C’est une polémique de notre époque. Une phrase prononcée lors d’une émission matinale qui, il y a encore quelques années, n’aurait pas fait trois lignes dans les journaux du lendemain. Gérald Darmanin, nommé César du meilleur espoir de l’UMP par Nicolas Sarkozy lui-même, est le coupable. Invité mardi matin de LCI et Radio Classique, il a osé comparer Christiane Taubira à « un tract ambulant pour le FN ». Aussitôt, cette petite phrase sans relief a déclenché un flot de protestations digne des chroniques les plus polémiques d’Eric Zemmour. L’après-midi même, le Premier ministre en personne saisit l’occasion d’une question de Darmanin pour interpeller directement et très violemment le député fautif. Et mercredi matin, Christiane Taubira réagit enfin – Twitter retenait son souffle ! La réponse du Garde des sceaux, escaladant ses petits poneys, manque singulièrement de nuances puisqu’elle accuse le député Darmanin d’avoir proféré des « insultes et des déchets de la pensée humaine ». Déchets de la pensée humaine ! On ose à peine imaginer ce qu’il adviendrait si un élu UMP osait emprunter cette sémantique pour qualifier un homologue de gauche, au regard de ce que la déclaration inoffensive de Darmanin a pu susciter.
Qu’a donc fait Darmanin mardi matin ? Il s’est adonné au sport le plus pratiqué depuis trente ans par les élus UMP et PS : renvoyer la responsabilité de la vague FN sur son adversaire. Tous le font avec une régularité impressionnante, et une fréquence encore plus rapide depuis que Marine Le Pen en a accéléré la montée. Du côté de l’UMP, on rappelle le rôle de Mitterrand, du changement de mode de scrutin de 1986, des fameux chiffons rouges que la gauche agite, comme la perpétuelle tentation d’accorder le droit de vote aux étrangers ou, comme Darmanin le laissait penser, la volonté de mettre en œuvre des politiques pénales laxistes. Du côté du PS, on fustige les déclarations FN-compatibles de dirigeants de droite, du « bruit et les odeurs » de Chirac au discours de Grenoble de Sarkozy, rappelant que les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie (Christiane Taubira a d’ailleurs entonné ce refrain légendaire dans la Cour de l’Elysée ce matin). Bref, rien de nouveau sous le soleil.
Il y a une dizaine de jours, Christiane Taubira était l’invitée de l’émission de Laurent Ruquier sur France 2. On a d’ailleurs pu assister à la métamorphose, l’espace d’une petite heure, d’Aymeric Caron, de fauve intransigeant en petit chaton affectueux. Spectacle réjouissant : ce type est donc humain, il a des passions, et la ministre de la Justice en fait partie. Mais c’est un peu plus tard, alors que Christiane Taubira avait quitté le plateau que, le fauve étant de retour, le comédien François Rollin a expliqué –dans un langage certes moins direct que celui de Darmanin- que les postures de Caron pouvaient très bien alimenter le vote FN. Il y a quelques mois, Jean-François Kahn venait présenter dans la même émission son dernier livre Marine Le Pen leur dit merci, et scandalisait lui aussi Caron en déclarant que le chroniqueur degôche pouvait se sentir concerné par l’interpellation du titre.
Tout cela démontre que Christiane Taubira subit cette accusation non pas parce qu’elle est « femme et noire », comme le déclarait ce pauvre Razzy Hammadi, qui ne sait plus quoi inventer pour faire parler de lui. On le répète : tout le monde accuse tout le monde de faire le jeu du FN, sans doute avec raison, puisque le PS et l’UMP ont bien des choses à se reprocher dans des proportions qui restent à déterminer, comme disait Jean Gabin dans Le Président. Si Christiane Taubira est très souvent la cible des critiques venues de l’autre camp, c’est parce qu’elle s’enorgueillit elle-même d’être emblématique de la gauche 2012-2015. Emblématique grâce au mariage pour tous où elle fut à la fois, efficace, talentueuse et clivante (mazette ! on dirait que je cause de Sarkozy période 2002-2005 !).
Emblématique en raison d’une politique pénale qu’Aymeric Caron trouve « progressiste », mais que la droite, ainsi que le ministre de l’Intérieur 2012-2014, un certain Manuel Valls, jugeaient laxiste, comme le prouve une note de Beauvau en direction de l’Elysée à l’automne 2013. Bref, le pauvre Darmanin s’est fait un nom, et nul doute que ce lynchage en place publique lui vaudra bien des lettres de soutien de la part de militants et électeurs droitiers. Christiane Taubira a pu conforter son immense ego en constatant qu’elle est l’icône de la gauche dans ce qu’elle a de plus juste et pure.
En résumé, tout le monde est content. Surtout Marine Le Pen.
*Photo : ALCALAY SARAH/SIPA . 00693661_000029.
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