Non, Monsieur le président, nous n’avons pas affaire à la «décivilisation».
De la surenchère verbale
L’idée valait bien que l’on ré-invente un mot, mais encore eut-il fallu qu’il reflétât parfaitement ce que ce terme évoque, or ce n’est pas le cas. Quitte à proposer un mot, il eut mieux valu parler de « dé-civilité », selon moi. Il ne s’agit pas de critiquer un soi-disant emprunt d’Emmanuel Macron à un théoricien d’extrême droite, car si le président était d’extrême droite ou même de droite, cela se saurait… Mais, la civilisation ne disparait pas au gré des caprices et de l’escalade de faits divers aussi violents, sordides et fréquents soient-ils, même s’ils augmentent depuis longtemps déjà.
Mal nommer les choses…
La civilisation est un héritage, un ensemble de choses intégrant la culture, les habitudes d’un pays, une philosophie, le résultat de pratiques religieuses, le socle construit depuis des siècles de ce qui nous nourrit et crée notre identité collective et individuelle. La civilisation, les civilisations, sont notre fierté d’appartenir à l’humanité, notre raison d’être, même inconsciemment ; et un tel abus de langage ne fait qu’empirer le déclin que nous percevons : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde » disait Camus et, franchement, nous n’avons pas besoin de ça.
Ce « malheur », nous le vivons et le ressentons de plus en plus. Un découragement éprouvant et diffus nous gagne.
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Une dé-civilité croissante
Mais alors, comment traduire la réalité et le pourquoi de cette forme de désescalade comportementale ? Car ce n’est pas non plus de « décadence » dont il s’agit, comme nous avons tendance à le dire dans les moments d’abattement face à l’actualité. On parle régulièrement d’incivilités, une dénomination adorée des médias et des gens bienveillants (qui préfèrent ne pas nommer les choses et les édulcorent : c’est moins grave de parler d’une simple « incivilité » que d’une agression crapuleuse). Le terme, toutefois, prend tout son sens pour résumer un incivisme général en l’occurrence ; on peut dès lors parler d’une véritable « dé-civilité » pandémique. Pourquoi tant de violences, de comportements irresponsables, de manque de respect permanent, de désobéissance civique, de laxisme verbal et vestimentaire, de refus des codes de la politesse qui polissaient nos rapports humains ? Les bonnes manières bourgeoises avaient quand même du bon. Il est bien regrettable qu’aujourd’hui tant de monde se pique de les mépriser.
L’exemple vient d’en haut
Avant de jeter la pierre aux civilisations qui parfois s’entrechoquent, regardons-nous individuellement et notons les terribles exemples qui nous viennent d’en haut ; en l’occurrence de ceux qui nous gouvernent, ceux que nous avons élus ! Les temples de la République, comme l’Assemblée nationale, sont foulés aux pieds. Les insultes pleuvent, les doigts d’honneur, les symboles en forme d’effigies décapitées dans les manifestations, ou de têtes en forme de ballons de foot représentant un ministre… Il est facile de dire que la politique a toujours eu ses excès verbaux, mais leur diffusion aujourd’hui, entre autres à cause des réseaux sociaux, donne une ampleur inconnue à ce désordre qui lamine le respect minimal qui doit nous gouverner. Sans compter qu’il n’y a aucune sanction à ces insultes : qui est viré ? Qui est démis de ses fonctions ? Qui n’a plus le droit de se représenter ? Y a-t-il encore un règlement dans l’avion ? À l’Assemblée nationale, les seuls qui ont de la tenue, ce sont encore les huissiers !
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Quand le chat n’est pas là…
On peut comprendre la décision, intuitive et de bon sens, qui a fait exiger, de la part de leur présidente de groupe, que les nouveaux élus du RN se tiennent bien, tout simplement. Et on peut s’interroger sur le fait que les intentions de vote croissantes de ce parti ne tiennent peut-être qu’à cela…
Mais nous avons un chef, un président de la République. Et avant que ce dernier n’accuse le déclin de la civilisation, pourrait-il reprendre la barre et adopter un comportement qui suscite le respect et même la crainte ? Sans réelle autorité (laquelle n’a rien à voir avec l’autoritarisme), sans l’exigence de la dignité de la fonction de tous les ministres, élus et membres du gouvernement, sans l’obligation d’une probité absolue, le pays se noie dans la provocation. Quand le chat n’est pas là, les souris dansent dans une ambiance de rave-party qui dégénère. Rien à voir avec la civilisation, même si d’autres pays sont atteints de cette maladie d’incivisme, les mêmes causes produisant les mêmes effets (voir M. Trump, qui n’est pas un exemple pour l’Amérique…)
Dis-moi qui te gouverne, je te dirai comment ton peuple se comporte. Ne parle-t-on pas des « rênes du pouvoir » ? Qui les tient ?
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