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De Gaulle, maître des étoiles


De Gaulle, maître des étoiles

FRANCatome johan heliot

Vous ne le saviez peut-être pas, mais quand De Gaulle a obtenu les pleins pouvoirs en 1958, il ne les a plus lâchés. Il a installé une dictature militaire de fait et ne s’est pas encombré avec toutes ces stupidités démocratiques, ces complications droitdelhommistes, ces coquecigrues humanistes qui empêchent les grandes nations d’avoir de grands desseins. La France a fait un magnifique cavalier seul, est devenue le leader des non-alignés tout en gardant son Empire, et notamment l’Afrique du Nord. Les années soixante furent merveilleuses, du coup. On avait le twist et on était les maîtres du monde. On ne dit pas que parfois, les méthodes ne furent pas un peu expéditives. Emprisonnement des opposants politiques, exil volontaire d’une jeunesse qui ne pensait qu’à se droguer et à se laisser pousser les cheveux, bombardement atomique de la Kabylie qui ne voulait pas comprendre où était son intérêt.

La raison de cette hyperpuissance française ? Dans le désert, à Hammaguir en Algérie, la France a installé une très grande base militaire, dès les années 50. Le retour de De Gaulle au pouvoir a impulsé de manière décisive un programme simultané de maîtrise du nucléaire et d’ambitions spatiales. Grâce au SDECE, les services secrets de l’époque, la France avait récupéré les savants nazis et notamment un certain Werner Magnus Maximilian von Braun, le père des V2 : « Très vite, De Gaulle donna son feu vert à Maximilian et octroya au CIEES un surplus de moyens considérables. Le projet de la Roue de l’Espace, considérée jusque-là comme une simple lubie, entra alors dans sa phase active. Les Russes avaient envoyé un animal dans l’espace ? Il projetait ensuite de faire tourner autour de la Terre un de leurs cosmonautes que nous savions d’ores et déjà à l’entrainement, du côté de Zari- le futur Baïkonour ? Qu’à cela ne tienne, nous allions les ridiculiser en construisant rien de moins qu’une cité de l’Espace où vivraient des centaines de savants, chercheurs et autres heureux élus- et s’il fallait pour cela libérer la monstrueuse puissance de l’atome, nous avions la bénédiction du nouveau président du Conseil… »

Projet accompli comme nous le raconte le narrateur de Françatome, qui s’est exilé au Canada et qui est rappelé plus de vingt ans après par sa sœur, devenue haut fonctionnaire du régime : leur père, un des concepteurs du programme spatial français, est sur le point de mourir. En plus, depuis la disparition de De Gaulle et les troubles des années 70, le régime vacille. Les militaires doivent gouverner un pays détesté par le monde entier, qui vit une guerre civile larvée et qui a perdu le contrôle de la Roue de l’Espace, cet engin monstrueux menaçant de retomber sur terre en s’éparpillant dans une pluie de déchets hautement radioactifs.

Françatome est ce qu’on appelle une uchronie. Il s’agit d’imaginer une histoire possible à partir d’un point de divergence dans le passé comme par exemple une victoire de Napoléon à Waterloo ou des nazis lors de la seconde guerre mondiale. L’exercice est moins facile qu’il n’y paraît. Pour le réussir, il faut  que l’écrivain ait une parfaite connaissance de l’histoire réelle afin rendre crédible l’histoire alternative qu’il offre au lecteur. C’est le cas de Johan Heliot dans ce Françatome, récit parfaitement vraisemblable d’une France impérialiste, agressive et animée par un optimisme scientiste ainsi qu’une certaine vision prométhéenne du destin national qui furent effectivement un motif discret et récurrent de la rêverie gaullienne sur la France.

De plus,  Johan Heliot met en scène des personnages qui ont une véritable épaisseur. Un officier de haut-rang contaminé par les radiations, un jeune adolescent rêveur qui quitte la base pour aller à la rencontre des Hommes Bleus du désert et un certain Ben Barka, ancien opposant et mathématicien de son état, qui a échappé à toutes les tentatives d’enlèvement avant de devenir le directeur du programme spatial de la nouvelle UNNA indépendante (Union des nations nord-africaines) et qui va tenter de monter avec l’ancienne puissance coloniale une mission de la dernière chance pour empêcher l’apocalypse programmée de la Roue de l’Espace devenue folle.

Et si vous doutez de la cohérence de cet univers, souvenez-vous de ce que représentait le logo de l’ORTF, qui est le même dans le monde de Françatome et dans le nôtre, pour vous convaincre qu’il aurait suffi de presque rien pour que tout cela soit vrai…

 

Françatome de Johan Heliot (éditions Mnémos)

 

*Photo :  ST/AP/SIPA. AP20296220_000001.



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