoult est-il le nom ?
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Le médecin marseillais incarne, sûrement à son corps défendant, la revanche des petits contre les gros et, bien sûr, celle des provinciaux contre la capitale. La France de Raoult ne roule peut-être pas toute en diesel et ne fume pas nécessairement des clopes mais c’est celle de ceux qui parlent sans filtre et ne craignent pas de détoner.
Les détracteurs de Didier Raoult ne s’y sont pas trompés. Ses adversaires ont tout de suite parlé à son sujet de populisme et de résurgence des gilets jaunes. « Il faut faire taire ce connard » a vociféré Daniel Cohn-Bendit. Dans un contexte marqué par une défiance croissante des Français à l’égard de leur classe dirigeante, l’hostilité franche, presque instinctive et quasi unanime des « sachants » à son égard a certainement contribué à l’immense popularité dont jouit le virologue auprès d’un grand nombre de nos compatriotes.
Un effet comète?
Un autre facteur du rejet et de l’adhésion que le lauréat d’un grand prix de l’académie de médecine a su susciter, réside dans sa capacité à incarner simultanément le prestige d’un mandarin et l’insolence d’un trublion. Raoult, c’est la gouaille et la générosité sous la coupole. Coluche et Pasteur, Bigard et Lavoisier réconciliés.
Si ce scientifique est devenu, sans nécessairement l’avoir voulu, le héraut de la France d’en bas, c’est qu’il a révélé la possibilité d’un populisme surdiplômé sachant se dresser contre les « importants ». C’est déjà la recette éprouvée avec succès par un Emmanuel Todd qui se présente comme chercheur à Cambridge et raille (souvent à fort juste titre) la faiblesse intellectuelle des « élites ».
Le succès du Marseillais, c’est celui d’un savant « de la haute » qui entend défendre la base contre l’incurie du sommet. La popularité du virologue semble ainsi traduire en creux l’attente d’une élite populiste. La haine qu’il suscite révèle peut-être aussi la peur d’une caste qui se sent vaciller.
Raoult, c’est aussi une sorte d’effet comète. Il n’y avait rien et soudain le chercheur a traversé le ciel médiatique. L’émergence irrésistible et imprévisible du personnage, la vitesse de propagation de sa parole sur les ondes ne sont d’ailleurs pas sans analogies avec la redoutable contagiosité et agressivité du Covid. Raoult semble avoir été d’autant plus vite propulsé sur le devant de la scène qu’il sortait de nulle part. La viralité du phénomène Raoult traduit peut-être une nécessité plus profonde qu’un simple besoin de virginité.
Le principe de précaution fustigé
Jusqu’ici quelques voix parvenaient, au prix de mille courbettes et contorsions à critiquer mezzo voce le main Stream, tout en prenant grand soin de ne pas perdre leur strapontin dans le barnum politico-médiatique. D’un coup, ces résistants de cour à la pensée unique passent pour des tièdes. Les animaux domestiques dévorent rarement leur dresseur. Par contraste, le fauve en blouse blanche paraît incontrôlable. L’aplomb incroyable et la férocité même de ses propos font mouche. Le virologue ne prend aucun gant, aucune précaution. Il avance à visage découvert et sans mâcher ses mots. Car si l’épidémiologiste avance des arguments logiques qu’il prend soin de formuler avec calme, ce qu’il sous-entend est dévastateur pour le pouvoir. Le verbe du Sudiste est un coup de pistolet dans une salle de concert. La capacité de percolation de son discours paraît directement corrélée à sa force de percussion. Elle permet de mesurer la puissance de feu d’une parole à la fois argumentée, sincère et brutale dans l’univers aseptisé de la com, des éléments de langage empesés. Le succès de Didier Raoult autant que son rejet, tiennent ainsi probablement du fait qu’il ne refuse de rester à sa place.
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L’homme qui prétend vaincre le Covid ne cesse pourtant de le répéter : « je ne parle que de ce que je connais ». Il présente lui-même sa parole comme une parole d’autorité. L’autorité se fonde sur la connaissance bien sûr mais aussi sur une échelle de valeurs partagée par son détenteur et par ceux sur qui elle s’exerce. L’autorité qui vient du latin augere (augmenter) tend aussi à élever celui qui s’en réclame et ceux qui la reconnaisse. Enfin, l’autorité offre toujours à celui qui s’en réclame un excellent moyen de monter sur ses ergots. Par nature et a fortiori si elle est multiple, l’autorité tend à dépasser son propre cadre.
