Le centre Pompidou célèbre les 80 ans du peintre britannique avec une retrospective spectaculaire de son oeuvre. On y découvrira notamment une composition récente de 56 mètres carrés sur les paysage de son Yorkshire natal. Minimalistes, passez votre chemin…
Ce n’est pas parce qu’il s’est mis à dessiner sur iPad ou à utiliser des caméras HD pour créer des « tableaux vivants », projetés sur des « écrans-toiles », comme la sublime composition The Four Seasons (2010), que David Hockney prend son travail moins au sérieux. Au contraire. À presque 80 ans, ce jeune garçon aux cheveux décolorés continue, avec l’obstination et l’entrain d’un débutant, à exploiter les trouvailles des maîtres anciens. « L’invention de la caméra remonte à bien plus loin que celle de la photographie et domine l’art occidental depuis plus de trois cent cinquante ans, autrement dit depuis l’apparition de la camera obscura. Canaletto, Vermeer et tant d’autres artistes l’utilisaient parce qu’ils étaient fascinés par ses moyens », confiait-il en 1982 à Paul Joyce, au cours d’entretiens réunis dans un livre remarquable, paru chez Little, Brown and Company.
« Le cubisme a été mal compris comme étant une abstraction, ce qu’il n’est pas »
À l’époque, le peintre britannique, qui est aujourd’hui l’un des plus en vogue et des plus chers (après Peter Doig et Glenn Brown), a commencé à travailler au Polaroïd, sans se laisser démonter par le peu de succès rencontré quelques années plus tôt par ses photographies argentiques. En 1976, la collectionneuse d’art et éditrice Ileana Sonnabend avait publié un portfolio comportant une vingtaine d’images dont le prix à l’unité ne dépassait pas 400 dollars. Le commentaire de Hockney avait été sans détour : « J’ai trouvé que c’était trop bas. Plus tard les prix ont augmenté. Je me suis dit alors que c’était fou de payer un fric pareil pour des photographies. » Toutefois, si Hockney a persisté à photographier, ce n’est pas parce qu’il a découvert que cela pouvait être une activité lucrative, ni parce que la conférence sur le sujet qu’il a donnée au Victoria and Albert Museum de Londres en 1983 l’a porté au pinacle (bien que David Bailey l’ait quittée au bout de quelques minutes). Le Polaroïd a permis à Hockney d’élargir son vocabulaire plastique, d’entretenir un certain éclectisme stylistique, qu’il revendiquait dès les années 1960, lorsqu’il a momentanément succombé à l’abstraction, mais surtout de développer sa réflexion sur la perspective et le cubisme. « Le cubisme n’est pas un style, c’est une attitude. En le considérant comme style, ce à quoi on peut parvenir dans le meilleur des cas, c’est à imiter Picasso […]. Essentiellement, le cubisme c’est une manière différente de voir. Donc cela se rapporte à la réalité et à la perspective, à la façon dont nous voyons ce que nous voyons. Dans le monde de l’art, le cubisme a été mal compris comme étant une abstraction, ce qu’il n’est pas. »
Une oeuvre monumentale peu connue en France
Hockney a remarquablement corrigé l’erreur avec ses fameux « joiners », collages réalisés à partir de photos Polaroïd et qui n’ont rien d’abstrait, tout en évoquant l’esthétique du cubisme. Dans un langage profane, on dirait qu’ils enregistrent le mouvement (The Scrabble Game, 1983) ou qu’ils atteignent la troisième dimension (Pearblossom Highway, 1986). Néanmoins, le plus important pour l’artiste était que ses « joiners » intègrent la notion du temps nécessaire à la création : « L’expérience de l’art est beaucoup plus réelle avec la peinture qu’avec la photographie. En peinture, le moment est plus long et nous pouvons sentir ce moment. En photographie, ce n’est pas possible. » Certains de ses collages ont demandé quatre mois de travail et des milliers de prises, avant de donner ce quelque chose que Bergson, dont Hockney est un lecteur assidu, définissait en termes de « continuité indivisible de changement qui constitue la durée vraie ». Quels qu’aient été le support et le matériel employés (parfois des fax ou des photocopieuses), son attention se focalisait entièrement sur les possibilités que les différents gadgets technologiques ouvraient à la peinture. La rétrospective du Centre Pompidou permet de comprendre cet aspect de son travail, mais elle sera aussi, pour beaucoup, l’occasion de découvrir une œuvre, étonnamment peu connue en France, si on songe à la véritable Hockney-mania qui fait fureur de l’autre côté de la Manche depuis l’exposition de ses paysages à la Royal Academy en 2012.
Mis à part son immense talent, Hockney a ceci de particulier qu’il transmet au public la fascination éprouvée devant un paysage.
Pour le coup, l’enthousiasme des Britanniques ne relève pas d’un effet de mode amplifié par le marketing. Combien de fois par an nous arrive-t-il de sortir enthousiaste d’une exposition ou d’un musée ? Mis à part son immense talent, Hockney a ceci de particulier qu’il transmet au public la fascination éprouvée devant un paysage. Les privilégiés qui ont eu la chance de voir son exposition au Centre Pompidou en 1999 ne sont certainement pas près d’oublier le vertige provoqué par A Bigger Grand Canyon (1998). La toile monumentale de 2,10 m sur 7,40 m, à laquelle à l’époque on avait réservé une salle entière, absorbait littéralement le visiteur tant par ses dimensions hors normes que par l’intensité de ses couleurs, leur luminosité, la perspective enfin, qui poussait à regarder sous ses pieds de crainte de tomber dans l’abysse de la vallée de Yosemite. Qu’aurait-il pu peindre encore d’aussi puissant ? Hockney a fait à cette question une réponse brillante avec ses récents paysages du Yorkshire, la région du nord de l’Angleterre dont il est originaire. Voici donc Bigger Trees Near Water (2007), composé de 50 panneaux, d’une taille totale de 4,60 m sur 12,20 m, présenté à la fin du parcours. Commentaire de l’artiste, sûr de l’effet que produira ce superbe tableau d’une colonie d’arbres dénudés sous une lumière hivernale : « C’est marrant de penser que je l’ai peint dans un petit studio de Bridlington. » Attiré dans les années 1960 par l’esprit de liberté qui régnait sur la Californie, Hockney, un grand fumeur, s’est réinstallé en 2005 non loin de Bradford où il a grandi, las de la terreur hygiéniste qui s’était emparée de sa patrie d’adoption : « En Californie aujourd’hui, tout le monde pense qu’on a le choix entre fumer et être immortel ! » David Hockney peut fumer tranquillement. Son œuvre l’a déjà rendu immortel, en nous reliant, grâce à sa nature profondément empathique et émotive, au grand mythe de la naissance de la peinture : d’après Pline l’Ancien, c’est à la fille d’un potier de Corinthe que l’on doit son invention quand, d’une ligne, elle a entouré l’ombre de son amant projetée sur un mur.
« David Hockney », Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris- jusqu’au 23 octobre 2017.