Le romancier, auteur de David et Rosalie ou le film dans le film, a quitté la France pour vivre en Israël en 2011. Depuis, on ne le traite plus de « colon » mais son soutien à Netanyahu le coupe du monde littéraire, évidemment de gauche…
Causeur. Pour quelles raisons avez-vous quitté Paris pour Tel Aviv en 2011 ?
Marco Koskas. Mon fils était parti en Israël étudier dans une yeshiva et je sentais qu’il n’était pas bien là-bas. De mon côté, en tant que sioniste, j’étais de plus en plus mal en France car le mot était en train de devenir un repoussoir. Or pour moi, le sionisme est la seule utopie du XIXe siècle qui ait abouti à une société démocratique. Et puis dans le monde de l’édition, je ne collais plus au mood du moment. Mon dernier éditeur français ne voulait même pas me recevoir. Il était persuadé que j’étais « un colon ». Quand je suis venu présenter mon livre aux commerciaux, il m’a lancé : « Tendez la main aux Palestiniens ! ». Lui qui refusait de me tendre la sienne… Les écrivains juifs en France se disent rarement sionistes. Il y a BHL bien sûr, sur un mode mélancolique ces temps-ci. Et Dieu merci, Georges Bensoussan pour remettre les pendules à l’heure ! Mais des non-juifs se font aussi entendre, comme Houellebecq et Onfray… J’ai donc émigré pour la deuxième fois, car la première c’était de ma Tunisie natale vers la France.
Cela a-t-il changé votre façon de travailler ?
Je me suis mis à écrire sur l’émigration française à Tel Aviv. Je faisais partie d’une bande, c’était gai, on se marrait, je vivais une deuxième jeunesse. Ça a donné Bande de français, refusé par tous les éditeurs, même ceux qui m’avaient souvent publié. Je me suis alors auto-édité sur Amazon. Ce devait être mon oraison funèbre d’écrivain, mais grâce à Patrick Besson, mon livre s’est retrouvé sur la liste du prix Renaudot ! Scandale ! Libération a alors fait de moi un portrait carrément antisémite.
Et en Israël, en a-t-on parlé ?
Oui, et ça a fait du bruit. L’hebdo culturel de Haaretz m’a consacré sa couverture en bad boy. Je me souviens de la fille qui m’a interviewé : elle avait les yeux de la jeune Charlotte Rampling mais me lançait des regards noirs parce que je ne déversais aucune haine contre Netanyahu et que je revendiquais mon sionisme. Or en Israël, il est de bon ton, à gauche, d’être post-sioniste.
C’est-à-dire ?
Le post-sionisme, c’est une critique du sionisme au regard des « souffrances » du peuple palestinien. Mais la question occultée est : pourquoi y a-t-il deux millions d’Arabes parmi les neuf millions d’Israéliens si la Nakba a bien eu lieu ? Il n’y a d’ailleurs pas d’iconographie de la Nakba. L’historien palestinien Elias Sanbar lui-même le regrette, n’ayant trouvé que cinq photos en tout et pour tout.
Vous entretenez des liens avec les écrivains israéliens ?
Pas vraiment, je ne suis sans doute pas assez de gauche ! Mais j’adore certains d’entre eux. David Shahar, un géant, mais il est mort. Et Zeruya Shalev, Alona Kimhi, Shani Boianju, une pépite, traduite chez Robert Laffont.
Donc j’imagine qu’avant le 7 octobre, vous ne défiliez pas dans la rue chaque samedi contre la réforme judiciaire…
Non, car pour moi cette réforme n’est pas essentielle. Elle nous a déchirés inutilement. Le gros problème interne du pays c’est la spéculation immobilière. C’est contre ce fléau qu’il faut se battre. C’est une vraie catastrophe.
Après le 7 octobre, des Israéliens ont décidé de quitter Israël. Et vous, vous y pensez ?
Quitter Israël ? Certainement pas ! Je suis plutôt convaincu que la plupart des juifs devront quitter l’Europe tôt ou tard car le changement de population mènera à la dépénalisation de l’antisémitisme. Et puis, comme disent les vieux juifs tunisiens : « J’ai pas d’autre endroit pour aller ! »
David et Rosalie ou le film dans le film, de Marco Koskas, Galligrassud, 2024. 153 pages
Enfances irréconciliables ? Le pogrom du 7 octobre survient alors que Marco Koskas finit un manuscrit sur la relation de Romy Schneider et Sami Frey pendant le tournage de César et Rosalie. Comment continuer ce livre quand un tel massacre a lieu en direct sous vos yeux et que s’ensuit une guerre de survie face au Hamas ? Dans un premier temps, l’auteur abandonne son texte. Son « hypothèse romanesque » entre les deux acteurs lui paraît alors dérisoire. Mais après le premier choc, il y revient en se demandant ce qu’a pu ressentir Sami Frey, enfant rescapé de la Shoah, ce 7 octobre. Et cela donne quelques pages poignantes de David et Rosalie, l’impossible histoire d’amour entre Romy Schneider, dont la mère était une favorite de Hitler, et Sami Frey, fils de Perla Wolf, gazée à Auschwitz quand il avait cinq ans. Revisiter ce film légendaire à l’aune de cette relation était déjà une idée aussi osée que captivante ; écrire ce film dans le film a été une gageure : « Ça ne pouvait pas être un roman et pas davantage un document, explique l’auteur. Je voulais juste imaginer ce qui a pu se produire entre les deux acteurs en calquant ma chronologie sur la chronologie du film. Du casting jusqu’à à la première au Normandy, en passant par le tournage. » L’écrivain leur prête des sentiments et des pulsions qu’ils n’ont certainement pas eus mais reste convaincu de ne pas être loin de la vérité. En amoureux du cinéma français, Marco Koskas scrute le film à la loupe et déniche dans chaque séquence ce qu’il désigne comme une trace, sinon une preuve ou un écho du film dans le film qui échappe même à son réalisateur. Y a-t-il eu finalement une histoire entre Sami et Romy, se demande Koskas ? Pour lui, il y a eu une relation, sans doute tumultueuse et compliquée, mais invisible à l’œil nu. Le romancier a tous les droits (ou presque) ! Tandis que le film de Sautet, léger comme les années 70, était un hymne à la joie de vivre, ce récit inattendu intercale désormais dans ce face à face le drame de deux enfances irréconciliables. On aimerait connaître la réaction du beau Sami. Le lira-t-il ? M.N. |
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