Physiquement, il ressemble à Drieu, ou plutôt à Gilles tel qu’on l’imagine descendant du train, gare de l’Est, au début du célèbre roman. Pour le reste, c’est un étudiant classique, propre sur lui, vaguement intimidé que ce David qui a lancé effrontément le Collectif Marianne, avant-garde du Rassemblement bleu Marine dans les facs. Il précise d’entrée qu’il ne s’agit pas d’un syndicat, pas non plus d’un équivalent du FNJ (le Front national de la Jeunesse), dans le sens où lui et ses camarades n’ont pas l’intention de militer politiquement au sens strict, mais d’agiter des idées.
Pour l’instant, ils sont bien une trentaine, des Parisiens principalement, plus quelques noyaux de cellules à Lille, à Bordeaux, à Toulouse, à Nice, qui se réunissent une à deux fois par mois pour définir leurs objectifs, qui demeurent assez flous : sur leur site internet, on trouve un petit rapport sur le thème « Jeunesse et environnement », une apologie des filières courtes et un manifeste pour le renouvellement de la pensée économique à l’université. Cornaqués par le Collectif Racine, leur équivalent côté profs, les jeunes gens de Marianne n’ont pour la plupart pas leur carte au parti. Certains, comme pour se démarquer des « fachos », rappellent volontiers qu’ils viennent de DLR, le parti de Nicolas Dupont-Aignan ou du MRC de Chevènement. Leur ambition, avec ce think tank pubescent, est d’apporter leur petite pierre à la conquête du pouvoir.[access capability= »lire_inedits »]
Mais comment devient-on David Masson-Weyl ? On naît vingt-et-un ans plus tôt dans une famille de gauche banale, où l’on était certain d’être du bon côté de l’histoire et de la morale, puisque la différence, disait-on, entre la gauche et la droite, c’est que l’une était du côté des ouvriers, l’autre des patrons. Une famille certainement anciennement chrétienne, mâtinée d’un grand-père juif, donc une famille où l’on ne parle pas de Dieu. On passe enfance et adolescence à Charenton-le Pont, dans le Val-de-Marne, proche de Paris. On est fils unique, de classe moyenne, certainement brillant élève même si on ne s’en vante pas, on ne connaît que l’école publique, et on finit au lycée Charlemagne quand, suivant son père, on s’installe à Paris, près de Bastille. Là, après la petite ville tranquille, mi-bourgeoise, mi-populaire, on découvre l’assurance des bobos qui sont nés quelque part, leur fermeture d’esprit, leur morgue, leur sentiment d’évidence de gauche.
On se passionne pour l’histoire parce qu’on a eu d’excellents profs et l’on cherche, seul, à comprendre la politique. On se souvient du 21 avril 2002, mais on a 10 ans, tout cela reste très flou. On lit tous les programmes et, soudain, le déclic a lieu : on est en janvier 2011, c’est le congrès de Tours du Front national, Marine Le Pen est élue. On écoute son discours, qui parle de la France et de sa souveraineté. On est séduit, on se sent enfin chez soi.
Très vite, David, jeune homme ultraconnecté, entre en contact avec Florian Philippot sur Twitter. Ils se « suivent », et se rencontrent finalement à la rentrée 2013. Il est lui-même surpris de n’avoir perdu aucun ami depuis son coming-out politique. Même chez ses camarades d’université, il n’a ressenti aucune hostilité. À quoi rêvent les jeunes gens ? Lui, c’est au Japon, à qui il consacre un mémoire d’histoire militaire. L’histoire telle qu’il l’aime, c’est Richelieu, Colbert et leur centralisation. En littérature, il a une dilection pour le théâtre classique, Racine comme perfection de la langue française, ou Pascal, même s’il refuse son jansénisme.
De toute façon, la religion ne vaut pour lui que dans son aspect pratique, la messe comme spectacle, la contre-Réforme, la musique baroque. Sinon, il lit un peu Michéa, et Karl Polanyi, dont le maître-ouvrage, La Grande Transformation, écrit pendant la crise des années 1920, l’a convaincu que le capitalisme n’était pas une fatalité, ni la politique d’austérité pour remédier à ses maux. Lui, c’est l’État seul, et si on lui fait remarquer qu’historiquement, il y a une une collusion entre cet État et le développement du libéralisme, il s’étonne.
