Après la mort d’un adolescent de 14 ans sur fond de trafic de drogue à Marseille, le ministre de l’Intérieur assure dans les médias que son gouvernement met tout en place pour harceler les trafiquants. Selon lui, « fumer du cannabis, avoir de la cocaïne sur soi, c’est être complice de la mort de ce jeune homme » et « parfois, financer des réseaux criminels et terroristes. » Cela dit, tout le monde ne pense pas exactement la même chose dans la majorité, loin de là.
On peut ironiser sur l’hyperbole utilisée par Gérald Darmanin pour évoquer les revenus des dealers et appeler à moins de naïveté, reste que sur le fond le ministre de l’Intérieur à raison de réaffirmer la nécessité de lutter contre le trafic de drogue, y compris de cannabis. Il y a d’autres critiques à lui faire, mais se focaliser sur cette exagération rhétorique c’est lui intenter un mauvais procès au lieu de réfléchir à l’essentiel.
Oui, Gérald Darmanin a raison de rappeler clairement l’impérieuse nécessité du combat contre les trafics de drogues. Oui, il a raison de dire que la légalisation du cannabis serait une défaite morale. Oui, il a raison de déclarer que les consommateurs des « beaux quartiers » ont eux aussi une lourde part de responsabilité dans les crimes commis par ces trafiquants qu’ils contribuent à financer, et on ne peut que se réjouir que le ministre ait abordé ce point trop peu évoqué. Ce sont là des positions courageuses, et la détermination du ministre face au fléau de la drogue est d’autant plus louable qu’elle s’oppose aux souhaits d’une part non négligeable de l’électorat notoirement « bobo » de son parti.
Les trois erreurs de Darmanin
On connaît les arguments en faveur de la légalisation du cannabis, des mauvaises excuses de consommateurs mondains à l’espoir naïf qu’il sera plus facile de lutter contre un problème de santé publique que contre un problème de délinquance. Ce n’est malheureusement pas si simple : l’image « cool » de la drogue est en elle-même un fléau, dans lequel certains politiques ont d’ailleurs une lourde responsabilité, et la légalisation serait à la fois une défaite morale, une faute politique et une erreur stratégique. Il est heureux que le ministre de l’Intérieur partage cette analyse.
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Faut-il pour autant se contenter d’applaudir ? Non, hélas, car malgré toutes ses bonnes intentions Gérald Darmanin fait trois erreurs de fond.
La première est de ne pas aller au bout de sa propre réflexion lorsqu’il évoque l’incohérence – pour ne pas dire l’hypocrisie – de certaines municipalités, par exemple au sujet de la vidéo-protection. Le ministre n’en est évidemment pas responsable, pas plus qu’il n’est responsable de la tendance lourde de l’État, depuis des décennies, à se désengager de ses responsabilités régaliennes pour les transférer aux collectivités : le rôle de plus en plus crucial des polices municipales le prouve. Celles-ci ne cessent de monter en gamme, souvent plus présentes sur le terrain que la police nationale car moins vampirisées par les tâches annexes et le poids croissant du formalisme de la procédure pénale : plus des trois quarts du temps consacré à une enquête judiciaire est aujourd’hui accaparé par des points de pure forme au détriment de la recherche de la vérité. Reste que ce désengagement de l’État n’est pas acceptable : qu’en est-il des communes qui n’ont pas les moyens de financer des polices municipales suffisamment étoffées ? Qu’en est-il des habitants de ces villes dont, par idéologie ou clientélisme, les élus refusent de faire le nécessaire ? Les missions régaliennes sont à la fois la responsabilité de l’État et le fondement de sa légitimité, il est plus que temps qu’il les assume à nouveau, et il serait du devoir du ministre de l’Intérieur d’agir dans ce sens.
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Une priorité chasse l’autre
La seconde relève du management : à chaque fait divers, une priorité nouvelle. Aujourd’hui la drogue, demain les violences intra-familiales, après-demain l’immigration illégale, le jour suivant le contrôle des mesures « sanitaires », puis des manifestations anti-pass et de la contestation sociale, puis de nouveau la drogue, ad nauseam. Et les forces de l’ordre ont justement la nausée de ces chaises musicales de priorités, l’une chassant l’autre au gré des bandeaux de BFM TV et des indignations fluctuantes des réseaux sociaux. Quand tout est prioritaire, plus rien ne l’est. Il est probable que Gérald Darmanin prenne réellement à cœur la lutte contre les trafics de drogue, et c’est tout à son honneur : qu’il veille alors à ne pas démotiver ses troupes en cédant à la facilité de la « priorité du moment » qui ne sert qu’à se concilier temporairement telle ou telle association et surtout à se dédouaner en cas de coup dur : « j’avais donné des ordres » – sans jamais préciser que ces ordres étaient contradictoires, et rendus inutiles du seul fait de leur accumulation et de leur déconnexion totale des moyens humains et matériels dont disposent les services concernés.
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La troisième erreur, la plus grave, est de ne pas aborder de front le problème de la réponse pénale. Partout où les magistrats se montrent d’une complaisance coupable envers les dealers, le ministre de l’Intérieur et les forces de l’ordre sont impuissants, et tous les discours, toutes les déclarations d’intention, toutes les priorités affichées du monde n’y pourront rien changer. La contraventionnalisation de certains actes relatifs aux trafics de stupéfiants permet de contourner ce problème, en permettant une sanction systématique et non soumise à l’arbitraire de l’institution judiciaire, mais elle ne fait justement que contourner le problème, elle ne l’affronte pas. Il y a trois mois, les policiers descendaient dans la rue et huaient un garde des Sceaux applaudi par les détenus : tout est dans ce symbole. Bien sûr, les magistrats ne sont pas seuls responsables : ce sont les élus qui votent des lois systématiquement plus soucieuses des droits des criminels que de ceux de leurs victimes. Ce sont les élus qui valident l’impunité d’une corporation qui, de plus en plus, prétend se situer au-dessus de la volonté générale. Reste qu’il est grand temps que les juges, comme n’importe quel citoyen y compris dans l’exercice de sa profession, rendent des comptes sur les conséquences de leurs actes. Face à cet enjeu majeur, on aimerait que le ministre de l’Intérieur ne se contente pas de ronchonner en coulisses contre Dupond-Moretti pour finalement répéter comme lui à chaque drame absurde que « il n’y a pas eu de dysfonctionnement » car « l’état de droit a été respecté. »
En résumé, que Gérald Darmanin s’oppose à la franche la plus à gauche de LREM pour défendre la lutte contre les trafics de stupéfiants et refuser la légalisation du cannabis est une excellente chose. Mais tant que l’État se désengagera du régalien, que la valse des priorités au rythme des sautes d’humeur médiatiques perdurera, et que les juges pourront continuer à n’en faire qu’à leur tête sans devoir assumer les conséquences de leurs décisions, il est à craindre que les beaux discours ne restent, comme si souvent, que du marketing.