Le 7 octobre, le Hamas s’est livré à une bacchanale nazie version islamiste. Mais après ce crime contre l’humanité, on n’a pas vu l’humanité unie se dresser contre les meurtriers. Tandis que de nombreux pays du Sud se sentent solidaires de l’internationale Djihadiste qui, du Hamas à Arras, met sous tension les sociétés ouvertes, en France, la gauche antisioniste de Mélenchon se déshonore par sa complaisance cynique envers l’islamisme. Elle nourrit le négationnisme d’atmosphère qui sévit dans nos quartiers islamisés.
Je ne sais pas s’il y aura un avant et un après 7 octobre – et si c’est le cas, il est possible que l’après soit pire qu’avant. Rien ne sera plus comme avant, on a donné. Souvent. Après le 11-Septembre. Après Merah. Après Charlie. Après le Bataclan et en tant d’autres sinistres occasions. Et puis, une fois les bougies consumées et les fleurs fanées, nous revenons à nos problèmes de retraites et de punaises de lit. Les sociétés humaines ont l’estomac bien accroché. Heureusement d’ailleurs. On a fait de la poésie après Auschwitz, on continue à vivre après l’ordalie sanglante du Hamas.
« J’ai tué dix juifs, j’ai leur sang sur les mains ! Maman, ton fils est un héros. »
N’empêche, ces âmes broyées, ces corps suppliciés, ces joyeux dîners de shabbat qui ont basculé dans un enfer indescriptible, cette rave party devenue un cimetière à ciel ouvert nous hanteront longtemps, à jamais serait-on tenté de dire si on ne connaissait pas la salutaire capacité d’oubli des humains.
Certains ont tenu à voir de leurs yeux – en fouinant un peu sur le web, on trouve aisément, semble-t-il, les vidéos réalisées par les tueurs-pilleurs du Hamas et diffusées comme autant d’exploits – jusqu’à ce que leurs chefs réalisent peut-être que tout ça faisait de la mauvaise publicité.
Beaucoup ont choisi de s’épargner ces images, par peur de profaner ou peut-être de ne plus pouvoir penser. Les récits de ceux qui ont vu et qui peinent à trouver les mots – secouristes, soldats, journalistes…– ne sont pas moins suffocants. Enfants torturés devant leurs parents. Parents assassinés devant leurs enfants. Corps mutilés. Femmes éventrées et violées. Une orgie de haine anti-juive, résumée par un membre de la Zaka, le service religieux qui s’emploie à restaurer l’intégrité des corps : « Le Hamas voulait transformer nos noms en chiffres. J’essaie de transformer les chiffres en noms. » Dans un enregistrement diffusé par l’armée, on entend un terroriste qui appelle sa famille avec le téléphone d’une femme qu’il vient de tuer. Sa voix monte dans les aigus sous l’effet de l’exaltation : « J’ai tué dix juifs, j’ai leur sang sur les mains ! Maman, ton fils est un héros. » Et ses parents de le féliciter : « Tue-les tous ! »
À force de la voir convoquée tous les quatre matins, l’hypothèse Hitler avait perdu toute substance. Mais cette fois, ça y ressemble trop pour qu’on n’y pense pas. On a assisté à une bacchanale nazie version islamiste. Ainsi, derrière les soudards entraînés pour ça, des hommes ordinaires, des paysans du coin qui, la veille, devaient boire le café avec leurs victimes, se sont joints et ont profité de l’occasion pour s’emparer d’un butin. Comme l’a observé Guillaume Erner, Marx s’est trompé. L’histoire se répète. Mais pas en farce.
