Mouvement royaliste bien connu, peut-être un peu désuet, l’Action Française (AF) est de nouveau dans le viseur d’un gouvernement! En application d’une circulaire prise contre tout mouvement soupçonné d’appartenir «à l’ultra-droite ou l’extrême-droite» par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, la manifestation prévue ce 14 mai en hommage à Jeanne d’Arc devrait être interdite. L’AF a dénoncé un emballement de la presse et démenti toute interdiction de rassemblement par la préfecture…
Il y a une semaine, le « Comité du 9-mai » a organisé une marche à Paris. Pas interdite par la Préfecture, elle a ému divers partis politiques qui ont dénoncé la présence de ces militants cagoulés de l’ultra-droite, portant des drapeaux à la croix celtique, défilant dans la capitale. Afin d’étouffer la polémique naissante, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rapidement pris une circulaire « interdisant les manifestations et rassemblements de l’ultra-droite » sur l’ensemble du territoire. « Vous accorderez une attention particulière aux déclarations de manifestations portées par des individus issus de groupes dissous, appelant à la haine contre autrui ou revendiquant l’action violente » peut-on lire, demandant aux préfets « de prendre sans délai les mesures nécessaires pour éviter que de tels rassemblements et manifestations ne se reproduisent en aucun cas ».
Être monarchiste n’est pourtant pas encore interdit!
C’est dans ces conditions que la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, Sonia Backès a été interpellée par le sénateur socialiste David Assouline afin de savoir ce que le gouvernement comptait faire contre les organisations dissoutes qui s’étaient reconstituées sans être inquiétées. « Plusieurs manifestations ont été interdites ces derniers mois à Lyon, Montpellier, à Paris. Et ce sera encore le cas dimanche prochain. Une manifestation en hommage à Jeanne d’Arc, à Opéra, portée par des groupuscules d’ultra-droite, sera interdite par la préfecture de police de Paris » a répondu la secrétaire d’État. Dans le viseur du gouvernement, l’Action Française (AF). Fondée par l’académicien Charles Maurras (1868-1952), le mouvement est avant tout une école de pensée qui réclame le retour d’une monarchie héréditaire, antiparlementaire et décentralisée. Elle a connu ses heures de gloire durant l’Entre-deux-guerres, notamment avec ses fameux Camelots du roi, se faisant remarquer par son nationalisme intégral et son antisémitisme. Très influent (notamment à l’international), peuplé de brillants esprits littéraires, le mouvement n’échappe pas aux controverses politiques. Violemment anti-germanique, sa compromission avec le régime de Vichy provoquera son interdiction à la Libération. Elle se reconstitue sous un autre nom (Restauration nationale) en 1947 et retrouve une certaine aura politique, notamment durant la guerre d’Algérie. Malgré diverses scissions internes (dont la plus spectaculaire reste encore aujourd’hui celle de la Nouvelle Action française – devenue plus tard Nouvelle Action royaliste – par Bertrand Renouvin, en 1971), l’Action Française a su garder son pouvoir attractif, notamment dans les milieux étudiants qui se réclament des écrits de Maurras. Bien qu’elle ait abandonnée tout antisémitisme, l’AF ne se déclare « ni de droite, ni de gauche mais royaliste ». Comptant quelques milliers d’adhérents et de sympathisants, soutenant les droits au trône de France du comte de Paris, le prince Jean (IV) d’Orléans, elle continue de se faire remarquer par quelques actions « coup de poing »[1] qui font régulièrement les manchettes de la presse locale ou nationale (en mars 2021, ses militants s’étaient introduits au conseil régional d’Occitanie ou, comme dernièrement en avril où ils avaient bloqué la faculté de Sciences humaines de Poitiers avant d’affronter des militants d’extrême-gauche).
Une grande incertitude
Les médias se sont rapidement emparés des déclarations de Sonia Backès et ont annoncé dans la foulée que la marche de l’Action Française, prévue le 14 mai, était interdite. Une version que dément catégoriquement le mouvement royaliste dans un communiqué disponible sur son compte Twitter[2]. « Certains médias très en vue annoncent en boucle l’interdiction du cortège traditionnel et patriotique en l’honneur de l’héroïne de la nation Jeanne d’Arc (…). Certains ministres considèrent même que la chose est actée. À l’heure où nous publions ce message aucune interdiction ne nous a été signifiée par la préfecture de police de Paris avec laquelle nous sommes en lien constant » peut-on lire dans la déclaration ornée d’une fleur de Lys, symbole de la monarchie. « D’ailleurs, qui pourrait sérieusement affirmer que cette manifestation ininterrompue depuis plus d’un siècle, excepté durant les quatre ans d’occupation nazie et le triste épisode des années 1990 et 1991, puisse être interdite. Comme nous sommes à trois jours de cette fête typiquement française, nous ne pouvons imaginer que les pouvoirs publics pousseront la malignité à nous interdire de défiler et de déposer une gerbe au plus près de l’événement » peut-on encore lire.
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Dénonçant un amalgame de la part du gouvernement et réfutant catégoriquement appartenir à une quelconque mouvance de l’ultra-droite, terme qui reste un vaste fourre-tout, l’AF entend malgré tout battre le ban et l’arrière-ban de ses troupes. Elle a invité tous ses « militants et les sympathisants, ainsi que tous les patriotes français et les catholiques qui voient en Jeanne d’Arc un symbole de la souveraineté et de l’indépendance de la France – et quant aux royalistes que nous sommes, celle qui a légitimé la continuité dynastique en conduisant le dauphin à Reims – à se mobiliser spécialement cette année pour le redressement de la France »[3]. Une manifestation qui rassemble chaque année un millier de royalistes dans la capitale, souvent précédée d’un colloque qui rassemble des personnalités de tout bord (en 2016, les royalistes avaient accueilli dans ses locaux, Marion Maréchal, alors députée du Vaucluse, largement applaudie par les participants). Bien que la manifestation a bien été légalement déclarée, un « arrêté d’interdiction est en cours d’élaboration et sera en ligne dans quelques heures » a annoncé la Préfecture de Police à TF1[4].
Une interdiction qui pose question, à l’heure où le second quinquennat du président Emmanuel Macron est fortement contesté, et qu’un sentiment d’agacement a déjà poussé des centaines de milliers de Français dans la rue depuis deux mois – manifestations marquées par des violences récurrentes menées par des mouvements violents d’extrême-gauche (Black Blocks), que le ministère de l’Intérieur peine à juguler. Rien qui ne pourrait être comparé à celles de l’AF, qui se font essentiellement remarquer par quelques fumigènes et des « vive le roi, le roi à Paris »… Que le gouvernement prenne garde: en poursuivant cette politique sécuritaire un peu extravagante, qui l’éloigne de plus en plus des Français, ces derniers, épuisés, pourraient finalement être tentés de se tourner… vers le roi!
Elisabeth Lévy : « L’essence même de la démocratie, c’est qu’on a le droit de la contester »
[1] https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/intrusion-de-l-action-francaise-au-conseil-regional-d-occitanie-un-acte
https://www.lanouvellerepublique.fr/poitiers/l-action-francaise-bloque-les-antifas-debloquent-manif-a-fronts-renverses-a-poitiers
[2] https://twitter.com/actionfrancaise
[3] https://www.actionfrancaise.net/2023/05/11/dimanche-14-mai-tous-a-la-jeanne/
[4] https://www.tf1info.fr/politique/action-francaise-la-traditionnelle-marche-annuelle-de-l-ultradroite-jeanne-d-arc-va-t-elle-etre-interdite-dimanche-2256772.html