David Hockney n’est pas seulement un artiste contemporain. Il est aussi l’auteur de l’un des livres les plus intéressants écrits sur l’histoire de la peinture, ou plus précisément sur ces instruments optiques qui permettent aux créateurs, dès le milieu du XVe siècle et surtout à partir du XVIIe, de mieux représenter le réel : Savoirs secrets : les techniques perdues des maîtres anciens.
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David Hockney, en praticien, connaît bien la difficulté qu’il y a à dessiner et à peindre avec justesse sans que cela paraisse besogneux. Du coup, il s’étonne de la vérité et de la liberté de certaines œuvres de Caravage, de Franz Hals, de Vermeer et de beaucoup d’autres maîtres anciens. Ces peintres ont du talent, mais le talent ne suffit probablement pas. Malheureusement, les artistes communiquent rarement leurs secrets d’ateliers. En outre, les historiens de l’art, souvent intarissables dans l’exégèse, sont à peu près silencieux sur la question des techniques. C’est ainsi que Hockney se lance dans une enquête historique. Tel un scientifique, il expérimente lui-même les hypothèses résultant de ses recherches. Il teste les miroirs concaves, les camera obscura (chambre noire au fond de laquelle se projette l’image du sujet visé), les camera lucida (prisme qui superpose dans l’œil de l’observateur le modèle et la surface à peindre), etc.
Cela le conduit à pointer dans des œuvres célèbres les artefacts que chacun de ces instruments a tendance à générer. Par exemple, il montre dans de nombreuses scènes de taverne que les buveurs tiennent leur verre d’une main gauche, qui n’est probablement qu’une main droite inversée par l’optique. De même, il note beaucoup de problèmes de raccords et de disproportions résultant de l’assemblage de projections par fragments. Enfin, il montre que l’élégance de certains fa presto (touche enlevée semblant avoir la rapidité de l’esquisse) découle de l’absence de tâtonnements permise par l’utilisation d’aides optiques. On pourrait multiplier les observations de ce genre. Cependant, le plus important est que la peinture figurative, dès lors qu’elle ambitionne un certain naturalisme, a besoin de s’appuyer sur un processus technique d’appropriation du réel.
Le XXe siècle est une période où, fuyant la concurrence de la photo, les plasticiens s’affranchissent souvent du lien avec le monde. David Hockney montre qu’à partir des années 1970 des artistes commencent à redécouvrir les aides optiques. De nos jours, beaucoup de peintres figuratifs utilisent des instruments de ce type (épiscopes, vidéoprojecteurs…) renforcés par l’informatique (logiciel Photoshop, par exemple). En cela, ils ne font que renouer avec une tradition multiséculaire.
Le plus étonnant est que le phénomène s’étend désormais à la sculpture. Les nouvelles possibilités techniques telles que la numérisation et l’impression 3D ouvrent des perspectives fascinantes allant bien au-delà des classiques moulages. Le cas de Damien Hirst est à cet égard très intéressant. Cet artiste contemporain, parfois discutable, bascule en effet dans une figuration à grande échelle grâce à une évolution technique radicale. Dans une exposition en cours à Venise, à la fondation Pinault (« Les Trésors de l’épave de l’Incroyable »), il livre une étonnante collection de corps et de visages magnifiquement taillés dans diverses matières (marbre, bronze, lapis-lazuli, etc.) et augmentés de coraux à la suite de leur immersion dans un lagon.
Le grand mérite de David Hockney est donc de nous montrer l’histoire de l’art sous un angle inédit et pertinent. Il faut ajouter que ses explications sont d’une simplicité et d’une pédagogie extraordinairement agréables. Un livre à lire absolument !
David Hockney, Savoirs secrets : les techniques perdues des maîtres anciens, éditions du Seuil, nouvelle édition augmentée en version française, 2006.
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