Le souvenir du négationnisme de la Shoah et des dégâts qu’il a faits dans le monde arabe – où on prête aux Juifs une puissance suffisante pour avoir fait avaler ce bobard au monde entier – a peut-être pesé sur la décision de Tsahal d’inviter la presse internationale à visionner l’horreur, captée notamment par la vidéosurveillance des kibboutz martyrs. Dans l’émission de Frédéric Taddéï sur CNews, on avait entendu une certaine Laetitia Bucaille, payée par nos impôts, s’exclamer : « Je ne dis pas qu’ils n’ont pas existé, ces bébés éventrés, mais je ne les ai pas vus. » Ce combat est largement perdu : on aura beau lui montrer des images irréfutables, une partie de la rue musulmane, de Saint-Denis à Tunis, restera convaincue que c’est un coup des juifs. C’est peut-être l’aspect le plus inédit de la situation. Alors que nous sommes submergés par un flot constant d’images et de paroles, la question de la vérité devient subalterne. Chacun choisit la sienne, en fonction de ses marottes idéologiques – encouragées par des algorithmes. Sur ce front, on a assisté à une véritable faillite des médias occidentaux qui ont presque tous repris sans discussion un bidonnage du Hamas accusant Israël d’avoir tué 500 personnes dans un hôpital. Quelques jours plus tard, Le Monde se fend d’un texte d’excuses controuvé : « Les investigations sur l’origine de ce drame continuent, mais ces éléments concordants nous conduisent aujourd’hui à considérer que nous avons manqué de prudence, le 17 octobre, en reprenant les informations sur cette explosion en provenance du Hamas », écrit la direction de la rédaction, avant de préciser que les journalistes n’avaient pas accès au sud d’Israël. Si notre quotidien de référence a pris pour argent comptant les informations du Hamas, c’est à cause de l’armée israélienne. On suppose qu’à Gaza, ses reporters travaillent en toute liberté.
Révisionnisme soft
Dans une partie de la gauche française, un révisionnisme soft se déploie. Même Aymeric Caron admet que le Hamas s’est rendu coupable de crimes ignobles, mais pour tracer immédiatement un signe d’égalité entre ces crimes et ceux de l’armée israélienne. Et plus les jours passeront, plus les civils souffriront et mourront, plus cette cécité se répandra. Or, si toutes les vies se valent, toutes les morts ne s’équivalent pas. Les civils palestiniens ne sont pas la cible des bombardements israéliens. Israël, dit-on, peut se défendre dans le cadre du droit humanitaire. Mais personne n’a le mode d’emploi, alors que l’ennemi n’est pas une armée mais un mouvement terroriste qui, précisément, se fond dans la population.
Dans ce chaos, les appels à remettre sur les rails la solution à deux États sont purement incantatoires. Sur le papier, elle semble d’une logique imparable. Mais combien de temps faudra-t-il pour faire émerger en Palestine une génération qui n’ait pas été droguée à la haine des juifs ? Après 1945, l’occupation de l’Allemagne a permis de laisser passer une génération – la « dénazification » a largement consisté à mettre les nazis à la fenêtre. On ne voit pas quelle puissance serait à même de mener à bien cette entreprise de rééducation collective. Au passage, on peut se demander si l’élévation de leur destin au rang de cause emblématique des gauches européennes a vraiment aidé les Palestiniens.
Ce n’est pas la première fois que la promesse européenne de 1945 – Plus jamais ça ! – est ainsi piétinée à grande échelle, les Cambodgiens, Tutsis et « Hutus modérés » rwandais, et d’autres groupes massacrés à bas bruit, peuvent en témoigner. Mais le Cambodge, l’Afrique subsaharienne, c’est loin. On me dira que la Palestine aussi. Justement non. Presque chaque Européen a une opinion sur le conflit, signe que, dans les imaginaires collectifs, c’est la porte à côté. D’abord parce qu’Israël est un enfant de l’Europe, ensuite parce c’est une tentative baroque pour créer un Occident oriental ou, comme le montre Pierre Vermeren (pages 46-48), une société multiculturelle dans une aire rétive à l’altérité. Ce que les djihadistes veulent effacer, c’est à la fois un État juif et un État démocratique (aussi imparfaitement soit-il l’un et l’autre…).
Qu’on ne s’y trompe pas. La société ouverte qu’ils vomissent là-bas, leurs semblables la détestent ici, pas seulement parce qu’elle les oblige à voir, sans les avoir, des filles court vêtues, mais aussi parce qu’elle affaiblit le pouvoir du groupe et de ses chefs sur les individus, particulièrement sur les femmes. On tient moins facilement ses filles en France qu’en Algérie ou en Anatolie. Du moins, c’était vrai jusqu’à ce que la France se transforme en société multiculturelle où chacun vit selon ses normes et ses mœurs.