De Finkielkraut, notre nouvel académicien, il aime l’attachement à l’éducation, mais il conspue la « technophobie » dépassée. Il est vrai qu’Internet, ce « formidable outil de diversification des sources d’information », a fortement joué dans sa construction intellectuelle, et dans celle de ses congénères. Internet et la télé : « Nous sommes les enfants d’ « On n’est pas couché » époque Zemmour ». Dieudonné, il s’en cogne, n’a jamais regardé ses spectacles, mais comme la patronne du RBM, il estime qu’on eût dû les interdire seulement a posteriori et non d’emblée. Celui qui le fait rire, c’est Gaspard Proust, qu’il a découvert au Point-Virgule, avant même qu’il triomphe dans le petit écran.
Et la Manif pour tous ? David estime qu’il n’était pas nécessaire de faire le mariage homo, ou alors que François Hollande aurait dû y aller au lendemain immédiat de son élection. Le discours est rodé, c’est celui de Florian Philippot : les Français ont d’autres soucis, on n’a fait que créer une fracture supplémentaire dans une France qui n’en avait pas besoin. Bien entendu, la PMA et la GPA sont des marchandisations du corps humain. Du bout des lèvres, il moque la député du Front Marion Maréchal-Le Pen, qui a défilé avec la Manif pour tous, mais à qui on n’a jamais donné la parole.
Au Collectif Marianne, on ne s’intéresse pas vraiment à la jeunesse catholique qui faisait les gros bataillons de la révolte contre les lois Taubira. Le secrétaire général, Yacine Zerkoun, est un musulman pratiquant ; il y aurait aussi quelques juifs, mais de cathos, aucun. Leur totem demeure la laïcité à la française : « On a tellement souffert des guerres de religion qu’on ne peut plus se permettre de fonder la nation sur des valeurs religieuses. » Conformément à la théorie d’Emmanuel Todd sur le « catholicisme zombi », David Masson-Weyl pense que la persistance de traditions catholiques dans certaines régions n’est qu’un héritage appelé à disparaître. Certes, quand il conteste l’influence de la religion dans le domaine public, c’est nettement l’islam qui est visé. Mais la loi doit valoir pour tous. Et quand on lui demande si on n’a pas créé un nouveau communautarisme en humiliant les chrétiens avec une loi qui en heurte beaucoup, il élude.
Pout l’avenir, il a été tenté par l’ENA, ce symbole des classes moyennes qui parviennent à s’élever, mais la perspective d’être soumis au devoir de réserve des fonctionnaires l’a rebuté, lui qui aime tant défendre ses idées. Alors, ce sera consultant et analyste pour l’Asie du Nord-Est ? Un tropisme pour les Orients lointains qui correspond parfaitement à sa vision de la France, pays souverain qui n’a pas particulièrement vocation à s’inscrire dans l’Europe. Pour David Masson-Weyl, il n’y a pas plus de « peuple européen » que de « choc des civilisations » : d’autres mondes existent où nations et peuples se sont réconciliés sans se fondre dans une même entité, témoins la Chine et le Japon. Un discours très « nat-rep », entendre nationaux-républicains, comme s’appellent entre eux David et ses amis. Inutile de préciser que cette ligne ne fait pas l’unanimité. Les « identitaires », frères ennemis en marinisme de Masson-Weyl et ses amis, qui défendent – ou rêvent de restaurer – une civilisation européenne aux racines chrétiennes, forment encore les gros bataillons des jeunes du FN. Mais la génération Philippot trace son chemin. Et elle veut croire que Marianne peut avoir le visage de Marine.
