Paul B. Preciado, reçu et encensé par le gratin de France Inter, de Laure Adler à Claude Askolovitch, est présenté comme trans et philosophe. Il est peut-être trans, mais il n’a rien d’un philosophe. « Colporteur de charabia » serait un meilleur titre professionnel.
Animatrice et productrice d’émissions à la télé et à la radio, collaboratrice dans différentes maisons d’édition, Laure Adler fait partie, depuis plus de quarante ans, de ce qu’on appelle le paysage culturel et audiovisuel français. Léa Salamé a fait d’elle une de ces « femmes puissantes » qui ont changé sa vie[1]. Puissante, Laure Adler l’est devenue, et de plus en plus, au gré de ses pérégrinations professionnelles. En août 2005, elle quitte la direction de France Culture sans oublier de s’octroyer au passage la production exclusive de «À voix nue», l’une des émissions de la radio publique offrant le plus haut taux de rémunération en cachets et droits d’auteur, selon le SNRT-CGT (Syndicat National de la Radiodiffusion et de la Télévision). Le même syndicat s’interrogera sur l’avenir de cette émission produite par une seule personnalité omniprésente sur les chaînes de Radio France et réputée pour avoir su « s’imposer en donnant des gages à tous les courants politiques dominants ». Les sagaces représentants de ce syndicat craignent alors que « la connivence “people” » et la superficialité ne remplacent la connaissance et la profondeur. Les émissions qui suivront confirmeront leurs craintes et nombre d’auditeurs se désoleront d’entendre des entretiens menés sans rigueur intellectuelle par une Laure Adler minaudant des platitudes devant des invités de renom, philosophes, historiens ou artistes se demandant visiblement ce qu’ils sont venus faire dans cette galère.
Puissante, Laure Adler le sera encore lorsque, avec d’autres commissaires politico-littéraires, elle traquera un écrivain « pire qu’Hitler » (dixit Adler à propos de Renaud Camus) ou un autre qui « fait des livres qui sont scandaleux sur le plan du respect des droits de l’homme » (dixit la même à propos de Richard Millet). Laure Adler est parvenue à mener une carrière, qu’on qualifiera simplement d’opportuniste pour rester poli, en affichant un féminisme radical de type bêtement haasien et une bien-pensance conforme au progressisme wokiste qu’elle n’hésite pas à étaler devant les caméras au risque de dire parfois de grosses bêtises. Ainsi, un soir où elle se sentait particulièrement en verve antiraciste, elle lança à Franz-Olivier Giesbert qui regrettait de ne plus entendre parler français dans certains endroits de Marseille: « Vous êtes blanc quoi, et fier de l’être ! Y’a pas assez de Blancs autour de vous ! » – et ne se rendit pas compte qu’en réservant l’usage de la langue française aux seuls Blancs, elle tenait un propos absurde et raciste. Bien entendu, Laure Adler vénère la présidente du Tribunal littéraire Annie Ernaux. En revanche, elle exècre Michel Onfray qui a eu le tort de dire ce qu’il pense de Sartre et de Simone de Beauvoir et de critiquer une certaine religion de paix, d’amour et de tolérance. Bref, Laure Adler reste un bon petit soldat de la gauche médiatique et culturelle, toujours à la pointe des combats « sociétaux » qui font du bien à l’âme, toujours prête à réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme elle – ce qui est ennuyeux quand on officie sur une radio publique, c’est-à-dire un média payé par tous les Français.
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Le 7 novembre dernier, Laure Adler a reçu dans son émission sur France Inter, « L’heure bleue », un extra-terrestre dénommé Paul B. Preciado. Disciple de Judith Butler et de Foucault, Paul B. Preciado, qui se dit philosophe, s’appelait Beatriz Preciado avant sa transition. Beatriz a été la compagne de Virginie Despentes et a décrit dans un livre intitulé Testo Junkie les expérimentations accompagnant sa transition ainsi que les multiples plaisirs pénétratifs partagés avec Virginie Despentes grâce à différents objets de toutes les formes et de toutes les tailles. C’est très instructif pour qui veut connaître les possibles conséquences d’un abus de médicaments hormonaux ou d’un surdosage de lectures butlériennes. De Judith Butler, Preciado a principalement retenu la leçon suivante : si tu veux épater les cuistres médiatiques ou universitaires, parle et écris comme un cuistre : charabiase, jargonne, baragouine tant que tu peux. Dans cet art, Preciado est passé maître. Ses concepts, appelons ça comme ça, sont rabougris et d’une pauvreté intellectuelle stupéfiante et, conséquemment, ses phrases pseudo-philosophiques sont tout à la fois absconses et faméliques – d’où la nécessité de les faire tourner en boucle dans un sens puis dans l’autre. Le discours, rodé, puise grossièrement dans l’œuvre des penseurs de ce qu’on appelle la French Theory (Derrida, Foucault, Deleuze). Ainsi, explique Preciado à Laure Adler, sa transition est pour lui « un acte de décolonisation, d’essayer d’extraire – c’est quelque chose qui se fait au quotidien et c’est une tâche infinie – les instances, donc les technologies de subjectivation qui essaient de capturer la puissance désirante qui nous habite ». Laure Adler a à peine le temps d’avaler cette indigeste mise en bouche, que Preciado lui sert le plat principal : son changement de