Qui a dit que l’Union Européenne était un paradis pour banquiers douteux, un eldorado libéral, une zone non démocratique ? Moi. Et quelques autres, qui ont le souverainisme de gauche et l’antilibéralisme chevillés au corps et au cœur.
Mais voilà que j’apprends une nouvelle troublante. Elle ne va pas forcément me convertir aux bienfaits de l’UE mais elle semble annoncer l’ébauche d’un commencement de lutte coordonnée contre la finance, ses ors et ses pompes.
Pour prévenir les prises de risques insensées qui ont contribué à la crise financière de 2008, le Parlement européen s’apprête tranquillement à plafonner les bonus bancaires au niveau du salaire annuel fixe, devenant ainsi la zone la plus stricte du monde du monde en la matière… Cette loi sera votée en janvier 2014, s’inspirant des recommandations du comité de Bâle, dit Bâle III, définissant de nouvelles règles de solvabilité pour les établissements bancaires. Les vingt-sept soutiennent le projet, avec la France et Allemagne en avant-garde, trop heureuses de trouver pour une fois un terrain d’entente.
Tout le monde est content, alors ? Eh bien non, ce serait trop facile. Mais en même temps, quand ceux-là ne sont pas contents, c’est bon signe pour l’Europe. Oui, vous avez deviné, les Anglais… Enfin, les conservateurs anglais pour qui, depuis Thatcher, la moindre réglementation en matière économique s’apparente au chemin de la servitude qui, comme chacun sait, finit au goulag. Au 10 Downing Street, on s’étrangle donc de rage à cette idée et on hurle au populisme.
On aurait pu penser, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, que David Cameron verrait là une aubaine pour conforter son idée de referendum sur la sortie de l’Union… Oui, mais il n’est pas Churchill, et sa vision historique, si tant est qu’il en ait une, cède le pas à des angoisses court-termistes. Et la première, c’est de convaincre une société en voie de paupérisation que se battre pour le droit des banquiers aux bonus faramineux, c’est se battre pour l’indépendance nationale contre l’Europe…
On a vu plus facile comme exercice dialectique. Surtout dans un pays où comme partout ailleurs, on est confronté à un plan d’austérité sans précédent, où comme partout ailleurs, les banques ont été renflouées par l’argent public et où comme partout ailleurs, mais de manière beaucoup plus substantielle, les bonus sont repartis de plus belle : 6012 milliards de livres distribués dès 2009 après la chute historique de 2008 (4008 milliards de livres tout de même). Le peuple anglais a beau être connu pour son abnégation, il va finir par se rendre compte que Cameron le prend pour une bille…
Je voudrais donc prévenir aimablement mes amis souverainistes de droite qui ont parfois fait de ce même Cameron leur Robin des Bois selon la règle « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », qu’ils vont devoir se trouver un nouveau héros, et fissa. En témoigne, au Parlement européen, l’isolement grandissant et suicidaire des tories qui se sont retirés du groupe PPE jugé trop fédéraliste et ne peuvent plus espérer être efficace dans leur lobbying anti-plafonnement des bonus. Car Cameron sait très bien ce qui se profile derrière cette mesure symbolique de la future loi. Ni plus ni moins que la mise au pas de la City de Londres.
Il faut dire que les pays de la zone euro sentent bien que le point de rupture de la résistance des peuples aux mesures austéritaires est proche. À moins de faire tirer dans les foules grecque, espagnole ou portugaise, il va falloir donner des gages à ceux qui en bas se sacrifient depuis trop longtemps … L’UE s’apprête donc à harmoniser la régulation des banques, le plafonnement des bonus n’étant qu’une première étape. Et la City qui est le premier centre financier d’Europe (et le plus opaque) aura du mal à ne pas se retrouver Gros-Jean (Big John en VO) comme devant.
Bon, on ne va pas en conclure que le Parlement Européen, un peu renforcé par les derniers traités, va devenir le bouclier des peuples contre la finance, mais votre serviteur est bien obligé de reconnaître que ce n’est pas, ou plus, une simple chambre d’enregistrement du néo-libéralisme. Force est d’admettre que sur la question des bonus indécents, c’est aujourd’hui l’UE qui fait de la résistance, pas les Etats-nations. Alors encore un effort, camarades députés européens, pour devenir réellement socialistes !
*Photo : EU Social.
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