Philippe Bilger compare ici son expérience à la cour d’assises et dans l’arène médiatique, en soulignant leurs points communs : écoute, curiosité, indépendance, équité et bienveillance, nécessaires pour encourager vérité et réflexion, malgré les évidentes différences de pouvoir et d’influence entre ces deux mondes.
Un jour j’ai caressé l’idée d’écrire un livre qui, d’hier à aujourd’hui, de la cour d’assises à la cour médiatique, aurait cherché à montrer les ressemblances entre ces deux univers, en tout cas pour les dispositions et les qualités qu’ils requièrent.
Je l’ai abandonnée parce que mon souffle, s’il m’a permis d’écrire MeTooMuch chez Héliopoles, m’aurait sans doute rendu fastidieux un exercice plus long, plus classique. Et heureusement mes billets sont là pour me permettre de ne pas tout à fait abandonner une inspiration initiale !
Justice médiatique
Avant d’aborder les similitudes, il y a une différence fondamentale qui tient au pouvoir qu’a un avocat général aux assises, à une parole qui n’est pas limitée quand elle arrive à son tour et, plus généralement, à l’influence décisive qu’il a le plus souvent sur un jury populaire en matière criminelle. Avec dans les affaires ayant suscité une intense médiatisation, mon obsession de ne rien céder au personnage mais tout au professionnel.
La cour médiatique, elle, apprend l’humilité et peut engendrer de la frustration.
Une autre distinction pourrait être relevée qui opposerait les arrêts de la cour d’assises à l’absence de jugement de la cour médiatique. Mais celle-ci en réalité, sur un autre mode en prononce. Elle décrète, s’interroge, débat, approuve, dénonce, stigmatise ou loue, édicte des appréciations. Appose sur la réalité, sous toutes ses formes, des regards contrastés.
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Pour l’essentiel il me semble que je n’ai pas été obligé d’abandonner, dans la cour médiatique, les qualités qu’on me prêtait à la cour d’assises et l’indépendance dont j’avais besoin et que j’ai toujours voulu sauvegarder.
Au contraire, à partir du moment où on accepte de retenir qu’à l’exception des réquisitions de condamnation ou d’acquittement, l’oralité des débats et la confrontation médiatique imposent les mêmes vertus, la même curiosité, une écoute similaire, une compréhension de l’autre équivalente, une détestation identique du sommaire et le même esprit de liberté, on consentira à admettre la validité du rapprochement que j’opère.
On pourrait pousser plus loin encore l’analyse. Comme il y a des présidents de cour d’assises remarquables et d’autres qu’on subit – comme avocat de tous les citoyens selon la définition que je donnais de mon rôle d’accusateur public, j’ai connu ces deux catégories -, il y a des animateurs et des chroniqueurs, dans la cour médiatique, avec lesquels on a plus ou moins d’affinités, qui vous stimulent ou parfois non…
Bienveillance
Je n’arrivais jamais en cour d’assises, quelle que soit la gravité des crimes à juger, sans vouloir offrir à toutes les parties au procès le meilleur humain et professionnel de moi-même, pour obtenir d’elles le plus de vérité possible. Il me semble que dans la cour médiatique, avec ce concert d’opinions et de convictions qu’est un débat, il ne peut y avoir de réussite sans équité et sans bienveillance de la part de ceux qui ont la charge d’être les « accoucheurs » de la réflexion des autres.
J’ai pu le constater dans mes billets et dans « Bilger les soumet à la question »1 sur Fréquence Protestante. Le meilleur moyen, paradoxalement, pour favoriser une concision à laquelle on tient est de ne pas interrompre et de ne pas enjoindre. Miraculeusement, alors, le verbe non contraint trouve son bon rythme et sa juste mesure. L’inverse le fait se dilater jusqu’à l’ennui.
Quand s’est accrochée dans ma tête cette envie d’évoquer mon trajet de la cour d’assises à la cour médiatique, je n’étais pas sûr de sa pertinence. J’espère que ce billet prouvera que j’avais tort.
- https://youtube.com/playlist?list=PLzr9aUOAaV-x8XyxQhHccw8MiXp-66ghw ↩︎
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