« La première fois que j’ai vu une femme nue, j’ai cru que c’était une erreur. » (Woody Allen)
David Abiker n’est pas qu’un brillant journaliste à France Info ayant lancé le premier club de la presse internet (l’indispensable « Parlons Net ») ; David Abiker n’est pas non plus que ce piquant chroniqueur égayant les pages de L’Express ou de Marie-Claire de ses délicates « choses vues »… C’est aussi un écrivain sagace, qui pose un regard acerbe sur la modernité, sans jamais tomber dans l’écueil de la détestation ; un écrivain sensible sachant mettre en évidence les mutations de l’époque, à travers des récits subtilement autobiographiques, à la narration simple, attachante et volontiers mélancolique par-delà les saillies de l’humour. L’une des préoccupations littéraires de David Abiker est d’explorer les « tabous » qui parcourent la société… Il a commencé avec Le Musée de l’homme (2005), dans lequel il explorait le « déclin de l’empire masculin » ; il a poursuivi ce projet avec Le Mur des lamentations (2006), envoûtante réflexion sur la victimisation sur fond de récit poignant – et parfois burlesque – d’un homme aux prises avec la maladie.
Une plongée (en slip) dans les seventies
Le nouveau livre de David Abiker, Zizi the Kid, s’inscrit entièrement dans cette démarche, puisque l’écrivain nous décrit cette fois-ci l’itinéraire intime d’un petit garçon rondouillard et timide, découvrant l’érotisme et la sexualité dans la France effervescente des années 1970. Zizi se présente ainsi sous la forme d’une série de petites miniatures nostalgiques, comme autant de clichés Kodachrome™ un peu défraîchis, retraçant l’étrange mutation d’un môme depuis l’enfance (le récit commence aux cinq ans du gosse) jusqu’à la prime adolescence. Et cette fascination érotique pour le corps féminin passe – chez « Zizi » – par bien des chemins : depuis la poupée qu’il déshabille pour en découvrir la froide anatomie de plastique jusqu’aux numéros de Playboy, dont il regarde en douce les « princesses » dénudées, en passant par l’examen minutieux qu’il fait des pages consacrées aux sous-vêtements (Ah, les sous-tif Playtex !) dans le catalogue familial des 3 Suisses. Plus tard, c’est en voyant une pub télévisée pour la Végétaline (mais si, souvenez-vous de ce petit dessin animé où l’on voyait danser des frites sexy et heureuses d’être cuites dans de la Végétaline ! ) que l’imaginaire de « Zizi » va s’emballer. Et le personnage est aussi attachant dans le désir brouillon que dans la perplexité innocente, celle qui le frappe en voyant la chienne de la famille avoir ses règles, la chatte de la maison être en chaleur ou quand il explore le contenu d’une boîte de préservatifs trainant dans la salle de bain. Une curiosité aussi, qui – sous l’impulsion d’un jeune cousin vantard parlant obsessionnellement de la taille de son sexe – va le pousser à se chercher sa propre virilité, d’abord au travers d’une panoplie de Spiderman, puis – les années passants – dans un intérêt amoureux réel envers les filles, et une réconciliation avec son propre « zizi », dont il commence à comprendre le fonctionnement.
La mélancolie de l’enfance
Au-delà du pittoresque de ces saynètes drolatiques, Abiker parvient très bien à nous rappeler la difficulté d’être un enfant : « L’ennui de cet âge là, je peux presque le toucher. Les moteurs de mes voitures Majorette refusent obstinément de démarrer, les soldats paressent au fond du coffre à jouets et les peluches sont blêmes… » Une mélancolie dont il sera facile au lecteur de retrouver en lui-même, quel que soit son âge, l’expérience de la noirceur.
Mais une autre manière d’apprécier ce récit est d’en regarder les décors. Car David Abiker est coloriste autant qu’écrivain. Il parvient, sans forcer le trait, et sans artifice aucun, à installer une authentique ambiance seventies vintage, dont il convient de saluer l’imparable effet nostalgique et la qualité de l’imagerie historique. Car ce récit s’étire dans le temps : celui du narrateur (qui va de l’enfance à l’adolescence, de l’innocence aux préoccupations sexuelles explicites), mais aussi dans le temps même de l’Histoire, puisque le récit commence sous Pompidou, s’étend sur tout le septennat giscardien (dont Abiker parle avec une irrésistible tendresse), et s’achève sur les débuts de l’ère Mitterrand. Une époque où l’on porte des slips kangourous, où l’on joue aux Big-Jim, aux Légo, où l’on porte des pompes Kickers, où l’on écoute des histoires du Petit Ménestrel (genre Davy Crockett ou Robin des Bois) dans son mange-disque orange à piles, où l’on tombe amoureux de Karen Cheryl ou bien de Catherine Deneuve en regardant Peau d’âne ; une époque de la plus haute antiquité que les enfants de la génération Internet découvriront certainement avec un grand sourire de sympathie en lisant cet indispensable Zizi de David Abiker…
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