corps est « un acte somato-politique » car son « assignation de genre à la naissance, cette inscription dans la réalité sociale par les normes, n’est qu’une fiction politique ». En réalité, affirme Preciado, ces catégories (homme/femme, hétéro/homo, etc.) n’existent pas. Elles ont été créées par « l’ordre hétéro-patriarco-colonial » pour consolider son pouvoir et opprimer les minorités. À la fin de cet entretien, Preciado revient sur l’incendie de Notre-Dame. Celui-ci ne l’a pas ému mais lui a surtout permis de prendre conscience que « l’esthétique pétro-sexo-raciale dont le mode de production fonctionne par les énergies fossiles, et dont le mode de reproduction fonctionne par le binarisme sexuel mais aussi par une taxonomie raciale hiérarchisée, était en train de s’effondrer »[2]. Laure Adler fait semblant d’avoir tout compris. « Faut-il être cultivé pour pouvoir vous comprendre ? » demande-t-elle à celui qui, précise-t-elle, organise des séminaires très courus dans des universités ou au Centre Pompidou. Croit-elle réellement que ces lieux sont encore destinés à propager le savoir ou l’art, et qu’il faut être cultivé, ou avoir la prétention de le devenir, pour s’y rendre ? Ignore-t-elle que les absurdités wokistes, les délires d’une sous-philosophie d’obédience déconstructiviste y ont aujourd’hui pignon sur rue ? Elle ne se pose pas ces questions, bien entendu ; elle croit à la théorie du genre, au féminisme coffinien, à l’antiracisme racialiste, à toutes les aberrations identitaires de l’époque – pour elle, cela ne fait pas débat. Elle ne voit donc pas où est le problème lorsqu’elle invite cette imposture philosophique dénommée Preciado, cette mutation de la pensée préfigurant la disparition de l’intelligence, c’est-à-dire le très prochain résultat de la décadence occidentale arrivée à son terme si, comme l’écrit Jean-François Braunstein, l’Occident ne s’élève pas courageusement contre les aberrations fanatiques de la Religion woke.
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« Il faut s’accrocher pour ne pas succomber à la syncope ou à l’éclat de rire tant ce salmigondis de postmodernisme est indigeste », écrit Eugénie Bastié dans un excellent article paru dans Le Figaro à propos du dernier livre de Preciado[3]. La journaliste souligne que les théories soi-disant philosophiques et originales de Preciado ne sont qu’une resucée élimée des thèses postmodernes issues des universités américaines. Par ailleurs, elle note la contradiction d’un penseur « révolutionnaire » critiquant la « modernité disciplinaire qui brise les corps par des “punitions répétitives” » tout en s’infligeant un traitement hormonal à vie. Enfin, Eugénie Bastié évoque l’émission de Laure Adler et regrette d’un mot que nos impôts servent à entendre les élucubrations d’un philosophe de carnaval – plutôt que les réflexions de véritables philosophes comme Jean-François Braunstein, Pierre Manent, Chantal Delsol, Bérénice Levet ou André Perrin, a dû penser la journaliste du Figaro.
Sur France Inter, l’esprit de corps n’est pas un vain mot. Lors de sa revue de presse du 17 novembre, l’inénarrable Claude Askolovitch se réjouit que Xavier de La Porte (chroniqueur sur France Inter et journaliste à L’Obs) voie « chez Preciado la philosophie même ». En revanche, il goûte peu le papier d’Eugénie Bastié qui, dit-il, a choisi de « haïr [sic] Preciado et de le détruire [resic] en le livrant à nos rires ». Les années passant et le culcullapralinisme progressant à grands pas, Claude Askolovitch est de plus en plus sensible. Une pichenette, et le voilà qui pousse des cris. Une critique joliment troussée, et le voilà qui s’évanouit. Le journaliste regrette qu’Eugénie Bastié ait intentionnellement cité un ou deux passages charabiesques du livre de Preciado : « C’est une facilité que de moquer la langue de la philo », lâche Askolovitch qui, heureusement pour lui, ne peut pas entendre, de l’autre côté du poste, nos éclats de rire redoublés. Mais ce qui a surtout affligé Claude Askolovitch, c’est qu’Eugénie Bastié ait eu l’audace de signaler que c’est avec nos impôts que Laure Adler a pu faire la promotion d’un « penseur » nombriliste parmi les plus désolants de la galaxie wokiste qui, il est vrai, n’en manque pas. Trop, c’est trop. Dans un dernier élan de solidarité avec sa consœur, Claude Askolovitch, le corps tendu, la mâchoire ankylosée, balbutie, en guise de conclusion, une étrange interrogation : « Mais que seraient nos impôts s’ils censuraient ce qui déplaît ? » Traduite, cette phrase semble vouloir rappeler que la mission de l’audiovisuel public est de permettre la libre expression de toutes les sensibilités – il est regrettable que ce généreux principe ne soit pas plus souvent appliqué par ceux qui s’en réclament avec tant de (maladroite) véhémence.
[1] Léa Salamé, Femmes puisantes, Éditions Les Arènes, 2020.
[2] Plus prosaïquement, Preciado proposera que « l’État français retire à l’Église la garde de la cathédrale de Notre-Dame de Paris et transforme cet espace en un centre d’accueil et de recherche féministe, queer, trans et antiraciste et de lutte contre les violences sexuelles », dans un article paru sur le site de Médiapart le 12 octobre 2021.
[3] Paul B. Preciado, Dysphoria mundi, Éditions Grasset, 2022.
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