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David Lynch en musique

À propos du retour de Twin Peaks


David Lynch en musique
David Lynch. Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA31030291_000020.

On en a tous connus des amis qui se proposent de vous expliquer les films de David Lynch – les plus nébuleux s’entend (Mulholland Drive, Lost Highway, Inland Empire) -, avec les yeux écarquillés, gourmands, façon Lucchini. Généralement, ces âmes charitables sont en fac de médecine depuis que vous les connaissez et leurs stages en hôpital psychiatrique ou autres séminaires sur la schizophrénie leur font voir la vierge régulièrement (à chaque nouvelle cuvée lynchienne au moins). Il est permis d’imaginer qu’ils ont surtout un temps d’avance sur les autres dans leurs recherches Internet…


« On n’est pas obligé de comprendre pour aimer. Ce qu’il faut, c’est rêver », rassure Lynch, sachant bien qu’il n’y a pas que des premiers prix Nobel de médecine parmi ses admirateurs.

C’est pourquoi le réalisateur culte fait figure de résistant aujourd’hui. Il refuse toujours de fournir des explications à ses films et de se plier aux injonctions sociétales du « faire sens ». Il préfère parler de ressenti, comme pour la musique, formulant une analogie entre les deux : « Le cinéma ressemble beaucoup à la musique. Il peut être très abstrait, mais les gens ont tendance à toujours vouloir le ramener au plan de l’intellect, le transposer immédiatement en mots. Et quand ils ne peuvent pas le faire, ils se sentent frustrés. Pourtant ils peuvent trouver en eux une explication, il suffit qu’ils se l’autorisent. »

Un « multiste » nommé Lynch

Lui, devenu réalisateur culte depuis son premier long-métrage Eraserhead (1977), s’autorise beaucoup de choses depuis quarante ans : acteur, scénariste, producteur, compositeur, chanteur, musicien, plasticien, photographe, peintre, designer, lithographe, publicitaire, décorateur… en un mot, multiste ! Mais aujourd’hui, il renoue avec la pièce maîtresse de son grand œuvre, la matrice la plus folle, la plus sombre, la plus épaisse, la plus révolutionnaire de l’histoire des séries télé de ces trente dernières années : Twin Peaks !

A la faveur du retour en grâce de Lynch via la troisième saison événement de son soap opera horrifique – 27 ans après le début de la série culte -, l’art a enfin, à nouveau, droit de cité dans nos petites lucarnes. Et la musique digne de ce nom retrouve de fait ses droits dans le petit écran, grâce à la séquence finale de chaque épisode tournée dans une taverne underground, le Bang Bang Bar, où un groupe – à chaque fois différent – nous gratifie d’un titre joué intégralement live. Ambiance batcave garantie, en forme de lamento très blues velvet. Les Nine Inch Nails – guests de luxe – ont créé la surprise dans l’épisode 8 en tenant la scène du club avec une prestation enfiévrée d’un nouveau titre, « She’s gone away ».

On en a pour sa dose de frissons

Avec Lynch, le spectateur en a toujours pour sa dose de frissons, y compris musicaux. On se souvient du smooth jazz et des glissando atmosphériques majestueux d’Angelo Badalamenti, en guise de bande originale inédite pour introduire de la plus belle manière la série, en 1990. On se souvient de cette ouverture caressante comme le premier rayon de soleil du jour, qui n’était d’ailleurs qu’un nouveau jour de deuil : « Twin Peaks Theme ». On se souvient du « Laura Palmer’s Theme », tombeau pour une défunte suppliciée dont l’âme ne peut trouver la paix, quand celle de l’auditeur se perd dans les entrelacs marécageux d’un cauchemar sans fin. Car deux affaires criminelles épouvantables ont ébranlé les plus « middle-aged » d’entre nous pendant leur jeunesse : le meurtre du petit Grégory et celui de la petite Laura Palmer. A la grande différence que la première est tragiquement vraie. Trente ans plus tard, les deux dossiers refont surface dans l’inconscient collectif. Pour le pire en ce qui concerne le premier, pour le meilleur s’agissant du second. Le glauque s’installe à nouveau dans notre quotidien, même si la petite musique de Twin Peaks réchauffe le cœur, quand celle de Lépanges-sur-Vologne glace le sang. Une petite musique de nuit onirique, caractéristique de l’univers lynchien. « Ce que je préfère, déclare le réalisateur, c’est combiner la surface d’une histoire avec une sensation de rêve, avec l’abstraction rendue possible par le rêve. »

Lynch le compositeur

Cette particularité imprègne aussi sa musique, tout aussi expérimentale. Car Lynch est, depuis les années 2000, un compositeur remarqué. Fort de son statut de rock-star octroyé par une filmographie débridée au plus au point, il s’est offert le luxe d’une incursion dans le monde de l’électro et du blues retors’n’roll, déclinant son univers décadent en chansons (Cf. la furieuse « Crazy Clown Time », clippée par lui-même), capable même de pop songs bien troussées (les aériennes « Pinky’s Dream », « Good Day Today » et « Stone’s Gone Up », les désespérées « Last Call » et « We Rolled Together », etc.). Ses deux albums solos, Crazy Clown Time (2011) et The Big Dream (2013) révèlent une beauté autiste en roue libre.

« J’avais écrit le scénario de Blue Velvet en écoutant Chostakovitch », affirmait Lynch dans son livre d’entretiens avec Chris Rodley. A l’écoute de ses disques, la question se pose : qu’a-t-il regardé en composant ses chansons ? Les murs capitonnés de l’univers ?

Méditation transcendantale

Depuis qu’il pratique la méditation transcendantale – 1973 très exactement -, Lynch nous informe que tout est clair pour lui : « Vous êtes emporté dans un océan de conscience pure, de connaissance pure […] Il faut de la clarté pour créer. Si on veut utiliser son cerveau dans sa totalité, il faut transcender », dixit le réalisateur dans son autobiographie Mon Histoire vraie. Pour atteindre et ressentir la clarté intérieure, il suffirait de… réciter des mantras pendant quelques minutes, tous les jours, en fermant les yeux ? Mais alors, ces amis emportés dans un océan de connaissance pure, capables de vous expliquer les films de Lynch… c’était donc ça : des yogis adeptes de la méditation transcendantale.

Big dream

L’œuvre de David Lynch nous prouve en tout cas qu’il est un précurseur, tant l’ésotérisme a gagné du terrain partout, jusque à la sphère publique et politique, comme le démontre régulièrement le très lynchien Macron (remember cette saillie du 8 juillet lors du G20 : « Aujourd’hui, le terrorisme est lié au déséquilibre climatique, que notre mode productif international a généré »).

Le Big Dream de David Lynch a peut-être, sans le savoir, déjà supplanté le Big Brother d’Orwell.

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est l'auteur de nombreux ouvrages biographiques, dont Jean-Louis Murat : Coups de tête (Ed. Carpentier, 2015). Ancien collaborateur de Rolling Stone, il a contribué à la rédaction du Nouveau Dictionnaire du Rock (Robert Laffont, 2014) et vient de publier Jean-Louis Murat : coups de tête (Carpentier, 2015).

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