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De Baader à Badiou, une certaine idée de la Gauche


De Baader à Badiou, une certaine idée de la Gauche

Cette centralité de la cible juive-Israël, objet d’une détestation commune à l’extrême droite et à l’extrême gauche devrait inciter à réfléchir. C’est l’une des grandes caractéristiques de l’inflation commémorative à propos de la Shoah : on ne dénonce jamais tant Auschwitz que l’on ne développe simultanément l’accablement radical de l’Etat juif – et précisons que ceci n’a strictement rien à voir avec la légitime critique de la politique des gouvernements d’Israël. On n’honore les juifs morts que pour mieux déshonorer les juifs vivants. Que ceux-ci soient désormais israéliens ne change rien à l’affaire : l’imprescriptibilité de la matrice du crime majeur du XXe siècle rend fous ceux qui sont incapables d’en assumer la charge.

Ce renversement de la raison aurait dû donner des cauchemars rétrospectifs à Toni Negri, Horst Malher, Jean Genet et Kozo Okamoto. Seul Joshka Fischer, l’ancien ministre allemand des Affaires étrangères, fit preuve de lucidité : pour l’ancien leader d’extrême gauche, les révolutionnaires allemands ne pouvaient reconduire au nom de l’émancipation des peuples l’asservissement des peuples pratiqué par les nazis. De plus, les archives de la STASI ont révélé que ces groupes étaient manipulés par les services secrets d’Allemagne de l’Est et que Klaus Croissant, l’avocat de la RAF, en avait été l’agent rémunéré. A l’époque, à gauche, on ne voulait pas croire à cette « vie des autres ». En France, Action Directe, pauvre petit descendant de la radicalité rédemptrice du fascisme à la française, ne commit que quelques assassinats à la mesure de ceux perpétrés par la Collaboration. Pétain n’avait fait que suivre l’occupant, parfois en devançant ses désirs. Le gauchisme français fit l’économie du terrorisme sans doute parce qu’aussi au bureau politique de la LCR, le yiddish était la langue dominante. Il y restait encore de la mémoire.

Les saillies antisémites de la branche lyonnaise d’Action directe annonçaient le signe d’égalité placé entre la Svastika et l’étoile juive au cours des grands rassemblements anti-israéliens et anti-américains des années 2000. Aujourd’hui Olivier Besancenot ouvre la porte de son nouveau parti à la débilité politique des assassins de Georges Besse. Loin d’exprimer une défiance à l’égard du passé d’Action Directe, le porte-parole de l’anticapitalisme radical estime que « Françoise Besse à des comptes à régler avec Action Directe » ! Ayant déjà qualifié Joelle Aubron d’ »héritière des Communards », Besancenot persiste et signe à propos de Jean Marc Rouillan. Lamentable commentaire qui disqualifie toute prétention de son auteur à une quelconque morale en politique. Plus étrange et plus grave est l’avis d’Henri Weber : « Avec Besancenot, nous partageons les mêmes valeurs » (Le Figaro 3-11-2008). Une telle appréciation de la part d’un dirigeant du PS traduit-il une certaine nostalgie pour la radicalité ? De quelles valeurs s’agit-il ? Quel est le monde commun partagé avec la LCR ou le NPA ? Si le PS estime que la seule différence entre Besancenot et lui porte sur la question des moyens, alors il y a de quoi être inquiet. On ne peut partager la fin sans partager les moyens. La fin est toujours dans les moyens. Besancenot et ses nouveaux amis devraient être pour la gauche que ce que fut le FN pour la droite : un faux-ami, une idéologie détestable.

Ce que rappelle le mot de Weber, c’est que ce registre psycho-politique a toujours en France ses adeptes sectaires: à l’école Normale Supérieure, ce temple de la fabrication des élites françaises qui forma en son temps Sartre et Althusser, et dont Alain Badiou assume aujourd’hui l’héritage théorique, lui qui n’hésite pas à voir dans le Hamas et le Hezbollah l’avant-garde du prolétariat en lutte. Ces sectes possèdent un pouvoir de séduction toujours vif. Par la fascination qu’exerce la radicalité sur la petite bourgeoisie intellectuelle, c’est une nouvelle esthétique qui s’est mise en place chez ces désormais sexagénaires. À défaut de Révolution, les bonnes âmes cultivent la pose et la prose hargneuses. De quoi Sarkozy est-il le nom ?, questionne ce faux disciple de Platon. Allez donc faire un tour sur les sites internet « Tout sauf Sarkozy », vous verrez de quel bois se chauffe la nouvelle radicalité. Ou alors, regardez « Ce soir ou jamais », l’émission de Frédéric Taddéi, vous y découvrirez le potentiel de ces haines, toutes du plus grand radical-chic qui soit : des « Indigènes de la République » à Alain Soral, c’est tout ce ressentiment, dans sa version française, qui se déverse. Jamais une parole ne vient y exprimer un regret politique : « Excusez-moi, j’ai dit des bêtises », aurait pu y dire le pape de la complexité Edgard Morin qui n’avait pas su faire la différence entre un article défini et un article indéfini quand il avait écrit dans Le Monde avec Sami Naïr et Danièle Sallenave que « les juifs victimes de la plus grande inhumanité, font à leur tour preuve d’inhumanité à l’égard des palestiniens ». Saluons cependant le fait que dans une interview au Point (6-11-2008) Edgard Morin avoue rétrospectivement avoir eu des formulations abusives.

Des exemples il y en a mille faisant l’inépuisable démonstration des masques vertueux du mensonge, des cécités idéologiques, des lectures borgnes du réel, des exaltations meurtrières supposées libératrices. La France est la terre d’asile de ces comportements et la gauche française son champion, elle qui adore Obama parce qu’elle le voit comme un héritier des Black Panthers. C’est tout un aggiornamento idéologique qui s’impose. C’est tout un rêve qui doit se défaire avant qu’il ne se transforme à nouveau en cauchemar. Ce qu’Obama révèle c’est justement cette formidable capacité à aller ailleurs, au delà des modèles idéologiques usés. Le ressentiment français à l’égard des USA était d’autant plus fort qu’il traduisait, au-delà de la détestation de Bush, la volonté de prendre sa revanche sur l’humiliation d’avoir été libéré, par deux fois, par des soldats américains. Ce que la Gauche déteste des Etats-Unis, c’est l’image en retour de sa propre impuissance. Le premier ennemi qu’elle doit combattre est d’abord un « ennemi intime », un ennemi intérieur à sa propre histoire. On le sait bien, le « grand soir » annonce toujours des « petits matins ». Etre « progressiste » aujourd’hui c’est d’abord être capable de cet examen critique. Le « désir d’avenir » est à ce prix.

Décembre 2008 · N°6

Article extrait du Magazine Causeur



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Jacques Tarnero est essayiste et auteur des documentaires "Autopsie d'un mensonge : le négationnisme" (2001) et "Décryptage" (2003).

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