C’était écrit, la chronique de Jérôme Leroy
Premier témoignage : « Les soldats se jettent dans la bataille par petits groupes. On les tue. D’autres arrivent et prennent leur place. On les tue de nouveau. Et cela n’arrête pas. Ils marchent sur les cadavres pour avancer. »
Second témoignage : « Nous ne sortons toujours pas de notre trou. Nous ne sommes plus que huit. Celui qui était devant la porte a été tué par un gros éclat qui est arrivé en plein dedans, lui a coupé la gorge et l’a saigné. Nous avons essayé de boucher la porte avec son corps. »
On pourrait jouer aux devinettes. Qui a dit quoi et quand, quel est le témoignage d’un combattant ukrainien dans l’enfer de Soledar recueilli par France Info et quelle est la citation de Jean Giono dans ses Écrits pacifistes, sur la bataille de Verdun ? Il y a quelque chose d’intemporel dans les horreurs de la guerre ou plus exactement, il y a quelque chose d’intemporel dans une certaine manière de faire la guerre, à Verdun ou à Soledar, que les spécialistes en stratégie appellent la « guerre d’attrition ». Jean-Marc Rickli, chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève, définit cette guerre ainsi : « Cette forme de combat repose sur l’usure des forces ennemies par un déluge de feu puis un grignotage des territoires écrasés par les bombes. »
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C’est la stratégie de l’état-major allemand qui décide, une bonne partie de l’année 1916, de « saigner à blanc » l’armée française à Verdun. De Gaulle, qui a participé à ces combats, illustre par anticipation, dans ses Mémoires, les propos du chercheur genevois, avec plus de style néanmoins : « Actions brutales à l’extrême qui consistent à concentrer sur un objectif limité le feu intense des batteries, puis à donner l’assaut aux défenseurs décimés et atterrés par l’infernal bombardement. Parfois, peuvent être conquises de cette façon quelques parcelles ravagées, à moins que l’attaque ne soit bloquée par le tir des fantassins français restés vivants et résolus et par nos barrages d’artillerie. »
Si c’est bien Giono qui a vu un camarade égorgé par un éclat d’obus et le combattant ukrainien qui se bat sur un monceau de cadavres, cela pourrait être le contraire. Mais chacun aurait pu, à travers le temps, chanter à l’autre la Chanson de Craonne dont l’auteur est resté anonyme : « Adieu la vie, adieu l’amour / Adieu toutes les femmes / C’est bien fini, c’est pour toujours / De cette guerre infâme / C’est à Verdun, au fort de Vaux / Qu’on a risqué sa peau » ou les vers de Lermontov à propos de Borodino : « Quel jour ce fut ! / comme des ombres / erraient les grands étendards sombres, / tout fumait et brûlait ; le sol de mitraille se pave, / le bras mollit à plus d’un brave, / et les monceaux de morts entravent / dans leur vol les boulets. »