Jacques de Guillebon
Les jeunes et le Front national
La jeunesse, c’est la priorité de François Hollande. À en juger par les dernières municipales, c’est mal imité. Le parti du Président avait une seule tête de liste de moins de 30 ans, Bastien Marguerite, 23 ans, envoyé au casse-pipe à Meaux. Et le PS est loin d’être une exception : si tous les partis draguent le vote des jeunes, ils sont beaucoup moins empressés quand il s’agit de les faire accéder aux affaires. Seuls 3,7% des maires et 10,3% des adjoints avaient moins de 40 ans en 2008. Et cette année, l’âge moyen des 930 000 candidats était 50 ans. Paradoxalement, c’est un parti souvent dénoncé comme traditionnaliste qui, en l’occurrence, est le plus « moderne ». Sur 496 listes présentées par le Front national, 15 % étaient dirigées par des candidats âgés de 18 à 30 ans. Et le FN est le seul à avoir porté des jeunes à la tête de villes de plus de 30 000 habitants : David Rachline, 26 ans, élu à Fréjus ; Julien Sanchez, 30 ans, à Beaucaire. Citons encore Gaëtan Dussausaye, 19 ans, qui n’a recueilli que 5 % des voix à Paris 11e, mais pourrait prendre prochainement la direction du FNJ (Front national de la jeunesse), Édouard Cavin, 21 ans, qui a fait 13% à Dijon ou Étienne Bousquet-Cassagne, 24 ans à Villeneuve-sur-Lot…
Le rajeunissement des cadres est l’un des piliers de la stratégie de conquête du pouvoir de Marine Le Pen. En misant sur ses jeunes pousses, la patronne peut espérer accélérer la normalisation engagée en janvier 2011. Cependant, si la promotion des moins de 30 ans tend à marginaliser la vieille garde, nourrie aux coups de gueules antisémites de Le Pen père, même au FNJ, on doit encore concilier l’idéologie des militants les plus radicaux, « identitaires et antisystème » avec celle des néo-frontistes, « souverainistes » de droite (issus des rangs de Villiers et de Dupont-Aignan) comme de gauche (transfuges du chevènementisme).
À en croire Julien Rochedy, 26 ans, directeur national du FNJ, le nombre d’adhérents a explosé depuis 2010 pour atteindre 25 000 : « Dans les sections locales, les jeunes forment maintenant le gros de nos militants. Ainsi, quand on fait appel à candidatures pour des postes de responsables fédéraux ou à des secrétariats départementaux, la moitié des volontaires ont entre 18 et 30 ans. » Sourire beau gosse, barbe qui lui donne un genre hipster et cigarette électronique à la bouche, cet admirateur de Napoléon, grand lecteur de Nietzsche, explique que la majorité des militants du FNJ adhère par souci de la « question identitaire » déclinée sur deux terrains : « La laïcité et, surtout, la sécurité, c’est-à-dire, précise-t-il, le discours anti-immigration. » Mais quand on lui parle « racisme », il répond « assimilation par la culture ». Tout en précisant : « Une proportion plus faible de nos adhérents est constituée d’étudiants souverainistes qui viennent chez nous par conviction gaulliste et par attachement à l’idée d’une France forte. » Une allusion discrète aux empoignades numériques entre « nat-reps » et « identitaires ». Mais ce serait une erreur de surinterpréter ces échanges parfois houleux. Selon Rochedy, tous communient dans le même idéal : « Contre l’Europe et les banques, nous défendons la liberté française et la fierté d’être ce que l’on est : la civilisation française et européenne. »
Ce qui vaut pour les militants vaut en grande partie pour les électeurs. Certes, au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen n’a recueilli que 18 % des voix des 18-24 ans, contre 28 % pour François Hollande, 22 % pour Nicolas Sarkozy et 16 % pour Jean-Luc Mélenchon ; mais d’après un sondage IFOP publié le 8 février par le JDD, 27% des 18-25 ans se disent aujourd’hui prêts à voter RBM/FN.
Bien sûr, tous les jeunes ne sont pas concernés. À Normale sup et à Sciences po, « nous n’avons aucune possibilité d’action », avoue Rochedy. À Normale sup, pour 400 étudiants on compte une cinquantaine d’encartés à SUD, à la CGT et au NPA, mais pas le moindre frontiste déclaré. À Sciences po, une conférence de l’Association européenne qui devait rassembler des représentants de tous les partis, du Front de gauche au FN, a dû être annulée sous la pression des syndicats UNEF, SUD et Antifas, exercée aux cris de : « On ne débat pas, on combat ! » De la part de futurs gouvernants, ce faible goût pour le pluralisme est pour le moins inquiétant. Et il fait craindre que les élites de demain soient aussi déconnectées d’une grande partie de leurs concitoyens que celles d’aujourd’hui. Bref, le fossé se creuse entre deux jeunesses. Près de cinquante ans après Mai-68, l’extrême gauche fait encore régner sa loi chez celle qui se destine à diriger la France. Pour combien de temps ?[/access]
Nathalie Krikorian-Duronsoy
*Photo: Hannah
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