Quelques jours après l’attaque du Hamas contre Israël, Dominique Bernard, un professeur de français était assassiné à Arras. Peu importe que Mohammed Mogouchkov ait ou non entendu l’appel du chef du Hamas à faire de ce vendredi 13 octobre un jour de colère, c’est bien la même idéologie qui a frappé à KfarAza, Arras et Bruxelles, comme elle avait frappé à Paris, Nice, Madrid, Londres, New York et Washington. S’agit-il d’un conflit de civilisation voire, comme le pense Boualem Sansal, d’une « guerre sainte qui se poursuit depuis l’avènement de l’islam, sur tous les plans et tous les fronts, qui ici œuvre à la destruction des Juifs et d’Israël, là en plusieurs endroits du Moyen-Orient à la destruction des chrétiens, et ailleurs à l’extermination des athées, des apostats, des mécréants, des corrompus » ? On ne devrait pas sous-estimer le fait que, dans le cadre de la nouvelle guerre froide, cette internationale bénéficie de la sympathie, voire du soutien avéré de nombre de pays de ce qu’on appelle aujourd’hui le Sud global, qui assistent avec gourmandise à la destitution de l’imperium occidental. Le Hamas a beau être coupable de crimes contre l’humanité, on ne voit pas l’humanité se dresser contre lui. On n’entendra pas les mélenchonistes scander « tout le monde déteste le Hamas ».
Au-delà des controverses sémantiques, les nations d’Occident sont clairement mises au défi par une internationale qui, contrairement à ses ancêtres révolutionnaires, ne va pas s’embourber dans les appartenances nationales. Certes, écartelé entre au moins deux têtes – sunnite et chiite –, le djihadisme n’est pas près de réaliser son unification planétaire. Mais cette rivalité n’affecte guère le djihadisme d’atmosphère dont Gilles Kepel a observé la naissance et la diffusion dans les sociétés musulmanes du monde entier par des influenceurs numériques et autres « entrepreneurs de haine » (voir l’entretien qu’il nous a accordé pages 40-45).
Du Hamas à Arras
La conclusion, c’est que le Hamas est parmi nous, dans les quartiers islamisés de cette Europe dont l’islam politique a fait sa terre de mission. Certes, il n’y a pas en Seine-Saint-Denis ou à Molenbeek des dizaines de milliers de terroristes entraînés, capables de se livrer à un pogrom de grande ampleur – on l’espère en tout cas. Mais outre le fait qu’il reste sans doute des donneurs d’ordre capables d’organiser depuis l’étranger des opérations quasi militaires, le djihad artisanal peut frapper n’importe où. Cependant, ce qui menace la cohésion de nos sociétés plus encore que cette violence aveugle mais ultra-minoritaire, c’est la sécession silencieuse de tous les djihadistes de cœur, ceux qui se réjouissent quand un kouffar tombe. Même Alain Juppé, autrefois propagandiste de l’identité heureuse, se demande – sans répondre – si l’islam est compatible avec la République. Il est d’autant plus difficile de mesurer l’ampleur de l’imprégnation islamiste que personne ne tient à savoir. Les mêmes qui déplorent le lundi une épidémie d’abayas dans certains établissements décréteront le mardi qu’il s’agit d’une toute petite minorité et que l’écrasante majorité de nos concitoyens musulmans ne mange pas de ce pain-là. Peut-être. La plupart redoutent assez d’être désignés comme traîtres à leur identité pour se taire. Et ce sont des juifs qui cachent leur mézouzah.
Si l’offensive djihadiste vise toutes les nations occidentales, l’idée, sortie du chapeau d’Emmanuel Macron, selon laquelle elle pourrait être combattue par une vaste coalition est pour le moins farfelue. La France et l’Europe sont attaquées, mais elles ne sont pas en guerre. L’urgence, pour nous, est de mener le combat idéologique. Contre les islamistes et peut-être plus encore contre leurs alliés insoumis et extrême gauchistes. Beaucoup, comme votre servante, pensaient que Mélenchon et sa clique islamo-gauchiste s’étaient définitivement déconsidérés en refusant de qualifier l’attaque du 7 octobre de terroriste. Les premiers sondages réalisés depuis laissent penser qu’il n’en est rien et que leur calcul infect pourrait s’avérer gagnant, en solidifiant le vote musulman en leur faveur sans décourager l’électeur bobo qui joue à la résistance en criant « tout le monde déteste la police ». Il faut croire que, pour ces insoumis décomplexés, l’antisémitisme et l’islamisme sont des points de détail de l’histoire qui s’écrit.