Didier Raoult se présente à la fois comme un soldat de la médecine, un chercheur, épidémiologiste, spécialiste des virus et épistémologue. Du haut de cette modestie, le Marseillais fustige le principe de précaution, le rejet de toute prise de risque, le refus d’assumer ses responsabilités, le jargon destiné à tenir à distance le commun des mortels. Il prend exactement le contrepied de nos dirigeants qui s’abritent derrière des comités Théodule pour édicter des doctrines fondées sur un « rationnel scientifique ».
A contraire, Didier Raoult explique que la science peut se tromper et que nous devons nous garder de lui vouer un culte et adopter, à son égard, une posture pragmatique. « Donner moi des trouveurs et non des chercheurs », disait de Gaulle. « Peu importe que les chats soient noirs ou blancs, l’essentiel est qu’ils attrapent des souris », disait Den Xiaoping. Le médecin de la Timone aurait pu être l’auteur des deux formules. En ce sens, même si la comparaison peut paraître excessive, sa parole semble faire écho à celle d’un célèbre général de brigade qui, s’appuyant sur son expérience pratique de l’arme blindée et sur ses analyses prémonitoires avait dit haut et clair son fait à un état-major désastreux. Le professeur de médecine incarne, lui aussi, une légitimité qui se dresse contre la légalité.
La force de conviction comme la capacité d’irritation provoquée par cet anticonformiste résident en ceci qu’il conteste un paradigme, un modèle, un ensemble d’idées reçues qui, selon lui, sont celles du pouvoir en place et qui le condamne à l’impotence. Jouant d’un formidable effet contraste, Didier Raoult propose une thérapie « bricolée » dont il prétend qu’elle marche alors que les autorités invoquent la science pour reconnaître leur impuissance face au virus.
Un artiste
L’ordonnance Raoult possède un je-ne-sais-quoi de vintage. L’une des forces de la thérapie Raoult, c’est de paraître s’appuyer sur une médecine à l’ancienne, du temps où Hippocrate ne servait pas encore Mercure. Sans qu’il ait besoin de le dire, celui qui se présente comme le tombeur du coronavirus, se réclame d’un art qui servait encore à soigner les malades et qui n’était pas encore une science enrégimentée par les laboratoires. Doux comme la colombe et rusé comme le serpent, recommandent les Écritures. Didier Raoult qui travaille avec le géant pharmaceutique Novartis n’hésite pas à s’en prendre aux essais « randomisés » avec cohortes massives et tests en double aveugle.
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La médication proposée par le Marseillais n’est pas très innovante. C’est une association de molécules peu coûteuses et déjà connues qui, administrée dans les délais prescrits, prétend son défenseur, s’avère efficace. Un remède peu sophistiqué mais ingénieux qui semble parfaitement correspondre au célèbre système D national.
Voilà qui ne pouvait qu’horripiler la classe dirigeante (qui n’a que les mots « Europe » et « globalisation » à la bouche et qui assimile constamment et scandaleusement fierté nationale et repli nationaliste). Extravagant paradoxe, c’est une solution élaborée en France, par un médecin français et qui est en passe d’être adoptée dans le monde entier sauf dans l’Hexagone.
Le destin de l’association de chloroquine et azythromycine fait un peu songer à celui de la combinaison puissance de feu et vitesse motorisée prônée par le colonel de Gaulle. Lue et appliquée en Allemagne, cette doctrine provoquera risée et haussement d’épaule à l’école de guerre. Aujourd’hui, la Chine, les États-Unis et de nombreux pays semblent fonder plus d’espoir dans cette thérapie made in Marseille que nos propres autorités. Comme si le monde entier avait davantage confiance en la France que l’élite française n’avait confiance en elle-même et en nous. Si Raoult a raison, la pusillanimité des autorités est en effet scandaleuse. S’il a tort, les faux espoirs que suscite son cynisme sont sordides.
Raoult est-il un manipulateur ou un sauveur ? Il est encore trop tôt pour le dire mais il a déjà mis en place ses réseaux, ouvert sa page Facebook et créé de multiples comités de soutien. La seule question qui se pose est désormais de savoir si les Français devront ou non attendre 2022 pour retrouver le visage désormais familier du médecin marseillais.
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