Marlène Schiappa a adopté des postures contraires dans les affaires Daval et Darmanin. Si le néo-féminisme est à géométrie variable, la justice, elle, ne l’est pas.
La guerre des sexes que nous annoncions au début du séisme de l’affaire Weinstein semble bel et bien déclarée. Alors que l’islamologue Tariq Ramadan vient d’être placé en détention provisoire à la suite de dénonciations de viols par deux plaignantes, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, mis en cause pour des faits que la plaignante qualifie de viol par surprise, se voit renouveler « la confiance et la solidarité » du président de la République, du Premier ministre, et de l’ensemble des membres du gouvernement. Incluant Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, héraut de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui s’indignait hier encore de « l’impunité des crimes sexuels en France ».
Une « standing ovation » a même été offerte à Gérald Darmanin à l’Assemblée nationale, mardi 30 janvier, par de nombreux députés marcheurs : n’étant pas mis en examen, il conserve la « totale confiance » du gouvernement, alors que s’ouvre l’enquête préliminaire pour les faits dénoncés par Sophie Spatz.
« Aucune intention de nuire »
Dans le même temps, circule sur internet une pétition mise en ligne par des féministes de combat, estimant une mise en cause pour viol incompatible avec le maintien d’un ministre à son poste. L’évolution de cette pétition sera sans doute surveillée comme du lait sur le feu par les différents conseillers et un succès, qu’elle ne semble pour l’instant pas rencontrer, pourrait conduire, sauf classement sans suite intervenant rapidement, à une révision du tout au tout de la position officielle.
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La plaignante, Sophie Spatz, affirme sans rire n’avoir « aucune intention de nuire », souhaitant simplement que « les services enquêteurs puissent travailler sereinement […] afin que justice soit rendue ».
Un bref rappel des faits s’impose, afin de prendre la mesure, dans la lecture et le décryptage de cette affaire, de l’importance du tribunal médiatique, qui lui ne travaille pas vraiment dans la sérénité et pourrait bien, selon la tournure des événements, jouer un rôle déterminant.
L’affaire remonte à 2009. Ancienne call-girl, condamnée en 2004 pour des faits de chantage, appels malveillants et menace de crime, la plaignante avait approché différents responsables politiques pour faire réviser cette condamnation, pourtant définitive puisque confirmée en appel. Gérald Darmanin, alors âgé de 26 ans (aujourd’hui plus jeune ministre du gouvernement), était l’un d’entre eux.
« Je ne suis pas une gamine, j’ai compris tout de suite »
Le jeune chargé de mission au service des affaires juridiques de l’UMP va, selon les dires de la plaignante, lui offrir une oreille si attentive que l’exposé de son cas sera suivi d’une invitation à dîner, puis d’une virée en club libertin, et enfin d’un rendez-vous dans une chambre d’hôtel : l’effet de surprise, on en conviendra, pouvant être entamé par cet enchaînement.
Ce d’autant que la promesse d’intervention, à l’issue du dîner, laissait clairement entrevoir une contrepartie sexuelle : « Je ne suis pas une gamine, j’ai compris tout de suite », confiera la plaignante au journaliste du Monde, consentant finalement à une relation sexuelle tout en disant s’être sentie « prise en otage », en raison du besoin qu’elle avait de l’intervention promise. Consentante ? Pas si sûr, puisque la plainte qui sera déposée le sera pour viol et non pour harcèlement sexuel, infraction que l’on aurait pourtant pu invoquer, devant une relation sexuelle « extorquée » en échange de promesses ou de faveurs.
C’est prostrée, en proie au douloureux sentiment de « s’être fait avoir » que son mari dit l’avoir accueillie à son retour au domicile, au petit matin.
Sophie Spatz dénonce une première fois les faits en novembre 2009 : elle écrit alors à l’assistante parlementaire de Jean-François Copé ; le groupe UMP, dans sa réponse officielle du 10 décembre, lui conseillant d’intenter une action en justice. Mais Sophie Spatz ne se rendra à aucune des convocations des policiers : le dossier sera logiquement refermé et la plainte classée sans suite.
Marlène Schiappa ne sait plus où donner de la tête
En apprenant la nomination de Gérald Darmanin en mai 2017, la blessure se rouvre et la colère l’envahit : « hystérique », selon ses propres termes, elle se promet d’obtenir la démission du jeune ministre, appelle l’Élysée, s’y rend, écrit à François Bayrou, éphémère garde des Sceaux… Au mois de juin 2017, elle rencontre la féministe engagée qui sera son sauveur, mais aussi son coach, Caroline de Haas. Celle-ci prend l’affaire en main, explique à Sophie Spatz (et à son mari) que le consentement n’en était pas un, et que la « surprise » pourrait permettre de qualifier le viol.
Le risque politique à soutenir aujourd’hui Gérald Darmanin est donc mesuré : si le dossier ressemble à ce qu’en dévoilent les médias, la qualification de viol, fût-elle « par surprise » a bien peu de chances d’être retenue. Si des faits de harcèlement étaient qualifiés… ils seraient prescrits et ce, en dépit de la loi du 27 février 2017 qui doublait la prescription de ce délit, la portant de 3 à 6 ans.
Le paradoxe est pourtant flagrant : alors que Marlène Schiappa rappelle dans le cas de Gérald Darmanin que la présomption d’innocence vaut pour tous, citoyens comme politiques, elle n’hésite pas, au micro de RTL, à requalifier en assassinat le meurtre de son épouse Alexia, par son conjoint Jonathann Daval, alors même que le procureur de la République, Edwige Roux-Morizot, avait affirmé que la préméditation n’avait pas été retenue.
« Porter la voix de la raison au milieu de cette folie médiatique »
Dans le même élan, la secrétaire d’État s’indignait du fait que des considérations sur la personnalité de la victime aient été avancées par la défense, ce qui reviendrait à « légitimer les féminicides ». « Ce n’est pas une dispute, ce n’est pas un drame passionnel, c’est un assassinat ! », s’emportait-elle au micro de RTL le jeudi 1er février. La prétérition (« je dis ça pour le cas général et pas pour cette affaire en particulier ») n’y change rien : la qualification du crime venait d’être revue, au point que Christophe Castaner s’en est distancié, affirmant « qu’un ministre n’a pas à commenter une affaire judiciaire ». A fortiori lorsque le commentaire dénie aux avocats de la défense le droit de parler des déclarations de leur client et, dans une vision en noir et blanc de la relation auteur-victime, requalifie le crime.
Le soir-même, Edwige Roux-Morizot dénonçait « l’indécence » de certaines déclarations médiatiques, la violation du secret de l’instruction et l’oubli de la présomption d’innocence. Avec le mélange admirable de sobriété et de force qui caractérise ses déclarations ciselées, elle appelait à « porter la voix de la raison au milieu de cette folie médiatique ». L’utilisation du terme de « meurtrier » (et non d’assassin) présumé, comme en écho aux propos de Marlène Schiappa, prenait ici tout son sens.
Les experts psychiatres devraient s’inquiéter et partager cette indignation : alors que la compréhension du passage à l’acte est l’un des principaux enjeux d’un procès d’assises, les accusera-t-on désormais, lorsqu’ils évoqueront une interaction fatale entre auteur et victime, de justifier le crime ? Ou encore de disculper l’auteur et de blâmer la victime ? Comme Hélène Roux-Morizot, nous souhaitons que la justice reprenne sa place et que la recherche de la vérité prenne le pas sur le militantisme.
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