Ce soir, dans l’émission politique “Vous avez la parole”, la femme la plus “puissante” de la télé publique Léa Salamé arbitrera un match entre le ministre de l’Intérieur et la présidente du Rassemblement national. Enjeux.
“Que Madame Le Pen m’attaque, je le prends comme une Légion d’honneur ! Tout mon engagement politique, depuis que j’ai l’âge de voter, a été contre la famille Le Pen.” Ainsi s’exprimait en septembre[tooltips content= »LCI, 14 septembre 2020″](1)[/tooltips] notre ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Ce soir, dans l’émission que lui consacre France 2, il pourra renouveler cet engagement politique en se confrontant pendant 40 minutes à la chef de file de la droite nationale, lors d’un débat consacré à la sécurité et à l’islamisme.
Ces derniers jours, quand elle ne nous accable pas de ses répétitifs et ennuyeux commentaires sur la crise sanitaire, la presse nous vend ce duel comme le “match retour” de la présidentielle. Pas moins ! De son côté, à la même heure, le leader de la France insoumise Jean-Luc Mélenchon a choisi d’aller faire de la résistance chez Hanouna sur le canal 8. Il a annoncé vouloir s’y opposer aux “idées fixes” de Darmanin et de Le Pen et à leur “névrose du séparatisme”. Depuis quelque temps, il prend son rôle de défenseur des musulmans opprimés vraiment à cœur!
Le casse tête de l’islamisme
Reste qu’effectivement, selon toute vraisemblance, il sera essentiellement question du séparatisme islamiste sur France 2. C’est le principal casse-tête qui occupe les journées de Darmanin depuis qu’il a pris ses fonctions place Beauvau. Un casse-tête sur lequel nos élites politiques auraient bien fait de se pencher depuis deux décennies, plutôt que de s’engager en politique “contre la famille Le Pen”…
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Dans le petit livre qu’il vient de faire paraitre[tooltips content= »Le séparatisme islamiste : Manifeste pour la laïcité, l’Observatoire, 2021″](2)[/tooltips], le ministre déplore que la République ait perdu sa “transcendance” et y réaffirme son attachement aux grands principes républicains. Avec son parler populaire, présenté comme un atout, il entend démontrer ce soir qu’il existe bien des solutions républicaines au séparatisme. Il joue gros: les Français sont peut-être lassés de mots. De son côté, Marine Le Pen aura beau jeu de lui dire que son projet de loi “confortant les principes républicains” est en réalité une loi pour rien, et que la montagne médiatique a accouché d’une souris. Les termes d’islamisme et même de séparatisme n’apparaissent pas dans le texte prévu, alors vous vous rendez compte… Mais soyons rassurés, Darmanin a déjà la parade toute prête pour contrer pareille attaque[tooltips content= »“(…) je crains qu’on ne parle pas assez des valeurs de la République. J’entends ceux qui disent que c’est vide de sens, personnellement je le regrette. (…) On peut vibrer au son de la Marseillaise (…) on peut vibre au nom de son pays, de son histoire” Valeurs actuelles, 11 février. »](3)[/tooltips].
En revanche, sur le sort de la malheureuse Mila[tooltips content= »La lycéenne déscolarisée et harcelée depuis ses propos sur la religion islamique tenus en ligne NDLR »](4)[/tooltips], sur celui de la ville de Trappes objet d’une nouvelle polémique éducative, ou sur ses récentes rodomontades contre le groupe d’extrême-droite Génération Identitaire, les réponses de Darmanin seront très attendues.
Darmanin veut éviter l’affrontement civilisationnel
Pour en revenir au fameux “séparatisme”, selon la droite la plus dure, la France est en réalité engagée dans un affrontement civilisationnel, et le combat du pays est rendu particulièrement difficile par la submersion de flux migratoires acceptés ou encouragés par l’Union européenne. Darmanin devra faire la démonstration que Macron obtient des résultats sur ces sujets, ainsi que dans la lutte contre le terrorisme.
Le ministre ambitieux, qui avait lâché François Fillon en 2017, affirme dans Valeurs actuelles que face au séparatisme, il faut du temps. Tout en défendant sa loi, il dit à nos confrères qu’ “on ne vient pas à bout d’une idée, d’une idéologie [l’islamisme NDLR] par un simple texte de loi. On la combat avec du temps et d’autres idées”. Marine Le Pen devrait lui demander lesquelles, alors qu’on reproche justement souvent aux principes républicains de ne pas parler à la jeunesse qui fait sécession. La chef du RN ne manquera pas de ressortir pour l’occasion sa proposition de loi alternative de 40 pages “visant à combattre les idéologies islamistes”, concoctée par le député européen Jean-Paul Garraud et présentée le 29 janvier. Elle comprend quelques mesures concrètes et musclées, comme l’interdiction du port du voile dans l’espace public, l’interdiction de la pratique, de la manifestation ou de la diffusion au cinéma ou dans la presse des « idéologies islamistes ». Le projet encourage la délation et promet la protection de ceux qui dénonceraient les contrevenants.
Marine Le Pen s’applique à de ne pas être caricaturale
Depuis son débat de l’entre deux tours de 2017, la députée du Pas-de-Calais est engagée dans une longue opération de reconstruction de son image auprès de l’opinion.
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Pas caricaturale sur le coronavirus, elle a marqué des points. Par exemple, elle n’a pas commis l’erreur d’appeler à la désobéissance civile par rapport au couvre feu ou aux différents confinements, chose que ne se privent pas de faire à droite Florian Philippot ou Jean-Frédéric Poisson. Les ministres et les membres de la majorité présidentielle ont beau avoir pour consigne de la rediaboliser, parlant systématiquement dans leurs interventions de FN et non du RN pour rappeler aux Français le souvenir de son père, en coulisses, la macronie s’avoue embêtée par la stratégie efficace de Le Pen. Hier, un conseiller de l’Élysée dépité de ne plus lui trouver de point faible glissait ce commentaire désabusé au Figaro : “Elle a dû changer d’entourage, c’est pas possible ! En tout cas, ici, elle nous impressionne.” Mais tous comptes faits, Macron et ses conseillers ne voient évidemment pas cela d’un si mauvais œil. En réalité, un nouveau duel opposant Macron à cette adversaire les arrange.
Selon les enquêtes d’opinion, Marine Le Pen est aujourd’hui assurée de se qualifier pour le second tour de la présidentielle. Gérald Darmanin, lui, a des ambitions à droite pour la suite, même s’il a été contraint de mettre de l’eau dans son vin ses dernières semaines, suite à une mise au point avec le président et ses mauvaises relations avec Eric Dupond-Moretti. Bruno Retailleau fournit un vrai travail à droite, mais il ne parvient pas à émerger et manque peut-être de charisme. Edouard Philippe est éloigné. Une candidature populiste alternative (Zemmour ? Onfray ? Pierre de Villiers ?) reste très incertaine. En attendant, pour Darmanin, le cadavre du RPR reste à prendre.
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